Aurélien Bory – Regard croisé sur ses deux pièces Plexus et Érection
À la fois homme de cirque, danseur, metteur en scène et adorant les arts visuels, Aurélien Bory est l’artiste de la rentrée. Deux de ses pièces, Érection et Plexus, sont présentées simultanément dans des théâtres parisiens, entre deux tournées. Si ces projets ont été créés à dix ans d’intervalle, ils se ressemblent sur la forme : un artiste seul en scène au milieu d’une installation originale, et des illusions de lumières se mêlant aux corps.
Érection ne porte pas ses dix ans. La pièce, toujours aussi actuelle, est une performance physique assez fascinante. C’est l’histoire d’un homme qui se met debout en 45 minutes. À raconter comme ça, je sens les haussements de sourcils « encore une oeuvre contempo-intellecto-barbante« . Mais la pièce est bien plus complexe que ça, narrant l’évolution de la personne humaine, depuis ses quatre pattes jusqu’à l’androïde se fondant avec les machines. L’interprète est Pierre Rigal, ancien sportif de haut niveau et bête de scène, comme aperçu dans Micro.
Pendant 45 minutes, il cherche donc la position debout. Il découvre d’abord les possibilités de son corps, puis lutte avec lui, se laisse emporter. Il apprend l’équilibre et prend petit à petit conscience de sa force. Un peu long en 45 minutes ? Absolument pas, le geste est fascinant. Chaque muscle s’éveille, chaque partie du corps prend sa place pour un équilibre parfait. Le seul appui du danseur est un carré de scène, où vient s’intercaler des intelligents jeux de lumière et de vidéos, soulignant le mouvement ou au contraire le déformant. L’effet s’accentue de plus en plus, jusqu’à devenir de véritables illusions d’optique dès que l’homme se met debout, pour le faire s’envoler. Le geste se place ensuite au second plan, et c’est grâce à la lumière que la personne évolue, se mélangeant aux machines et devenant un hologramme. Reste de son expérience circassienne ? Aurélien Bory aime bien en tout cas faire le magicien et jouer des tours aux regards du public.
Mais pour Plexus, le chorégraphe semble s’être laissé prendre par ces jeux de lumière, quitte à en oublier le geste, et par là l’émotion. Son interprète principale, Kaori Ito, est pourtant loin d’en être dénuée, hypnotique dans sa gestuelle. Ancienne danseuse classique, elle collabore aujourd’hui avec Angelin Preljocaj et Sidi Larbi Cherkaoui. Plexus est son portrait dansé. Après un (trop) long début, le décor est enfin dévoilé : un immense carré, d’où pendent des centaines de cordes, comme des fils de marionnettes. Kaori Ito y montre son évolution artistique. D’abord elle se débat dans ces (ses ?) fils, en est comme prisonnière. Mais petit à petit, elle les apprivoise, apprend à vivre avec, à s’en libérer, à les utiliser. Et comme pour Érection, son parcours se termine par un envol, une apesanteur enfin obtenue après des heures de combat.
Aurélien Bory est décidément un surdoué du regard. Plexus est incroyable visuellement, fascinant encore et surprenant. Mais mis à part quelques moments de grâce, la technique pure prend le pas sur l’artiste. L’installation prend toute la place, est écrasante, étouffe toute émotion. La pièce est belle pour les yeux, mais froide. Les idées se répètent trop et c’est l’ennui qui s’installe. C’en est frustrant tant tous les ingrédients étaient sur scène pour le grand frisson.
Érection d’Aurélien Bory et Pierre Rigal, au Théâtre du Rond-Point, avec Pierre Rigal. Vendredi 10 janvier 2014.
Plexus d’Aurélien Bory au Théâtre des Abbesses, avec Kaori Ito. Lundi 13 janvier 2014.