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Onéguine – Alicia Amatriain et Karl Paquette

Comment vient la complicité entre deux interprètes sur scène ? Souvent, ce sont des semaines de répétitions et des années de travail ensemble. Et puis, parfois, rien de tout ça, à peine quatre jours de travail, mais l’alchimie sur scène est indéniablement là.

Alicia Amatriain et Karl Paquette - Saluts d'Onéguine

Alicia Amatriain et Karl Paquette – Saluts d’Onéguine

C’est ce qui s’est passé un soir à Garnier dans le ballet Onéguine de John Cranko. L’Étoile du Ballet de Stuttgart Alicia Amatriain, une habituée du rôle, a été appelée à la rescousse en dernière minute pour pallier une blessure. La danseuse a sauvé la représentation (même si l’Opéra de Paris n’a pas eu la politesse de l’annoncer officiellement), mais toute la distribution était au diapason, entre un couple en osmose et un quatuor très équilibré et cohérent (et on ne le dira jamais assez : Onéguine est d’abord un quatuor). Aucune personnalité ne dominait outrageusement, comme aucune n’offrait une vision de son rôle différente et inhabituelle. C’est bien l’ensemble, la cohérence des quatre qui a permis à cette représentation de si bien fonctionner, et d’émouvoir profondément.

Alicia Amatriain, Eve GrinsztajnKarl Paquette et Fabien Révillion. La jeune fille en fleur et la déjà charnelle, le jeune homme idéaliste et le dandy terre-à-terre. Chacun jouait sa partition au caractère bien défini, chacun se complétait, chacun savait occuper la scène sans écraser l’autre, ne mettant que plus en valeur la formidable construction du ballet, où décidément rien n’est en trop. L’histoire était à la fois celle de deux couples qui se cherchent et celle de deux oppositions, deux façons de voir la vie.

Onéguine

Onéguine

Alicia Amatriain est une ballerine racée, à la blondeur (oui, Tatiana n’est pas forcément brune, il faut s’y faire) et aux gestes naturellement aristocrates. Jouant sur une corde moins intellectualisante ou dramatique que ses collègues parisiennes, l’Étoile de Stuttgart joue au premier acte une Tatiana assez premier degré : une jeune fille sage, première de classe, qui ne s’intéresse pas au sexe opposé (contrairement à sa soeur virevoltante). Mais dès que son regard croise celui d’Onéguine, elle se consume littéralement d’amour, comme on peut l’être à 16 ans. Une fois dans sa chambre, c’est à peine si elle n’accrocherait pas des posters du beau ténébreux au-dessus de son lit, impression renforcée par l’arrivée de Karl Paquette chemise ouverte et cheveux au vent façon Leonardo Di 2be3. Mais n’est-ce pas comme cela que l’on est amoureuse adolescente ? La danseuse connaît ce rôle dans ses moindres détails, SuperKarl a sorti ses pouvoirs de Rolls des partenaires : le pas de deux s’envole et pas uniquement techniquement.

Eve Grinsztajn est, au début, le parfait contrepoint de Tatiana. Jeune fille pas si innocente que ça, ses développés sont déjà empreints d’une certaine sensualité, s’opposant à l’amour assez idéaliste et cérébral de Lenski (très bon Fabien Révillion, qui sait prendre sa place). Lors de la scène du bal, elle séduit en connaissance de cause, inconsciente sur le drame qui en découlera, mais cherchant de plus en plus volontairement le regard de cet homme plus direct que son fiancé. Karl Paquette propose d’ailleurs une version plus nuancée de son personnage, plus crédible sur la longueur que lors d’une précédente représentation. Son solo du premier acte, touchant, est le seul moment où il se livre finalement, d’où une certaine tristesse. Il reprend sa carapace au deuxième acte, excédé par les babillages des adolescents, peut-être plus dur qu’il le voudrait réellement. Sa confrontation avec Lenski en est aussi un symbole. Plus qu’ami, il y a entre eux une relation quasi filiale. Défier Onéguine est d’ailleurs pour Lenski peut-être son premier pas dans l’âge adulte (ah, le fameux « Tuer le père »), alors qu’Onéguine, décernant le coup de tête de son cadet, pense jusqu’au bout que les choses vont s’arranger, que ça peut pas aller au drame.

A

Onéguine

Isabelle Ciaravola indiquait lors de son interview que, pour elle, Tatiana ne devient femme qu’au troisième acte. Je dirai qu’elle le devient à la fin du deuxième, après le meurtre. Pour la première fois, le regard qu’elle lance à Onéguine n’est pas idolâtré, mais réaliste. La vie a terrassé ses rêves de jeune fille. Des années plus tard, Tatiana est redevenue sage. Là encore, à l’opposé de ses consoeurs de Paris, Alicia Amatriain n’est pas forcément une héroïne romantique, tragédienne. Son choix semble déjà être fait. Elle garde une certaine simplicité dans la dernière grande confrontation, mais n’en reste pas moins absolument juste. Karl Paquette a lui aussi cette profonde sincérité et ce talent pour rendre emphatique son personnage. Les deux protagonistes n’étaient pas forcément des grands héros lors de cette scène finale. Mais un homme et une femme qui ne se sont pas aimés au bon moment. Vraiment bouleversant.

Alicia Amatriain dansera Onéguine également le 4 mars, avec Karl Paquette, Eve Grinsztajn et Florian Magnenet.

Photo 1 : Elendae.

 

Onéguine de John Cranko par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Alicia Amatriain (Tatiana), Karl Paquette (Onéguine), Fabien Révillion (Lenski), Eve Grinsztajn (Olga), Christophe Duchenne (le Prince Grémine), Christine Peltzer (Madame Larina) et Ghyslaine Reichert (la Nourrice). Mardi 25 février 2014.

Commentaires (11)

  • Sissi

    Hihihihi « Karl Paquette chemise ouverte et cheveux au vent façon Leonardo Di 2be3 » « SuperKarl a sorti ses pouvoirs de Rolls des partenaires » c’est vraiment très drôle !
    Sentiments partagés, ce fut un très belle soirée avec un quatuor à la hauteur et cohérent. J’ai découvert avec grand plaisir cette danseuse, Karl Paquette était au top, le partenariat était parfait (comment réussir à faire ça en 4 jours ?) et l’émotion dégagée était à son comble, on ne peut être que touché par ce qui se dégageait de la scène…
    Prochain Onéguine pour le départ d’Isabelle Ciaravola… difficile à imaginer.

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  • wong

    Karl Paquette et Alicia Amatriain sont absolument magnifiques dans Onéguine. Ils ont su au fur et à mesure que le ballet avance installer leur personnage avec intelligence et puissance jusqu’à atteindre la perfection, avec l’âme slave en plus.C’est à la fois une surprise et une découverte pour moi d’un autre Karl Paquette, plus subtil, plus profond, habité et totalement envouté par Tatiana/Alicia, immense danseuse interprète tout en finesse et en retenue, en deux mots parfaitement juste.Très belle soirée pour moi au panthéon des inoubliables.Ce spectacle plus que réussi et génial, qui arrive presque à l’improviste dans un contexte de débâcle distributif des rôles titres en interne de l’onp fait malheureusement ressortir encore plus le néant et le pathétique de la distribution de hier soir Amandine Albisson /Jossua Hoffalt, qui sont, je dirais pour rester élégant, juste complètement à côté de la plaque. C’est affligeant certes,mais ce qui est encore plus incompréhensible, c’est l’idée même d’avoir pu confier à Amandine Albisson, dont on connait le mince registre dramatique en scène (confirmé dans la Belle) un rôle aussi écrasant.On voudrait lui faire payer sa place de première danseuse qu’on ne pourrait pas mieux s’y prendre. Elle est jolie fille et reste une belle danseuse qui a des qualités indéniables, mais que diable vient elle faire dans cette galère d’où se seraient mieux illustrées pour l’honneur de l’opéra de paris, des danseuses comme Eve Grinsztajn, Laura Héquet ou encore Héloïse Bourdon qui sont les interprètes racées de l’onp et qui ont déjà fait leurs preuves sur de grands rôles du répertoire. Je retournerai voir Onéguine les 4 et 5 Mars pour ne pas rester sur cette impression de vide artistique d’un côté qui peut être aussi dû à la mauvaise alchimie d’un soir et retrouver mon couple fétiche de cette série Karl/Maria.

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  • Erikish

    Je reviens sur votre blog que je trouve vraiment bien fait et documenté pour vous faire part de mes impressions sur cette soirée avec A.Amatriain . J’ai maintenant vu toutes les Tatianna que proposait ces distributions, et je ne puis dire qu’une chose: il faut , une fois dans sa vie, avoir vu Amatriain dans ce rôle. Ma compagne et moi avons simplement été bouleversés, happé par cette danseuse, ou plutôt cette artiste. Je n’avais jamais vu ça auparavant, et son partenaire K.Paquette fut à la hauteur, le tout complété par un couple Lenski/Olga parfait.
    Je suis au regret de dire qu’aucune des autres Tatianna de l’opéra ne m’a autant transporté, et sans être aussi dur que wong dans son commentaire, je dois avouer avoir été étonné d’à quel point A.Albisson n’a rien transmis, du tout, dans ce rôle, le tout était très « scolaire ». A ce point c’était assez dérangeant car le ballet perd toute sa saveur. Ciaravola en revanche était splendide d’intelligence artistique , quel dommage qu’elle parte si tôt…
    Mais vraiment, une soirée qui restera à jamais gravé dans ma mémoire que celle que Paquette et Amatriain, la force et la fragilité d’Amatriain, son désespoir torturé…grandiose. C’est pour voir des artistes comme cela que je viens au ballet!

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  • wong

    Je n’ai pas voulu être dur et j’en suis désolé Erikish, si c’est le cas.J’ai avant tout été très déçu et je ne m’attendais pas à un tel résultat lors de la représentation du 26. Ceci dit, j’ai lu des commentaires bien plus cruels sur des danseurs comme Florian Magnenet par exemple ou Emilie Cozette , Alice Renavant ou encore Valentine Colassante qui coupent carrément le souffle, alors que bien souvent ils ont tiré malgré tout globalement mieux leur épingle du jeu que les interprètes principaux de cette soirée, qui n’ont peut être pas eu, à leur décharge, les indications élémentaires sur l’esprit de l’oeuvre de Pouchkine, pour construire leurs personnages et c’est pour ça que je tiens à y retourner le 5. C’est surtout la comparaison avec le somptueux duo Karl Paquette ( qui lui aussi a souvent été malmené dans les commentaires divers et variés des blogs) et Maria Amatriain, qui est cuisante. C’est le jour et la nuit pour moi, mais comme chacun le sait les impressions artistiques sont très souvent contradictoires et ce doit être le cas puisque les deux propositions existent au sein du même Temple. Il faut croire, et c’est tant mieux, qu’il y a des gens qui aiment ce que moi je n’aime pas. De toute façon comme dit l’autre : les chiens aboient , la caravane passe ! … qui se soucie de nos impressions ?

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  • Mais alors, c’est Ludmila Pagliero qui s’est blessée?! Ce n’est pas trop grave?

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  • a.

    (euh… sans vouloir me mêler de ce qui ne me regarde pas, celle que vous appeler Maria s’appelle en réalité Alicia…)

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  • flo

    (euh… sans vouloir me mêler de ce qui ne me regarde pas, celle que vous appelez s’écrit en réalité EZ)
    et oui …tout le monde peut se tromper ! LOL

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    • a.

      ah! tiens! ça m’apprendra à écrire sans lunettes!! merci, Flo, de rabattre mon orgueil! mais je ne voulais vraiment agresser personne…

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  • Julie

    Je viens de voir une merveilleuse représentation hier soir, qui m’a laissée très émue avec des difficultés à revenir dans le monde réel. C’est suffisamment rare pour être souligné, et je suis ravie de découvrir sur cette scène pour la première fois Alicia Amatriain dans un rôle qu’elle possède si brillamment.
    Concernant la représentation d’hier, outre un quatuor brillant, j’aimerais également souligner la présence scénique de Sae Eun Park, toujours au premier rang du corps de ballet, toujours habitée d’une aura qui laisse présager beaucoup. J’aime beaucoup cette façon de se comporter, de jouer, comme si elle était la soliste ce soir-là, alors même qu’elle est assise sans bouger.

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  • Jamais vu Paquette dans Onegin mais pour Amatriain!!!! C’est LA Tatiana idéale. Elle est d’ailleurs très bien dans bien des registres différents et pas que Onegin. Une danseuse qu’on connait peu en France et qui est pourtant selon moi au top 3 des danseuses du moment.

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