Orphée et Eurydice – En demi-teinte
Orphée et Eurydice est une des premières oeuvres de Pina Bausch. La chorégraphe n’a pas encore plongé dans la danse-théâtre qui marquera ses plus grandes oeuvres (« Tanztheater » n’est pas le nom de sa troupe pour rien), mais on y trouve toutefois dans ce ballet ce qui fait l’essence de la danse : une vérité absolue, brute. Chercher non pas le geste beau, mais le geste juste. Qu’importe qu’un-e danseur-se ne corresponde pas aux normes du ballet, ce qui compte est ce qu’il-elle renvoie en scène.
Malheureusement, c’est ce genre de précepte qu’a dû oublier en route le corps de ballet participant à Orphée et Eurydice. Il était pourtant composé d’artistes expérimentés, ayant plusieurs fois dansé des oeuvres de Pina Bausch. Tout était d’ailleurs très bien dansé, le geste joli et gracieux. Mais il manquait de la chair, du frisson, de la réalité. Orphée et Eurydice a la force pour vous coller à votre siège, mais il ne semblait en rester ce soir-là que la forme, une certaine beauté visuelle, une scénographie appuyée, mais où il manquait l’essentiel.
Deuil. Violence. Paix. Mort. Voilà les titres des quatre actes d’Orphée et Eurydice. Musicalement, ces quatre états s’entendaient dès la première seconde. Dans la partition d’une part, aussi dans l’interprétation. Le rideau s’est ainsi levé sur une longue complainte chantée. Voix qui sont soudainement devenues dures et tranchante au second acte, la descente aux Enfers. Puis légères et cristallines au troisième : Eurydice, loin du monde des Vivants, étant emplie de plénitude. Enfin déchirantes au final, les deux amants devant finalement se séparer, les deux chanteuses (Maria Riccarda Wesseling et Yun Jung Choi) semblant comme terrassées.
Et dans la danse ? Contrairement à la musique, ces quatre parties semblaient être dansées exactement de la même façon. Les danseurs et danseuses se sont laissé-e-s porter par la chorégraphie plutôt explicite, les gestes d’abandon et la tête baissée suffisent à exprimer le deuil. Mais ils sont restés dans la même tonalité tout du long. Pas de peur et de douleurs aux Enfers, pas de paix intérieure auprès d’Eurydice. Un geste joli, bien dansé, mais se contentant du minimum et relativement déconnecté de ce qui pouvait se raconter sur scène. Un gros manque de chair. Quelques personnalités dénotaient toutefois par leurs intentions, un moment de fulgurance dans le groupe, Aurélien Houette, Letizia Galloni, Christelle Granier, mais vite ravalés dans un ensemble homogène.
Marie-Agnès Gillot était pourtant une Eurydice investie par chaque parcelle de son corps. Même assise sur une chaine, recouverte d’un long voile blanc, elle inspirait la scène, arrivant à y donner une atmosphère particulière. Et si son rôle n’est pas en soi bien long, c’est pourtant lui que l’on retient. Emplie de plénitude dans sa robe chair, débordante d’amour puis de douleur dans sa robe rouge flamboyante, Marie-Agnès Gillot raconte la tragédie d’Eurydice de toute son âme.
À ses côtés, Stéphane Bullion a montré toute la justesse qu’il avait pu acquérir en deux ans, depuis la dernière reprise. Alors qu’il semblait à peine flotter sur scène, le voici au plus juste, le geste complexe. Il trace son chemin initiatique du deuil, passant part toutes les émotions, de la tristesse à la vaillance, de la peur à la résolution. Orphée est toutefois un rôle où il faut savoir tenir sur la durée, emplir la scène seul pendant de longues minutes. Et Stéphane Bullion n’arrive pas encore à capter une si grande attention.
Reste donc comme un goût d’inachevé de cette Orphée et Eurydice. Comme si, au fil des nombreuses séries (quatre en neuf ans), l’essentiel s’était effiloché, perdu en route, ne restant que les pas. Reprise un peu tristoune, presque muséale, bien loin du coup de poing dans le ventre que peut parfois laisser une oeuvre de Pina Bausch.
Orphée et Eurydice de Pina Bausch, par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Marie-Agnès Gillot (Eurydice), Stéphane Bullion (Orphée), Muriel Zusperreguy (Amour), Maria Riccarda Wesseling (L’Amour), Yun Jung Choi (La Mort), Jaël Azzareti (La Jeunesse). Jeudi 8 mai 2014.
Lola
Comme vous, j’étais un peu déçue par cette représentation car j’avais un souvenir poignant, aux larmes, de la fois précédente. Dommage ! Cela laissait tout de même de beaux moments de danse et de musique…
Al
Florian Magnenet ne sera bel et bien pas nommé sur ce ballet. Je l’ai vu ce soir, et c’est apparemment sa dernière représentation. J’y ai cru jusqu’à la fin, il le mérite. Son Orphée était juste et touchant..
Pensez-vous que sa chance est passée pour de bon ou aura-t-il d’autres occasions dans les mois qui suivent ?
a.
Je suis d’accord avec vous, F. Magnenet était très émouvant dans ce rôle (franchement, je ne m’y attendais pas), mais de là à le voir étoile… cela me paraît très excessif!
Al
Cela fait bien quelques années qu’il est distribué en tant qu’étoile. Il le mérite plus que d’autres qui viennent d’être nommés il n’y a pas si longtemps à mon goût.