Le Béjart Ballet Lausanne – Soirée mythologique à Versailles
Pour son escale 2014 à Paris, le Béjart Ballet Lausanne n’a pas choisi le moindre des lieux : les Jardins de l’Orangerie du Château de Versailles, ni plus ni moins. Un lieu magique comme un écrin pour la danse, qui s’est voulue ce soir-là imprégnée d’une certaine mythologie, hommage au Roi Soleil ?
Sept ans après la disparition de Maurice Béjart, sa troupe est plus vivante que jamais. Et paradoxalement désormais majoritairement composée d’artistes qui n’ont jamais connu le Maître. Son oeuvre se redécouvre avec cette jeunesse, fougueuse et portée par une foi inébranlable dans cet exercice de transmission, faire vivre le chorégraphe à travers ses ballets. Des ballets qui ont leurs défauts comme leur qualité. Béjart, c’est parfois facile, c’est parfois putassier, c’est parfois bavard. Mais même les trois à la fois, cela peut toucher au sublime car toujours absolument entier, grâce aussi à cette interprétation qui vient des tripes. Maurice Béjart ne trichait pas avec ce qu’il avait envie de dire.
Sept danses grecques, qui ouvre la soirée, en est un très bon exemple. Langage classique, corps de dieux grecs mis en valeur sans complexe, danseur soliste multipliant les grands jetés avec autant d’enthousiasme que le public a à le regarder. Chorégraphiquement, c’est efficace, peut-être novateur hier, déjà vu aujourd’hui. Mais l’alchimie prend, indéniablement. Avec Sept danses grecques, Maurice Béjart voulait réussir le pari d’évoquer la Grèce sans copier ses danses traditionnelles. Si un pas par-ci par-là empreinte au folklore, il s’agit avant tout d’un état d’esprit. Qui arrive dès le premier tableau, où danseurs et danseuses évoquent la mer à travers de longs mouvements fluides. Un parfum d’olivier semble planer dans l’air, les pages du Mont Olympe se tournent, les pantalons blancs éclatants rappellent les maisons des Cyclades.
Sommes-nous dans la Grèce moderne ou celle de ma mythologie ? Un peu des deux, celles des souvenirs du chorégraphe aussi. Dommage cependant que ce dernier ait été plus inspiré pour les hommes que pour les femmes. Vêtues de justaucorps noirs, les danseuses enchaînent fouettés et pas sur pointes comme dans un Balanchine pas inspiré (s’il est possible d’imaginer un Balanchine pas inspiré). Seuls les hommes parviennent, par leur chorégraphie plus inventive et décalée, à sortir de l’exercice technique qu’est aussi Sept danses grecques.
Changement de tableau pour Bhakti III. Divinité indienne pour le décor, la Femme en prêtresse totale. Le public ne connaît souvent que la variation de la danseuse, vue et revue en Concours de promotion (avec autant de ratés que de réussite d’ailleurs, il faut avoir le recul pour ne pas tomber dans la caricature). Avec ses longues jambes et con regard de tueuse, Marsha Rodriguez est une Déesse enivrante, portant les hommes vers leur destin. Facile, putassier, bavard… Les mêmes adjectifs peuvent peut-être revenir, mais avec là encore la même réussite car l’oeuvre ne fait pas dans la demi-mesure. Le parfum d’une Inde oubliée s’installe à Versailles, qui vit un temps au rythme de ce conte mythologique.
La soirée ne pouvait que se terminer sur Le Boléro, chef-d’oeuvre pour beaucoup, symbole du mauvais goût pour un certain nombre aussi. Je suis dans le premier clan, toujours bluffée par cette force qui grandit et qui laisse le souffle coupé. Sylvie Guillem l’avait dansé sur le bassin de Neptune il y a quelques années, sensuelle et prenant les hommes sous son emprise. Julien Favreau oublie toute connotation sexuelle pour être un Dieu de la Guerre. Il est Mars, qui insuffle de la vie à ses troupes par ses mouvements de bras, réveille ses soldats par sa pulsation et les transforment en guerrier par ses ultimes sauts. Les jardins de Versailles, plongés dans le noir, s’allument au fur et à mesure que la tension monte comme s’éveillant d’un long sommeil. La table rouge est le champ de bataille. Martelant et magistral.
Au milieu de toutes ces évocations mythologiques s’est glissé Étude pour une Dame aux camélias, énième essai sur ce personnage, forcément sur du Chopin. Facile et bavard sans se transformer en chef-d’oeuvre car vraiment inspiré, si ce n’est l’interprétation absolue par chaque parcelle de son corps d’Elisabet Ros.
Le Béjart Ballet Lausanne au Château de Versailles. Sept danses grecques de Maurice Béjart, avec Oscar Chacon, Marco Merenda, Iker Murillo Badiola, Valentin Levalin et Kathleen Thielhelm ; Étude pour une Dame aux camélias de Maurice Béjart, avec Elisabet Ros. Bhakti III de Maurice Béjart, avec Marsha Rodriguez et Fabrice Gallarrague. Le Boléro de Maurice Béjart, avec Julien Favreau. Mercredi 18 juin 2014.