Mathilde Froustey : « Je reste au San Francisco Ballet… au moins pour un an de plus »
Mathilde Froustey, Sujet à l’Opéra de Paris, est partie au San Francisco Ballet toute cette saison en tant que Principal dancer. Pour l’année prochaine, la danseuse souhaite rester dans la compagnie américaine, ce qui n’exclue pas, peut-être, un retour à l’Opéra plus tard. Mathilde Froustey explique à Danses avec la plume cette décision. La danseuse revient aussi longuement sur cette saison écoulée, riche en changement et en apprentissage, ainsi que sur le programme des Étés de la Danse, qui a invité cette année le San Francisco Ballet.
Il y a presque un an, vous annonciez que vous partiez au San Francisco Ballet (SFB) en tant que Principal dancer. Comment pourriez-vous résumer cette année qui vient de s’écouler en quelques mots ?
(Elle réfléchit) « Nouveauté« , forcément… Et puis « Joie« . Ce fut une année tellement joyeuse.
L’année prochaine, vous restez au San Francisco Ballet. Comment avez-vous pris cette décision ?
Un an, ce n’est rien et ça passe en un éclair. Ce fut une nouvelle vie. Je suis arrivée, j’ai eu tout à apprendre. Vivre dans un nouveau pays, apprendre une nouvelle langue, travailler avec une nouvelle compagnie, apprendre de nouveaux ballets, découvrir un nouveau théâtre… Le temps d’apprendre les ballets et de les danser une ou deux fois, la saison était finie. Même si j’ai dansé énormément, et je n’ai pas arrêté, cela reste vraiment trop court pour faire un choix de vie. Car partir définitivement au San Francisco Ballet n’est pas juste un choix de carrière. Vivre aux États-Unis, c’est particulier.
Comment cela va-t-il se passer concrètement ? Vous avez renouvelé votre congé sabbatique ?
Nous avons droit à dix mois de congé sabbatique. Je suis désormais en congé sans solde. Ce congé peut durer tant que l’on veut. Après, aucune compagnie ne veut laisser une de ses danseuses à l’étranger pendant dix ans, c’est un peu compliqué et ce n’est pas l’idée. Je suis contente d’avoir cette possibilité de rester au moins l’année prochaine. Après, on verra, la situation ne change pas finalement.
Et qu’en sera-t-il pour la suite ?
J’en suis un peu au même point que l’année dernière. Pour la suite, ce seront des discussions avec Benjamin Millepied.
Vous l’avez déjà rencontré ?
Oui. Lui était à Los Angeles pendant la plupart du temps cette année, nous n’étions pas si loin. Il est venu à San Francisco. Je l’ai ensuite rencontré à Paris au début du mois de juin. Mon congé sans solde s’est fait avec l’accord de Brigitte Lefèvre, mais c’est Benjamin Millepied qui me l’a annoncé. Maintenant, cela dépend de lui. ll m’a dit qu’il était très content que je reste une année là-bas, il pense que c’est un bon choix, une belle expérience. Je sais qu’il m’aime bien. Il m’a aussi dit en toute honnêteté qu’il ne pouvait rien me promettre. Quand on s’est parlé, lui-même ne pouvait pas me dire grand-chose, il n’est pas encore directeur.
Le fait qu’il devienne directeur pourrait-il vous pousser à revenir à l’Opéra de Paris ?
Je ne sais pas… Sa première programmation a l’air incroyable, c’est assez stimulant. Il y a une nouvelle énergie qui se dégage à l’Opéra, on la sent rien qu’en passant une tête. En même temps, je danse tellement au San Francisco Ballet, j’apprends tellement de choses, je rencontre tellement de gens. Je ne suis pas sûre d’être capable de revenir et de repasser le Concours de promotion.
Vous étiez à Paris début juin, vous avez assisté à la soirée Balanchine/Millepied, qu’est-ce que cela vous a fait ?
Dans la salle, je me suis dit que l’Opéra de Paris reste vraiment une compagnie incroyable. Et y redevenir Sujet ne serait pas forcément « redescendre ». Être Sujet à l’Opéra, c’est la classe tout de même ! (rires). Toute ma vie je serai impressionnée par cette compagnie.
Quitte à refaire du corps de ballet ?
Je ne sais pas… L’idée semble assez difficile de danser les Willis après avoir interprété le rôle-titre de Giselle. Mais après tout, n’est-ce pas ce que j’ai fait toute ma carrière, faire des premiers rôles et du corps de ballet le lendemain ? Cela me semblerait néanmoins difficile de refaire ça maintenant. C’est tout le problème. L’Opéra est une compagnie incroyable avec des danseurs et danseuses incroyables, du corps de ballet aux Étoiles. Être Sujet à l’Opéra est plus qu’honorable. Mais en même temps, quand on a goûté à être Principal, c’est un peu dur de retourner dans le corps de ballet.
Et l’idée de revenir en guest l’année prochaine, cela pourrait se faire ?
Oui, bien sûr. Je pense que Benjamin Millepied est assez ouvert à ce genre de choses. Revenir l’année prochaine en guest, je ne pense donc pas que ce soit surréaliste. Il y a des ballets que j’ai déjà dansés, comme La Fille mal gardée ou Casse-Noisette. J’aimerais beaucoup redanser ce ballet, c’est l’une des grandes œuvres de Rudolf Noureev. J’avais adoré le danser avec Karl Paquette, ce fut un incroyable partenariat. Si je peux le reprendre avec Mathias Heymann, ça serait aussi génial. J’ai aussi beaucoup dansé La Fille mal gardée, j’ai toujours autant de plaisir à le faire, je me fais rire moi-même. Il est souvent programmé en fin de la saison, il y a ainsi une espèce de relâchement, c’est très agréable.
Pour revenir à cette année américaine, comment se sont passés vos premiers jours à San Francisco ?
J’ai beaucoup voyagé, dans ma vie et pour des galas. Je pensais donc que cela allait être assez facile. Mais ce fut dur. Les six premiers mois, j’ai eu un peu le blues de Paris, la ville me manquait beaucoup, les rues, les restaurants, l’atmosphère. San Francisco est une ville hors de prix, trouver un appartement a été un cauchemar. J’avais juste 15 jours pour trouver un logement, j’ai acheté tous les meubles, rempli les papiers en anglais. Tout recommencer à zéro n’a pas été facile.
Et vos premières semaines au San Francisco Ballet ?
J’ai eu ma première répétition le lendemain de mon arrivée ! Cela a été très rapide, tout le monde répétait pour un spectacle en juillet, sur une scène en plein air. Je n’ai pas dansé, mais j’ai tout de même appris les ballets car la compagnie les reprenait lors d’une tournée à New York. En deux mois, j’ai dû apprendre sept ballets différents. C’était assez incroyable mais aussi un peu dur. Lorsque l’on est nouveau, les gens ne nous voient uniquement qu’en répétition. Et moi, comme j’avais tout à apprendre, je me sentais tout le temps à la traîne, toujours en insécurité, à savoir à moitié la chorégraphie. Il fallait que j’apprenne de nouveaux matériaux tout le temps.
Il y a eu vraiment des moments difficiles. Le San Francisco Ballet est une troupe incroyable et j’avais l’impression de ne pas avoir le niveau.
Vous aviez pourtant une réputation de technicienne solide à l’Opéra de Paris…
J’avais en fait l’impression que tout le monde était plus ‘Opéra de Paris’ que moi : tout le monde avait des plus beaux pieds, des plus belles lignes, était plus souples, avait plus de technique… Plus de tout. Je ne savais pas ce que je faisais là. Je suis solide techniquement pour l’Opéra de Paris. Mais en dehors de l’Opéra, les gens dansent très bien aussi. Ma petite technique qui ébouriffait un peu à l’Opéra, elle est normale ailleurs.
Il y a eu des regrets d’être partie ?
Jamais je n’ai regretté ou je me suis dit que j’avais fait une bêtise, même quand j’étais en galère d’appartement, que je ne trouvais pas de lit, que je n’avais pas de chaise (rires). Le mot de cette année a aussi été « Courage« . Les premières répétitions devant tout le monde, les premiers cours devant tout le monde où on attend la fille de l’Opéra de Paris qui débarque… J’étais obligée de me dire : « Allez, courage, on y va. Si ça ne va pas, tu rentres à l’Opéra à la fin de l’année et il n’y aura aucun problème« .
À l’inverse, qu’est-ce qui a été le plus facile durant ces premiers mois ?
Les relations sont très saines au sein de la troupe, les gens s’entendent bien. J’ai l’impression que l’on a tellement de choses à danser que les gens ne regardent pas vraiment dans l’assiette des autres. Nous avons déjà tellement de choses à se préoccuper avec tous les ballets que l’on a à faire… C’est à la limite du ‘Si quelqu’un veut danser un ballet à ma place, il n’y a pas de problème’ (rires). Tout le monde a un style différent, les gens ne se jugent pas vraiment. Maria Kochetkova a son style, Mathilde Froustey a son style… Et si on peut se piquer des trucs les uns des autres, on le fait. Il y a une ambiance de travail très mature.
J’ai aussi eu des ami-e-s très rapidement au SFB. On sort beaucoup en dehors, il y a vraiment un esprit de troupe, peut-être aussi parce que c’est une plus petite compagnie. Il y a quelques jours, tout le monde s’est ainsi retrouvé chez Pascal Molat, un Français Principal dancer, pour suivre un match de l’équipe de France de football. Presque toute la compagnie était chez lui. Ce genre de choses n’arrivait peut-être pas forcément aussi facilement à l’Opéra.
Qu’est-ce qui est radicalement différent de l’Opéra de Paris au niveau de l’ambiance générale ?
C’est incomparable. Au San Francisco Ballet, les danseurs et danseuses ne se connaissent pas depuis qu’ils ont huit ans. Nous sommes des collègues avec qui ça se passe bien et qui s’entendent très bien, des amis avec lesquels on doit travailler. À l’Opéra, on est une famille. Nous ne nous sommes pas forcément choisis, nous devons faire toute notre carrière avec les mêmes gens. C’est comme la famille, parfois on les déteste, parfois on les adore (rires).
Aujourd’hui, vous sentez-vous plus légitime au San Francisco Ballet ?
Oui. Dès le moment où on a été en scène, à New York en octobre, puis Casse-Noisette, le gala, Giselle… Cela a été le rêve.
Est-ce que cela a été long de s’imposer parmi toutes les Principals ? Du regard de la France, le public a pu avoir l’impression que vous n’étiez pas forcément très mise en avant.
Cela prend du temps d’apprendre les ballets. Et je ne peux pas faire les premières si je ne les connais pas. Maria Kochetkova danse au San Francisco Ballet depuis plusieurs années, elle connaît toutes les chorégraphies, ce sont toujours les mêmes qui reviennent. Elle est là depuis tellement longtemps, elle a fait ses preuves, c’est normal qu’elle ait la priorité. Elle a les premières parce qu’elle connaît les œuvres, et si je peux avoir trois jours en plus pour les apprendre, c’est tant mieux. Les gens s’attendaient à quoi ? Que je sois la seule Principal du SFB ? Je suis une des seules danseuses à avoir eu deux représentations de Giselle, j’ai eu la première de Suite en blanc, de Shostakovich Symphony n°9...
L’apprentissage des ballets est très rapide, comment cela se ressent sur la façon de travailler ?
Le fait de travailler très rapidement est vraiment ce qui m’a marqué dans cette compagnie. On parle moins, on apprend plus vite et on est prêt plus vite, on va en scène plus rapidement. Il n’y a pas forcément le temps de digérer les choses. Cela fait appel à un ‘Toi’ différent, plus instinctif. On ne coupe pas forcément les cheveux en quatre. Parfois, cela peut être effrayant car j’ai eu l’impression de ne pas être prête au maximum avant d’aller en scène. En fait, j’ai puisé en moi des ressources que je ne me soupçonnais pas. ll y a un truc à la « The show must go on« … J’ai dansé des choses que je ne pensais pas pouvoir faire.
Comment arrive cette confiance en soi ?
J’ai d’abord entièrement confiance en Helgi Tomasson, le directeur du SFB. J’ai une relation particulière avec lui. C’est difficile d’avoir confiance en soi constamment et c’est bien aussi de se remettre en question. Helgi Tomasson dirige le ballet depuis 30 ans, depuis plus longtemps que je ne suis née. Il a de l’expérience, il a vu tellement de danseurs et danseuses. Alors quand il te dit : « Tu peux le faire, tu vas le faire, ne t’inquiète pas« , tu lui fais confiance. Il trouve toujours le bon moyen de parler aux gens. Il a senti que j’avais besoin cette année d’être mise en confiance, il a toujours été très positif avec moi.
Vous avez appris la rapidité dans le travail. À l’inverse, que pensez-vous apporter au SFB ?
Je sais que les gens aiment bien le chic un peu français. Il y a quelque chose au niveau du style, des ports de bras, la façon de se comporter en scène.
Il y a une petite blague avec des ami-e-s de la compagnie. Dans la chorégraphie de Casse-Noisette, il y avait des pirouettes qui me posaient un peu problème. Je les trouvais très difficiles, je ne comprenais pas pourquoi je n’y arrivais pas. Un jour, une fille du corps de ballet est venue me voir et m’a dit : « Non mais ne t’inquiète pas, le jour du spectacle tu nous feras ta ‘French cuisine‘ et tout ira bien« . Il se trouve que j’ai toujours réussies ces pirouettes en scène. Maintenant ils m’appellent tous ‘French cuisine’ (rires).
Comment mélanger la technique française avec la technique américaine ?
Helgi Tomasson me dit souvent que les danseurs et danseuses français, allant tellement dans les détails, pouvaient accorder trop d’importance à des choses qui n’en méritent pas autant. « Mets l’importance sur l’arabesque, sur le saut« , me dit-il. Ici, j’apprends à danser plus grand, plus fort, plus large. Ce qui est bien est de garder les deux. Ce qui fait aussi la qualité des danseur-se-s français c’est cette précision, c’est ce que j’aime aussi regarder. En faisant ma ‘French cuisine’, j’essaye de mélanger les deux et c’est très intéressant.
Quelle est une journée type au San Francisco Ballet ?
La plupart du temps, nous commençons par un cours à 10h, tous ensemble. Parfois il y a des cours hommes/femmes séparés. Les répétitions commencent à 11h30. Ce sont des sessions d’une heure, avec cinq minutes de pause entre chacune. Elles s’enchainent jusqu’à 19h30 parfois, lorsqu’il n’y a pas de spectacles le soir. Je ne fais donc pas plus d’heures qu’à l’Opéra, mais comme je travaille beaucoup plus de ballets, cela semble énorme. Le travail est beaucoup plus intense, je suis parfois complètement cuite au bout de deux heures.
Comment se passe une saison au San Francisco Ballet ?
De juillet à décembre, nous apprenons tout le répertoire. Ce mode de fonctionnement a été un peu dur, du fait que l’on ne va pas en scène pendant plusieurs mois, même si nous avons eu la chance cette saison d’avoir une tournée à New York en octobre.
Puis nous dansons de décembre à juin, en démarrant par Casse-Noisette. Nous avons des spectacles presque tous les soirs, souvent des soirées mixtes. On peut donc danser deux ballets par soir. On court dans les loges se changer avant de revenir en scène, c’est de la folie et c’est tous les soirs ! La dernière semaine de la saison, j’ai dansé neuf spectacles, deux spectacles à chaque fois. J’ai donc dansé 18 ballets en une semaine.
Dans toutes les compagnies américaines, il y a la tradition du Casse-Noisette de Noël, ce même ballet dansé tous les ans pendant les Fêtes. Le San Francisco Ballet démarre sa saison avec ce ballet. Est-ce-que c’est une ambiance particulière ?
On m’avait dit que ça serait la folie. Les gens viennent tous les ans voir le même ballet depuis 15 ans, c’est la sortie de famille. Tout le monde est habillé pour Noël, avec les robes de Noël, avec des chocolats de Noël. Ce sont deux spectacles par jour pendant trois semaines. Je ne sais pas comment le corps de ballet s’en sort à vrai dire. En tant que Principal, on ne fait pas autant de spectacles. J’ai dansé le pas de deux final et la Sugar Plum Fairy (ndlr : dans cette version, Clara est dansée par une enfant), j’ai dû danser sur une douzaine de spectacles.
Les danseurs et danseuses ne sont pas lassé-e-s ?
Pour moi, c’était nouveau donc génial ! Mais c’est sûr que faire ça pendant dix ans, je ne sais pas. Malgré tout, tout le monde est content de le danser car il y a beaucoup de choses à faire. C’est aussi un moyen de tester sa technique. Si j’étais dans le corps de ballets, après deux spectacles par jour, je pense que je n’aurais plus peur de rien. C’est vraiment un moyen de faire de la scène aussi, d’avoir des solos, la compagnie teste des petits jeunes. J’ai l’impression que c’est vraiment là qu’ils apprennent leur métier. C’est génial d’avoir autant d’expérience de scène en si peu de temps.
Le public américain est-il différent du public français ?
J’ai l’impression qu’il est beaucoup plus expansif, même si ce n’est pas non plus à la cubaine. Les premières à l’Opéra de Paris sont toujours un peu froides, ici c’est vraiment la folie. Le public est vraiment bon public, dans le sens où il y a un côté « entertainment » au ballet. Les gens prennent du plaisir à venir nous voir, c’est un moment de détente. Cela fait aussi partie des choses qui font que l’on ressent moins de pression.
Il y a aussi tout un rapport au public qui est différent. Le San Francisco Ballet communique beaucoup avec le public, avec les abonnés. Ils savent très bien donner envie aux gens de venir voir les spectacles.
Le SFB est par exemple très présent dans les rues de San Francisco, par des affiches ou autres ?
Il y a des photos de ballets partout dans la ville, mais ce n’est que six mois dans l’année. San Francisco est une plus petite ville aussi, le rythme de la vie culturelle est moins important qu’à Paris. Donc quand la saison du ballet est en cours, c’est la folie.
Sur toute cette saison, quel rôle avez-vous préféré danser ?
Giselle. J’ai eu dix jours entre ma première répétition et mon premier spectacle. Au début, je ne pensais danser uniquement lors de la dernière représentation, ce qui me laissait une semaine de plus de répétition. Puis j’apprends que je vais aussi danser lors du deuxième spectacle. Je suis allée voir Helgi Tomasson pour lui dire que je ne serai jamais prête. Je crois être la seule personne qui ait été voir un directeur pour lui dire de ne pas danser un spectacle, il m’a d’ailleurs regardée un peu bizarrement (rires). Il voulait juste me donner la chance de danser deux spectacles, c’était en fait un cadeau. Il m’a dit : « Non, ne t’inquiète pas, tu seras prête« . Et j’étais prête.
Giselle est un peu le rôle rêvé de la ballerine. J’ai toujours vu ce ballet de mon point de vue, celui du corps de ballet. Sur scène, pendant le moment de la folie, je me disais que jamais je ne pourrais faire ça, c’était juste pour Carla Fracci et Aurélie Dupont ! C’est arrivé si vite que je n’ai pas eu le temps d’être timide, de paniquer, de me dire que je n’y arriverais pas. Je n’avais pas le temps pour ça.
Nous avons pris scène par scène, acte par acte, solo par solo, et nous avons juste travaillé pour y arriver. Giselle a finalement été le ballet le plus simple que j’ai eu à monter. On mettait juste les choses à plat, on n’avait pas le temps de se prendre la tête et de faire des drames. Cela a été d’une limpidité incroyable.
Avez-vous travaillé avec un partenaire en particulier cette année ?
Je crois que j’ai dansé avec tous les Principals hommes ! Les partenaires sont incroyables. Je suis aussi bien avec Joan Boada qu’avec Davit Karapetyan, j’ai dansé Giselle avec Tiit Helimet. J’aime beaucoup David, je me sens vraiment en sécurité quand je danse avec lui, je me sens bien. Mais comme nous dansons beaucoup de choses, nous travaillons avec beaucoup de monde.
Maria Kochetkova est la Principal la plus médiatique de la compagnie, mais elle n’est pas la seule. Pouvez-vous nous parler des Étoiles du San Francisco Ballet ?
Maria Kochetkova est vraiment une danseuse incroyable. J’imagine qu’on peut ne pas aimer, c’est un style, mais elle est fabuleuse. Il y a un temps, elle pouvait être la grande leader du groupe, elle était un peu seule. Maintenant, ce n’est plus vraiment le cas, il y a Yuan Yuan Tan, Sofiane Sylve… J’aime beaucoup Frances Chung et Sarah Van Patten. Frances est une technicienne incroyable. Je ne l’ai jamais vu rater un seul pas, sa danse est une horlogerie d’une précision incroyable. Sara est une interprète formidable. C’est celle qui va faire pleurer le public en deux secondes. Elle est le drame, elle a des yeux et un visage qui prennent la lumière. Elle était géniale dans Giselle.
Comment se passent les promotions dans la hiérarchie de la compagnie ? Comment les danseurs et danseuses se font remarquer sans le Concours de promotion (qui est une spécificité de l’Opéra de Paris) ?
Les cours et répétitions sont très importants, ce sont les mêmes personnes qui les donnent, y compris Helgi Tomasson. Tout compte. Le directeur est tout le temps avec nous, en cours, en répétition, il connaît tous les danseurs et danseuses par cœur. Il ne découvre pas les gens en scène.
Et comment avez-vous vécu cette année sans Concours de promotion ?
C’était génial ! (rires). Cela m’a fait un choc de me réveiller un matin et de voir les résultats. Les gens ont dansé pendant que je dormais, c’était un peu bizarre. Je n’ai rien ressenti, ni peine ni douleur, alors que je m’y attendais un peu. Cela faisait onze ans que je passais ce Concours, il était profondément incrusté en moi. J’étais juste très contente pour Amandine et triste pour les autres, je savais tellement ce qu’elles avaient pu ressentir. J’étais aussi très contente de ne pas avoir cette déprime d’après Concours, d’être loin de tout ça. Je me suis sentie soulagée. Ce concours ne me convenait pas, ce système ne me convenait pas.
Le San Francisco Ballet, comme beaucoup de compagnies américaines, a un staff médial très important. Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
J’ai appris à prendre soin de mon corps, et c’est l’un de mes gros apprentissages cette année. Les contrats au SFB durent un an, nous n’avons donc pas intérêt à être blessé trop longtemps. Comme nous n’avons pas non plus beaucoup de temps pour apprendre les ballets et les travailler, il faut vraiment être en forme pendant les répétitions, ne pas juste être là.
Le matin, j’avais l’habitude d’arriver dix minutes avant le début du cours, et encore, quand je suis large. Ici, le cours commence à 10h… Et à 9h, tout le monde est sur les vélos dans la salle de sport, à faire son échauffement. Au début je me disais : « Mais qu’est-ce qu’ils font ? Ils sont malades, c’est trop tôt pour faire ça ! Ils ne bossent pas assez dans la journée ? Ils sont fous ! » (rires). Maintenant, je fais la même chose.
Comment cela se passe concrètement ?
Il y a toute une équipe incroyable présente au SFB. Des médecins viennent presque tous les jours, des kinésithérapeutes, des masseurs, des préparateurs physiques. Il y a une piscine de récupération, un spa, une salle de musculation incroyable avec un coach, des cours de pilate. C’est comme dans une équipe de foot, il y a tout pour être en forme, nous sommes considérés comme des sportif-ve-s de haut niveau. Nous avons des sortes de prescriptions et tout ce qui touche à notre corps, tout ce qui nous rend meilleur danseur-s-es, est gratuit. On peut ainsi avoir autant de massage que l’on veut, de séance de gyrotonic (une espèce de pilate adaptée à la danse), de coaching… Pour ma part, j’ai deux massages et deux séances de gyrotonic par semaine, plus la musculation. Cela fait partie du ballet. À l’Opéra, je ne m’en apercevais pas
Tout le staff est aussi conscient que la saison est difficile, et celle-ci a été particulièrement compacte. Ils savent que les danseurs sont humains, donc cassables. En répétition, à partir d’une certaine heure dans la journée, les maîtres de ballets nous disent de ne pas trop pousser.
Nous nous prenons en main aussi, nous sommes adultes. Si l’on sent que l’on a mal quelque part, que le mollet crampe un peu, on ralentit. Ce n’est pas grave, on fera à fond le lendemain. On gère son corps. Au final, j’ai dansé comme une folle, 18 ballets lors de la dernière semaine par exemple, et je n’ai pas été blessée du tout, je n’ai mal nulle part.
Gérer sa fatigue pendant les répétitions, ce n’était par exemple pas possible à l’Opéra ?
Mon statut a changé aussi. Aujourd’hui, en tant que Principal, je peux dire qu’à un moment, je vais y aller doucement. Quand on est dans le corps de ballet, nous devons faire comme les autres. Je ne sais pas comment les Étoiles gèrent ça à l’Opéra. En tout cas, si je reviens à Paris, je continuerai à gérer mon corps comme je l’ai appris au San Francisco Ballet. Je me sens très en forme et beaucoup plus athlétique qu’avant. C’est génial. C’est aussi peut-être que pour ça que j’ai moins peur d’aller en scène.
Votre rapport à la scène a changé durant cette saison américaine ?
Je me suis rendue compte que j’ai dansé toute cette année sans avoir peur, ce qui n’était pas le cas à l’Opéra. J’avais ce stress de la scène. À l’Opéra, il y a une immense pression, comme un cérémonial avant les spectacles. Tout le monde vient voir les petits jeunes qui se lancent par exemple. Il n’y a pas cela au SFB, et le fait est que, cette année, j’ai toujours été très heureuse d’aller en scène.
Toutefois, je me demande si cette immense pression que l’on a à l’Opéra ne nous fait pas faire de meilleurs spectacles. Au fond de moi, j’ai un peu peur qu’à force d’être si contente, je vais peut-être commencer à danser de moins bons spectacles…
Quels seraient d’ailleurs les bons côtés de l’Opéra, maintenant que vous avez travaillé avec une compagnie si différente ?
À l’Opéra, nous avons énormément de temps pour travailler les ballets, c’est un vrai luxe de pouvoir approfondir les rôles. La Maison a aussi suffisamment d’argent pour avoir des costumes incroyables, de superbes scénographies, organiser de grosses tournées et avoir beaucoup de ballets en trois actes. Ce n’est pas forcément le cas aux États-Unis car il n’y a pas toujours assez d’argent. Je me demande si, au bout d’un certain temps, cela ne sera pas plus frustrant.
Lors de cette saison au SFB, vous avez aussi travaillé avec Natalia Makarova sur La Bayadère. Comment se passaient les répétitions avec elle ?
Cette rencontre a été très intéressante. C’était passionnant, même si je ne comprenais pas bien de ce qu’elle me disait au début (rires). Ce sont les mêmes pas mais dansés différemment, à la russe. Natalia Makarova ne lâche pas tant qu’elle n’a pas ce qu’elle veut, c’est un personnage ! Au début, c’était difficile de travailler avec elle, mais sur scène, lorsque je voyais le résultat, je comprenais où elle voulait arriver. Elle a sa vision de la danse et j’aime ça. C’est très différent de l’Opéra, c’est presque l’opposé. Elle disait : « Ohhh, Noureev version, Noureev Bullshit« . Au fond, je l’aimais bien et elle m’aimait bien.
Le SFB a dansé l’acte des Ombres de La Bayadère. Vous étiez distribuée sur l’une des Ombres, que vous dansiez à Paris, et non pas sur Nikiya. Ce n’était pas frustrant ?
Mais il n’y avait que des Principals sur ces trois Ombres. Comme l’on ne donne que le troisième acte, la répartition des rôles est différente. Nikya n’a pas de solo, elle a un adage, alors que les Ombres sont des solos. J’étais juste contente d’avoir l’occasion de travailler avec Natalia Makarova. Et je travaillais en même temps sur Don Quichotte pour l’Opéra de Paris, cela tombait donc bien que je ne fasse pas Nikiya.
Revenons sur Don Quichotte justement. En mars dernier, vous avez été rappelée en urgence par l’Opéra de Paris pour danser Kitri au Japon. Comment cela s’est fait ?
Une Étoile s’est blessée à Paris. Un jour, Helgi Tomasson vient me voir et me dit très sérieusement qu’il faut que l’on se parle après la répétition de La Bayadère, dans son bureau. Bon, qu’est-ce que j’ai fait encore ? (rires). Il me dit finalement que Brigitte Lefèvre venait de l’appeler pour savoir si j’étais disponible. Et il me demande si cela me dirait de partir danser Don Quichotte, Comme je ne dansais pas Nikiya, il pouvait me libérer. Cela s’est fait très simplement, je n’ai finalement raté que peu de spectacles avec le San Francisco Ballet.
Comment avez-vous retravaillé ce rôle ?
Il y a eu un hasard incroyable : Monique Loudières était cette semaine-là à la San Francisco Ballet School pour donner des master-class. C’était la première fois qu’elle venait, et cela tombait juste sur la semaine où je devais répéter Kitri. Cela ne pouvait pas mieux tomber. Je suis ensuite partie à Paris pour répéter une semaine avec Mathias Heymann. J’ai eu presque 15 jours de répétition, ça allait.
Don Quichotte est votre ballet préféré, Mathias Heymann votre partenaire préféré… Il y avait tout pour être heureuse ?
Don Quichotte, avec Mathias Heymann, avec l’Opéra de Paris, au Japon : tout était parfait. C’était un rêve ! J’étais très triste en décembre dernier que nous n’ayons pas pu danser ce ballet ensemble car il était blessé. J’aurais aimé faire mon premier Don Quichotte avec lui.
J’ai apprécié ce ballet différemment. Ne pas danser du Rudolf Noureev pendant un an me l’a fait aimer encore plus. Ce sont aussi des costumes magnifiques, faits sur-mesure… J’ai adoré revenir comme ça, retrouver tout le monde. Lors de la première répétition, j’avais l’impression d’être à un dîner de Noël et de retrouver les anciens, les membres de ma famille. « Et toi, ça va ? Tu as fait quoi ?« . C’était dur de se concentrer car j’avais envie de parler à tout le monde (rires).
Mais vous n’avez pas trouvé ce rappel un peu surréaliste ? Vous n’arrivez pas à être promue à l’Opéra, et du jour où vous partez, vous devenez indispensable…
J’étais juste très contente de retourner danser à l’Opéra. Les choses sont beaucoup plus simples que toutes les stratégies que le public peut imaginer. Il y a beaucoup de formidables danseuses à l’Opéra, ils auraient pu en trouver une pour danser Kitri dans l’absolu. Mais quand il manque quelqu’un à dix jours de la première, cela va plus vite d’appeler une artiste qui a déjà dansé le rôle plutôt que de former une autre danseuse. C’était surréaliste d’être demandée par l’Opéra si rapidement, c’est vrai que c’est étonnant qu’ils aient dû me rappeler. Mais après tout, j’ai aussi une carrière atypique. J’étais la seule à être disponible et à avoir déjà dansé le ballet, il se trouve que je suis Sujet… C’est dans la continuité de ma drôle de carrière.
Brigitte Lefèvre savait aussi que je venais de faire Giselle, que j’étais en forme, que j’avais beaucoup travaillé ce rôle en décembre et qu’il me reviendrait donc vite. Je pense aussi qu’elle était contente de me faire revenir danser. Il était en tout cas hors de question que je négocie quoi que ce soit, une nomination d’Étoile ou autres. Je n’ai aucune amertume, je suis bien où je suis, je suis bien si je reviens à l’Opéra aussi. C’était juste incroyable de revenir danser à l’Opéra en tant que Principal, c’est incroyable ce qui s’est passé pour moi cette année.
Pour revenir au San Francisco Ballet, la compagnie est l’invitée des Étés de la Danse et se produira au Théâtre du Châtelet du 10 au 26 juillet. Qu’est-ce cela vous fait de revenir à Paris ?
C’est génial bien sûr ! J’ai moins de pression que je ne pensais, comme je suis déjà revenue pour Don Quichotte. Cela va aussi être bizarre de danser au Châtelet, non pas à l’Opéra. Je suis contente de redanser devant les gens qui m’ont vu évoluer depuis que j’ai 17 ans. J’espère que le public va aimer le programme.
En parlant du programme, il est composé de soirées mixtes avec trois-quatre ballets différents par soir. Les œuvres choisies représentent-elles toute la diversité du répertoire de la compagnie ?
Plutôt bien, si ce n’est que nous dansons aussi des purs classiques, comme La Bayadère, qui ne font pas partie de cette tournée. C’est aussi une volonté des Étés de la Danse, qui voulait montrer au public parisien des choses différentes. Pour ma part, je devrais danser six ou sept ballets du programme. Beaucoup ont été dansés par la troupe il y a deux ou trois saisons, pratiquement aucun n’était programmé cette année. J’ai donc de nouveau dû apprendre beaucoup de choses en 15 jours. Nous avons eu trois semaines pour préparer cette tournée.
Le SFB va danser quelques ballets de George Balanchine et de Jerome Robbins. Quelle est leur façon de travailler ces chorégraphes américains ? Est-ce très différent qu’à l’Opéra ?
J’ai beaucoup dansé Brahms-Schoenberg Quartet de George Balanchine cette saison, un ballet très difficile, mais nous n’avons finalement pas dansé beaucoup de ballets de ces deux chorégraphes. Je dirais que le travail est extrêmement musical, il n’y a aucun moyen de ne pas être sur la musique. La ballerine doit toujours être mise en valeur, le partenariat est ainsi tourné vers la danseuse. Balanchine, c’était beaucoup à propos de la femme.
Les danseurs-se-s du San Francisco Ballet abordent ces œuvres de façon beaucoup plus décontractée. En France, chaque fois que je devais danser du Balanchine, il y avait quelque chose d’un peu stressant. La technique est très difficile, ça va vite, il faut faire attention à la musique… Cela fait un peu peur, en tout cas pour moi. Au SFB, ils ont une approche beaucoup plus directe. Ils n’ont pas peur de faire ce genre de chose, même si c’est une compagnie où il n’y a finalement pas beaucoup d’Américain-e-s, donc peu d’artistes familiers de George Balanchine à la base.
Helgi Tomasson était un danseur de Balanchine, il a créé plusieurs de ses ballets. Il nous aide beaucoup à appréhender ces œuvres plus calmement. Ce sont juste des pas que l’on a l’habitude de faire en cours, il ne faut pas en faire tout un plat non plus. Une fois que l’on est sur la musique, tout coule.
Le public pourra découvrir lors de cette tournée des œuvres du directeur du San Francisco Ballet, Helgi Tomasson. Comment qualifieriez-vous ses ballets ?
Je dirai que c’est néoclassique, avec tout ce que la définition du néoclassique a de pas évidente. Même si c’est très différent, son travail peut se rapprocher dans l’idée de celui de Jean-Guillaume Bart. Caprice, par exemple, est un ballet très classique.
Le San Francisco Ballet va aussi présenter plusieurs ballets d’Alexeï Ratmansky et Christopher Wheeldon. Quel regard portez-vous sur ces chorégraphes que tout le monde s’arrache ?
Je n’avais pas travaillé avec Alexeï Ratmansky lorsqu’il était venu à Paris et ça a été l’une des superbes rencontres de cette saison. J’ai dansé trois ballets de lui. Il est d’une grande gentillesse et il donne des clés pour ses mouvements. Si nous bloquons sur un pas, il lui suffit de donner une correction pour que nous soyons débloqués. Il se lève, il montre, c’est un chat. Ses ballets sont des œuvres sombres et difficiles à danser. Au niveau de l’interprétation, il s’agissait d’ailleurs de mes premiers ballets un peu durs. Shostakovich Symphony n°9, par exemple, se passe pendant la guerre, sur la vie du compositeur, il y a une ambiance. Je dansais un couple qui se cachait des soldats. Pour moi, les ballets d’Alexeï Ratmansky sont beaucoup plus contemporains dans la façon de bouger que ceux de Helgi Tomasson.
J’aime beaucoup les deux ballets de Christopher Wheeldon présentés lors de cette tournée, Ghosts et Within the Golden Hour. Il a vraiment son propre langage. Il a un travail très précis sur la musique, chaque pas est millimétré sur la partition, c’est impressionnant. Et il choisit toujours des musiques incroyables.
La troupe va aussi danser des œuvres de chorégraphes moins connus en France, comme Marc Morris ou Yuri Possokhov. Pouvez-vous nous en parler ?
Mark Morris a une danse très contemporaine. Classical Symphony de Yuri Possokhov peut faire penser à The Vertiginous Thrill of Exactitude de William Forsythe, même s’il travaille différents styles selon ses pièces. Yuri était Principal dancer dans la compagnie, il est devenu chorégraphe.
Parmi les 18 ballets que va présenter la troupe, lequel est votre préféré ?
Je ne la danse pas, mais la création de Liam Scarlett, Hummingbird, est assez géniale. Les danseurs et danseuses avaient commencé à travailler avec lui alors que la troupe donnait une tournée à Londres, il y a un an. Liam Scarlett est ensuite venu travailler à San Francisco. C’est un ballet abstrait mais avec une atmosphère, une espèce de trame, à chacun-e d’y voir ce qu’il-elle veut. La musique est magnifique. Le tout est dans une veine plutôt contemporaine, même si les filles sont sur pointes la plupart du temps. Liam Scarlett est un vrai petit génie, il n’a que 27 ans et fait des ballets incroyables, il a vraiment des choses à dire.
C’est la minute promo : que diriez-vous au lecteur-rice-s pour leur donner envie d’aller voir le San Francisco Ballet aux Étés de la danse ?
C’est une compagnie qui a un niveau incroyable, vraiment, non seulement techniquement mais artistiquement. Il y a des interprètes incroyables. Il y en a pour tous les goûts, et dans la programmation et dans les danseur-s-es, c’est une volonté du directeur. La compagnie peut aussi bien danser La Bayadère qu’Alexeï Ratmansky. C’est assez incroyable de voir que ces danseur-se-s, qui sont tellement différent-e-s, arrivent à se mouler dans tous ces styles. À l’Opéra de Paris il y a aussi un répertoire très varié, mais nous ne partons pas en tournée avec 18 ballets.
Je crois qu’avoir tous ces danseur-se-s différents, tous ces styles différents, toutes ces façons de bouger différentes, cela crée un état d’esprit particulier. Il y a vraiment une bonne ambiance au San Francisco Ballet, c’est ce qui fait l’unité de la troupe. Les gens sont contents de danser ensemble et de danser ces ballets, cela se sent en scène. Il y a vraiment de la joie. Je crois que c’est assez rare finalement.
C’est quelque chose qu’il n’y avait pas à l’Opéra ?
Je ne sais pas.. Je parle de mon point de vue. À la fin, c’était dur pour moi. Pour les gens qui viennent voir le Concours de promotion, c’est facile, c’est juste un compte-rendu sur Internet. Pour nous, cela nous dure des mois. Le temps de le préparer, de le passer et de s’en remettre, c’est six mois de tristesse. Finalement cette année, j’ai eu six mois de déprime en moins (rires).
Vous avez retrouvé une certaine légèreté au San Francisco Ballet ?
J’ai retrouvé cette joie de danser, d’être un peu insouciante. Maintenant que je suis Principal, je n’ai plus à me soucier de passer des concours, de me demander si je vais monter ou pas, quel sera mon avenir. Je n’ai plus les gens qui viennent me dire qu’ils sont désolés que je ne sois pas montée. Il y a quelque chose de beaucoup léger pour moi.
Je me suis toujours beaucoup posée de questions, je m’en pose toujours beaucoup. Mais cette année, je n’avais plus cette pression du Concours et cette tristesse. J’étais sûre que j’allais faire les rôles, je n’avais pas à me battre pour en avoir un, attendre, espérer, j’étais sûr que j’allais le faire. Cela fait du bien après avoir espéré pendant tant d’années et tant de déceptions. Cela fait du bien, quand Giselle est programmée, de danser le rôle-titre d’office. C’est reposant.
Comment avez-vous évolué en tant que danseuse cette saison ?
C’est encore un peu court pour faire le bilan. Il y a beaucoup de choses sur lesquelles je suis beaucoup plus sereine maintenant. Mais je suis plus sereine aussi parce que j’ai l’impression d’avoir été au bout de plein de choses et que je n’ai pas de regret d’être partie de l’Opéra, et d’être repartie pour au moins un an. J’ai essayé pendant 12 ans de monter Première danseuse. Je suis en paix avec ça.
Helgi Tomasson m’a beaucoup aidé aussi. Il n’a pas arrêté de me répéter, mais apparemment c’était quelque chose que George Balanchine disait aussi à ses danseur-se-s : « N’essaye pas de danser comme quelqu’un d’autre. J’aime la façon dont tu danses. Danse comme tu es, reste comme tu es, c’est la bonne façon de faire« . Au début, je ne comprenais pas. À l’Opéra, j’ai toujours essayé de faire mieux, de changer, d’écouter ce qu’on me reprochait. Et tout d’un coup, quelqu’un me demande de danser comme je suis, qu’il aime la façon dont je fais les choses. C’est tellement agréable.
La confiance en soi appelle la confiance en soi aussi. Plus l’on a confiance, plus l’on danse mieux en scène, plus l’on a confiance, etc. Les paroles de Helgi Tomasson m’ont vraiment boostée, cela a été incroyable pour moi. Je vais désormais en scène non pas en me disant : « Les gens n’aiment pas ce que je fais« , mais en pensant : « Les gens aiment ce que je fais« . Cela change tout.
Et en tant que personne, comment avez-vous évolué ?
J’ai l’impression d’être un peu sortie du nid. Ce n’est pas facile d’être si loin de ses proches. Je ne me suis jamais sentie aussi français qu’à San Francisco. J’ai vraiment beaucoup appris. Se retrouver seule dans un nouveau pays si loin, cela fait vraiment mûrir d’un coup. On relativise beaucoup de choses.
Ce que j’ai appris, et ce que je continue à travailler, c’est d’être calme et de prendre les choses une par une, calmement, sans paniquer. Déménager, changer de pays, s’installer si loin, ça a été un choc au début, vraiment. Dans ce cas, soit tu rentres, soit tu te bats un peu. Je suis vraiment contente de m’être un peu battue au début, de ne pas avoir lâché. « Non, tu es là, tu restes jusqu’au bout« . À un moment, j’aurais vraiment pu lâcher, c’était trop dur au tout début. Parfois je me disais que je n’avais pas envie d’avoir tous ces ballets à apprendre, je ne comprenais pas quand les gens me parlaient. J’aurais pu. Mais je suis tellement heureuse de ne pas l’avoir fait. Les deux-trois premiers mois ont été très difficiles, mais je le savais. Le reste était juste génial.
Qu’allez-vous danser la saison prochaine ?
Il y aura encore beaucoup de choses nouvelles ! Je devrais danser Kitri dans Don Quichotte, Juliette dans Roméo et Juliette, reprendre Giselle. La trilogie de Ratmansky revient, je suis très contente de la redanser. J’aimerais aussi être sur la création de Yuri Possokhov, j’adore ce qu’il fait.
Terminons par la même question que l’année dernière : que pouvons-nous vous souhaiter pour la saison prochaine ?
Je crois que c’est ce que j’ai commencé à faire ici : je suis vraiment en train de trouver ma façon de danser et la personne que je voudrais être. J’ai encore besoin d’un an au minimum (sourire) pour continuer à trouver, en rencontrant des gens qui m’y m’aident.
Georges
Merci Amélie et Mathilde pour cette très intéressante interview.
aléna
Merci pour cet entretien qui réchauffe! Que Mathilde continue à danser comme elle est!
Manon
Cette belle interview me donne envie de la voir danser!!
Serena
Effectivement ça change de l’ONP! Espérons qu’elle revienne un jour mais si elle préfère rester là-bas toute sa carrière, qu’elle y reste!
Julie
Merveilleuse interview !
Sinon, savez-vous où on peut trouver les résultats des concours de recrutement ?
Sophie
Selon moi elle devrait poursuivre sa carrière comme Principal à l’ABT.
petit voile
Dans tout ça on n’a même pas droit aux histoires d’oreiller? On nous cache tout on nous dit rien..’
sebdaniel
Waouh, quelle riche interview, chapeau Amélie ! Y’a moyen d’en savoir plus sur les coulisses de l’itv ? (rencontre/appel téléphonique, durée etc)
Amélie
@ Merci à tous et toutes !
@ sebdaniel : Sincèrement, il n’y a rien de particulier : une conversation skype de près de 2 heures.