Le Bal des Vampires au Théâtre Mogador
À grands renforts d’affiches sanguinolentes et de slogans pour le moins subtils (« Mordez la vie à pleine dents !« ), la comédie musicale Le Bal des Vampires s’est installée au Théâtre Mogador. Nouvelle production de Stage Entertainment, il s’agissait d’un véritable pari. Fini les spectacles familiaux estampillés Disney, place à une pièce plus subversive à l’humour grinçant, surfant qui plus est sur la vague du vampire, nouvelle star des box-offices.
Inspiré du film du même nom de Roman Polanski, Le Bal des Vampires a tourné dans toute l’Europe avant de se poser à Paris. Et la version française compte bien rivaliser avec ses consoeurs étrangères. Dès le lever du rideau, le ton est donné : décors avec visiblement de gros moyens derrière, une mise en scène efficace, un scénario bien ficelé qui évite les temps morts, des chorégraphies qui envoient (à défaut d’être follement créatives) et une troupe taquet, Le Bal des Vampires a de l’ambition.
Paris n’a pas la culture des comédies musicales comme Londres et New York. Mais au fur et à mesure des spectacles, le niveau augmente, les artistes sont de plus en plus assurés. Avec près d’un spectacle par an, Stage est l’un des gros pourvoyeurs de rôles, et donc de progrès, pour ces artistes. Pas de doute avec Le Bal des Vampires, la trentaine d’interprètes sur scène n’ont pas volé leur place, les tableaux mélangeant chant et danse sont très réussis et plutôt ambitieux (ce qui n’était pas encore forcément le cas il y a trois ans) et tout le monde sait jouer la comédie (il y a encore peu, un bon chanteur et vraiment bon acteur, ça ne courait pas forcément les scènes parisiennes).
Au casting, Daniele Carta Mantiglia alias Alfred, est croustillant dans une interprétation où le second degré a toute sa place. Assistant du professeur Abronsius, il tombe amoureux de la fille de l’aubergiste Sarah (jeune et jolie Rafaëlle Cohen), qui a très envie d’aller voir le loup du côté du vampire Von Krolock (Stéphane Métro, plus romantique que véritable prédateur sexuel). Après quelques courses-poursuites dans la forêt, tout le monde se retrouve plus ou moins volontairement au château du Comte pour Le Bal des Vampires. Qui en sortira vivant et qui sera vampirisé ? Le (faux) sang coule à flots dans les dédales du château.
Niveau musique, il faut aimer le rock des années 1980. Mais dans le genre, la partition est plutôt efficace. Et cette ambiance 80′ un poil ringarde fait aussi partie du second degré inhérent à cette pièce. Car impossible de jouer Le Bal des Vampires façon Twilight.
Le film Le Bal des Vampires a dû son succès grâce à son second degré. Le monde des vampires est vaste et permet de savoureuses subversions, pour peu que l’on sait sortir du texte. Mais la comédie musicale version française a un peu de mal dans cet exercice. Ou plutôt la production semble constamment hésiter entre spectacle trash et comédie musicale familiale (son public de base). Résultat, sur le ton, le spectacle passe sans cesse de l’univers potache à Alice au pays des merveilles perdue dans les sous-bois. Le personnage de Sarah est ainsi l’exemple-même de la fausse ingénue titillée par sa libido. Mais en face d’elle, son père est bien moins grivois qu’il ne devrait l’être, le Comte bien plus ténébreux que vraiment attirant, malgré une certaine stature. Alfred reste sûrement le personnage le mieux réussi, jouant avec saveur sur une certaine ambivalence, mais il a en face de lui le Professeur Abronsius, semblant tout droit sortir d’un dessin animé. Une ambiance plutôt décontenançante à la fois pour le public adulte venu pour s’amuser, et pour les plus jeunes qui ne peuvent pas forcément tout comprendre (et leur parent de leur expliquer).
Bien en place, efficace, divertissant, Le Bal des Vampires aurait pû être vraiment réussi si le ton subversif avait été maintenu tout du long, assumant franchement son second degré, ses allusions sexuelles et son attitude trash-potache. Et prendre ainsi le risque d’aller chercher un public ciblé. Au lieu de ça, le spectacle veut séduire tout le monde, mais ne convainc finalement totalement personne.
Sortir du spectacle purement familial aurait-il été un risque trop grand pour Stage ? Cabaret, sur scène il y a quelques années et véritable réussite artistique, était tout sauf un spectacle familial. Ça ne l’avait pas empêché de trouver son public.
Le Bal des Vampires de Roman Polanski (mise en scène), Michael Kunze (livret), Jim Steinman (compositeur) et Dennis Callahan (chorégraphie), au Théâtre Mogador. Avec David Alexis (Professeur Abronsius), Stéphane Métro (Comte Von Krolock), Rafaëlle Cohen (Sarah), Daniele Carta Mantiglia (Alfred), Moniek Boersma (Magda), Sinan Bertrand (Herbert Von Krolock), Guillaume Geoffroy (Koukol), Solange Milhaud (Rebecca) et Pierre Samuel (Chagal). Vendredi 17 octobre 2014.