Empty moves (parts I, II & III) d’Angelin Preljocaj, quand l’abstraction laisse découvrir l’essence du geste
Grand habitué des lieux, Angelin Preljocaj présente au Théâtre de la Ville jusqu’au 28 février Empty moves (parts I, II & III). Avec cette chorégraphie, écrite pour quatre interprètes virtuoses, il semble vouloir épuiser toutes les possibilités de mouvements qu’offre un quatuor. Le chorégraphe propose ainsi une danse qui, déshabillée de tout artifice, envoute. Sans conteste, une de ses meilleures pièces !
Empty moves fait écho à Empty words, performance de John Cage où le compositeur livre au Teatro Lirico de Milan une lecture bien particulière de La désobéissance civile. En effet, après avoir pris soin de décomposer l’essai d’Henry David Thoreau en phonèmes, il les soumet au public dans un ordre aléatoire, vidant ainsi le texte de tout sens et excluant toute compréhension possible. Furieux, les spectateur-rice-s milanais-es manifestent bruyamment leur mécontentement, tentant de déstabiliser John Cage qui poursuit pourtant, imperturbable. L’enregistrement de cette mémorable soirée du 2 décembre 1977, où le public, à son insu, finit par faire partie de l’œuvre, tient lieu de bande sonore à la pièce d’Angelin Preljocaj.
À l’abstraction du compositeur de musique expérimentale, répond celle du chorégraphe qui, lui aussi, vide sa danse de tout sens narratif, de toute thématique, pour ne se concentrer que sur le mouvement. Ni décors, ni effets de lumières ne viennent accompagner quatre brillants interprètes, simplement vêtus de boxers et tee-shirts colorés. Seule reste la belle écriture, précise et ciselée d’Angelin Preljocaj et l’énergie de ses danseurs-euses, qui à elles seules fascinent.
Dans ces trois pièces qui n’en font qu’une (les différents volets sont venus s’ajouter au fil du temps, Empty moves I ayant été créé et présenté il y a déjà 10 ans), le chorégraphe se propose de déconstruire son écriture, pour en former une nouvelle. Il considère ce travail comme une recherche qui lui permet de nourrir d’autres spectacles, plus populaires ou narratifs, et nous laisse ainsi entrevoir les diverses influences dont s’inspire son vocabulaire.
On retrouve dans Empty moves (parts I, II & III) une gestuelle classique, bras en couronnes, arabesques et pointes tendues, qui la plupart du temps se déconstruit rapidement par une main qui tombe ou un pied flex. La danse parfois tonique, tranchante et anguleuse, sait aussi jouer de la décontraction des corps, qui se laissent emporter par la vitesse ou réagissent au contact du sol comme d’un partenaire. Elle devient plus tard répétitive, subissant de légères variations de mouvement ou de direction.
L’enregistrement d’Empty words, l’abstraction comme la musicalité interne au mouvement, font penser quant à elles à Merce Cunningham, compagnon de John Cage auprès duquel Angelin Preljocaj étudia. Les gestes et le rythme auquel ils s’accomplissent, faits d’accélérations et de décélérations soudaines, semblent ainsi venir du corps des interprètes, bien plus que de la partition sonore. Mais dans le cas d’Empty moves (parts I, II & III), l’abstraction est loin de bannir toute émotion.
Ainsi cette pièce, qui distille des pointes d’humour par petites touches, fait à plusieurs reprises sourire. Les pas de deux, dans l’écriture desquels Angelin Prejlocaj excelle, comme la complicité évidente des interprètes entre eux, diffusent souvent une atmosphère tendre ou joyeuse. Certaines scènes sont au contraire violentes, comme celle ou les deux danseurs, s’entendant d’un regard, malmènent les corps de leurs compagnes, qui inanimés semblent se transformer sous les yeux du public en poupées de chiffons sorties des Noces du même chorégraphe.
Ce que l’on retient surtout d’Empty moves (parts I, II & III) reste le talent d’Angelin Preljocaj pour créer des figures à géométrie variables, fixes ou en mouvement, malaxant les corps comme le ferait un brillant sculpteur. Ainsi que l’incroyable performance de ses interprètes, dont l’endurance comme la justesse de geste, de placement et de rythme fascinent.
Empty moves (parts I, II & III) par le Ballet Preljocaj au Théâtre de la Ville. Chorégraphie d’Angelin Preljocaj. Création sonore de John Cage, Empty words. Remerciements à Goran Vejvoda. Assistant, adjoint à la direction artistique Youri Aharon Van den Bosch. Choréologue, assistante répétitrice Dany Lévêque. Avec Virginie Caussin, Sergio Diaz, Yan Giraldou et Natacha Grimaud. Mercredi 17 février 2015.
Empty moves (parts I, II & III) sera en tournée en Suisse puis dans le sud de la France jusqu’en juin 2015.