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Le Lac des Cygnes – Hannah O’Neill et Yannick Bittencourt

La série du Lac des cygnes a marqué l’avènement d’une Nouvelle Vague au sein du Ballet de l’Opéra de Paris. La première du ballet avait laissé dans son sillage une impression mitigée. La version que Rudolf Noureev avait créée pour l’Opéra de Paris semblait à bout de souffle, comme étrangère à son propre foyer. À un tel point que la question commençait douloureusement à poindre : et si ce Lac des cygnes alambiqué était devenu inadapté ? Mais quelques envolées de cygnes et une nomination plus tard, un vent d’espoir s’est levé. En effet, les soirées « Jeunes danseur-se-s » officieuses ont permis à Héloïse Bourdon, Sae Eun Park et François Alu de raviver un ballet classique qui paraissait désenchanté. Mercredi 8 avril dernier, j’ai  volontiers chaviré dans le tout premier « Lac des cygneaux » de Hannah O’Neill et de Yannick Bittencourt. Enrichie d’influences glanées aux quatre coins du globe, leur danse polychrome a confirmé la diversité des jeunes talents. « Génération Millepied » à l’horizon ?

Le Lac des cygnes, Hannah O'Neill et Yannick Bittencourt

Le Lac des Cygnes, Hannah O’Neill et Yannick Bittencourt

Enfin un cygne à l’Opéra de Paris ! Un parti pris technique grâce auquel la créature – à la fois aquatique et aérienne – prime sur l’humaine. Les balletomanes envieux des ailes ondoyantes des danseuses russes ont de quoi être enthousiastes. Avec les bras « vaganoviens » et le buste expressif de Hannah O’Neill, cette Odette embrasse la dimension fantastique de ses ancêtres du XIXe siècle. Cet effet époustouflant est amplifié par le travail ciselé du corps de ballet. Le résultat s’éloigne de la conception originale de Rudolf Noureev mais ne reconnaît-on pas une artiste en herbe à sa capacité à s’approprier les grands rôles du répertoire ? Hannah O’Neill, mi-japonaise, mi-néozélandaise, n’a que 22 ans. Elle brille pourtant déjà par une maturité artistique dont peu de Sujets peuvent s’enorgueillir.

Pour son premier grand rôle, elle a incarné un cygne aux plumes versatiles. Son Odette n’est pas la plus effarouchée qui soit (Héloïse Bourdon dépeignait une blanche colombe, dans le plus pur style classique) même si ses bras s’affolent avec frénésie à la vue de Rothbart (quand ceux de la princesse Ludmila Pagliero restaient dignement suspendus dans les airs). Certes, son jeu de jambes n’est pas animé du frémissement caractéristique d’Odette. Hannah O’Neill a trop d’aplomb pour exhaler la fragilité. Et, parfois, le cygne de la danseuse s’efface au profit du poulain de concours qui revient au galop.

Le Lac des cygnes, Hannah O'Neill

Le Lac des Cygnes, Hannah O’Neill

Mais, unique en son genre à l’Opéra de Paris, Hannah O’Neill propose un cygne d’Extrême-Orient nimbé d’une aura mystérieuse. C’est justement dans l’acte du cygne noir que cette singularité flamboie au grand jour. La palme de l’Odile la plus désarmante de la série lui revient. Qui soupçonnait de la sage danseuse une cruauté aussi cinglante que sophistiquée ? Si les fameux fouettés d’Odile manquent encore un peu de fougue, la jeune artiste a néanmoins déployé un pouvoir de domination et de jouissance d’une intensité telle qu’il aurait pu heurter les esprits les plus puritains. L’Étoile d’un soir a trouvé son registre, ou plus vraisemblablement, l’un de ses registres.

Entre cette femme délicieusement vénéneuse et un précepteur dual (Karl Paquette, Étoile charismatique à la hauteur de son titre) qui revêt également les atours du sorcier, l’épanouissement affectif du prince Siegfried ne dépassera pas le stade de bourgeon. Par sa physionomie particulière, l’élancé Yannick Bittencourt – tout en bras et tout en jambes – incarne un prince volatile. Il a le bas de corps d’un faon fébrile et a eu l’intelligence d’en faire un atout pour habiter son personnage. Après tout, Siegfried est ce prince indécis dont les épaules trop frêles se dérobent sous le poids des fonctions qui l’attendent. Il est indifférent à l’effervescence intéressée de la cour et rebelle face au destin tout tracé qui lui est imposé par l’étiquette. Le danseur reste donc habilement en retrait. Il y a un peu d’hésitation – notamment dans le travail du bas de jambe – mais beaucoup d’ampleur et de majesté dans ses gestes. Artiste aux lignes nobles, Yannick Bittencourt danse « grand ». En écho à son personnage d’adulescent qui rêve sa vie en « grand » dans un palais trop étriqué ? In fine, Yannick Bittencourt et Siegfried se confondent.

Le Lac des cygnes, Yannick Bittencourt

Le Lac des Cygnes, Yannick Bittencourt

Dans l’environnement délavé – matérialisé par des costumes pâles et des décors sobres – du prince, damoiselles et damoiseaux défilent sans relief sous l’œil distrait du prince. Seule la radieuse Aubane Philbert (pétillante bulle de champagne) apporte un peu de fraîcheur printanière à ce monde d’automates. Mais le  Siegfried romantique voire « romantisch » de Yannick Bittencourt n’a qu’une quête en tête : se dérober, s’élever, s’envoler. À la vue des danses brouillonnes du premier acte et de ces couleurs fades, je le comprends. Sans parler de cette arbalète – symbole grossier de virilité – dont il est affublé et de ce précepteur sournois. Malheureusement, le prince maudit ne vole que par procuration, en fantasmant une rencontre avec l’oiseau rare qu’est Odette. Même ses bras longilignes qui figurent des ailes d’aigle sont impuissants à l’extraire du monde terre à terre qu’il s’obstine à poétiser.

Des scènes sans saveur de la cour aux actes blancs fantasmagoriques sortis de son imaginaire, le jeu de Yannick Bittencourt évolue avec une intensité allant crescendo jusqu’aux grands jetés finaux qui traduisent son désespoir à vif. La timidité technique des premières variations n’est, lors du final, qu’un lointain souvenir. Sur le plan de l’émotion, mention très bien pour le partenariat équilibré avec Hannah O’Neill. C’est en effet un couple profondément amoureux et par là même attendrissant qu’ils ont interprété dans les deuxième et quatrième actes. De la tendre étreinte de leurs débuts à l’effleurement furtif du dernier pas de deux, la complicité opère. L’émergence d’une Nouvelle Vague dans les rangs d’ordinaire bien serrés de l’Opéra de Paris a indéniablement fait germer de belles graines de solistes.

Le Lac des cygnes, Karl Paquette et Hannah O'Neill

Le Lac des Cygnes, Karl Paquette et Hannah O’Neill

 

Le Lac des cygnes de Rudolf Noureev par le Ballet de l’Opéra national de Paris à l’Opéra Bastille. Avec Hannah O’Neill (Odette:Odile), Yannick Bittencourt (Siegried), Karl Paquette (Wolfgang/Rothbart, Marie-Solène Boulet (la Reine), Letizia Galloni, Aubane Philbert et Florimond Lorieux (pas de trois), Héloïse Bourdon, Laure-Adelaïde Boucaud, Fanny Gorse et Ida Vikinkoski (les 4 grands cygnes), Marine Ganio, Eléonore Guérineau, Myriam Kamionka, Pauline Verdusen (les 4 petits cygnes). Mercredi 8 avril 2015.

 

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