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Paquita – Laura Hecquet, Karl Paquette et François Alu, la danse classique acclamée

Une nouvelle série de Paquita de Pierre Lacotte s’ouvre au Palais Garnier, et avec elle le chatoiement grisant d’une danse classique magnifiée. La première fut un triomphe : Laura Hecquet, Karl Paquette et François Alu, mais aussi des demi-solistes et un corps de ballet splendides, ont donné tout son éclat à ce ballet qui sied parfaitement au Ballet de l’Opéra de Paris.

Paquita - Laura Hecquet et Karl Paquette

Paquita – Laura Hecquet et Karl Paquette

Paquita, c’est une histoire rocambolesque et simpliste qui n’appartient plus du tout à notre imaginaire. Qui aurait même de quoi agacer, si l’intrigue ne s’effaçait pas devant le soin apporté à la mise en scène et la virtuosité de la chorégraphie. L’argument est tout droit sorti des espagnolades du milieu du XIXe siècle, relevées à la sauce des mélodrames en vogue à cette époque.

Plus fortunée que ses cousines Carmen et Esmeralda, Paquita a été sauvée bébé par des gitan-e-s (ou enlevée ? attention, aucun cliché ne nous est épargné) du massacre où a péri sa noble famille. Parce qu’elle a grandi parmi des gitan-e-s, la jeune fille est piquante et sensuelle, farouche aussi. Mais, parce qu’elle possède un médaillon qui semble témoigner de son ascendance aristocrate, elle est prise d’accès de mélancolie et rêve à une vie meilleure. Promise au fruste gitan Inigo, Paquita a le bonheur de croiser sur sa route Lucien d’Hervilly, fils du général et comte d’Hervilly – le ballet d’origine est à la gloire des victoires françaises en Espagne. Lucien n’est autre que son cousin. Une tentative d’assassinat par de méchants Espagnols et une scène de reconnaissance larmoyante plus loin, il deviendra son époux.

On doit cette Paquita à l’entreprise de reconstitution des ballets romantiques menée par Pierre Lacotte depuis les années 1970. Paquita a été créée à Paris par Joseph Mazilier en 1846, mais c’est en Russie qu’elle connaît sa plus longue vie. Marius Petipa la remonte, et crée en 1881 sa propre version, en ajoutant le Grand Pas et la danse polonaise des enfants du deuxième acte. Lorsque Pierre Lacotte décide de reconstituer Paquita en 2001 pour le Ballet de l’Opéra de Paris, peu de choses en reste : le Grand Pas et le Pas de trois du premier acte, constamment transmis grâce aux Ballets Russes, quelques traces écrites de la version de Joseph Mazilier, et les souvenirs de scène que lui ont racontés ses professeures russes. En suivant son précepte, « redonner vie aux choses retrouvées« , le chorégraphe s’est entouré du compositeur David Coleman et de la décoratrice Luisa Spinatelli, pour créer un véritable hommage au ballet classique dans sa diversité d’esthétiques.

Paquita - Laura Hecquet et Karl Paquette

Paquita – Laura Hecquet et Karl Paquette

Les décors grandioses font d’emblée surgir un univers fantaisiste nous ramenant à l’imaginaire du XIXe siècle. Un peu comme si l’on ouvrait un vieil album poussiéreux exhumé du fond d’un grenier, et que s’en élançaient des personnages chamarrés. Nous sommes dans la Vallée des Taureaux, près de Saragosse. Sous un plein soleil, danses villageoises et gitanes campent une Espagne douce et pittoresque, à la mode romantique. S’il y a une influence espagnole pour ces danses, elle est totalement stylisée et permet surtout d’enrichir la virtuosité du bas de jambe. Les scènes de groupe demandent un extraordinaire travail de coordination : à la vive précision des pas, il faut ajouter l’inclinaison des ports de tête et l’arrondi des bras, qui dessinent des décors mouvants où bondissent avec aisance les solistes.

Les variations sont autant d’exercices de style qui mettent en valeur tous les pas d’école, ou presque : entrechats et sissonnes, ballotés et jetés, cabrioles et tours en l’air… le tout battu et doublé autant que possible. De pseudo-gitanes sortent en ribambelle de leur tente, buste très en avant et bras cachant leur visage ; de fiers toréadors attrapent la lumière en jouant de leurs manteaux, comme les femmes de leurs jupes bariolées dans les roses, verts, ocres et jaunes. Ces ensembles rappellent la définition de l’arabesque que donnait le chorégraphe et théoricien de la danse Carlo Blasis dans son Traité de danse, quand ce terme n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui : « des groupes pittoresques formés de danseurs et de danseuses entrelacés de mille manières différentes. »

Paquita - Laura Hecquet

Paquita – Laura Hecquet

Dès son arrivée, Laura Hecquet illumine la scène en Paquita. Taquine et vive avec Inigo, mais aussi farouche et mélancolique, elle sait donner toute leur consistance aux deux faces du personnage. Débordante d’énergie et de passion, elle trépigne avant ses variations. Et dans les scènes de pantomime, elle raconte son histoire de ses très longs bras graciles et de son visage animé, mais qui garde toujours une forme de réserve. Ses bras sont sa respiration, de l’épaule à l’extrémité des doigts en passant par un coude et un poignet à la fois cassés et souples. Karl Paquette est un peu en retrait – aussi son personnage, Lucien d’Hervilly, n’est-il pas le plus riche. Ses variations sont nettes mais manquent de brio. Cependant, il a la distinction attendue d’un rôle créé pour ce que le ballet classique appelle les « danseurs nobles ».

François Alu est, comme on pouvait s’y attendre, excellent en Inigo. Ses sauts élastiques se jouent de toute virtuosité, et son jeu de scène en fait un personnage colérique et grossier, drôle avec ce qu’il faut d’inquiétant dans sa brutalité. Le Pas de trois est merveilleusement dansé, notamment par Ida Viikonski et Germain Louvet. Jambes fuseaux à la rapidité inouïe, très belle suspension dans les sauts… si Germain Louvet montre un peu de fatigue à la fin du pas, cela n’a aucune importance. Paquita est de ces ballets où la danse appelle les applaudissements : et ce soir, j’aurais voulu applaudir toujours plus fort des variations qui faisaient succéder le sourire extatique au frisson. Cette osmose entre les danseur-se-s et le public participe beaucoup au charme de Paquita.

Paquita - Laura Hecquet, François Alu et Karl Paquette

Paquita – Laura Hecquet, François Alu et Karl Paquette

Paquita est un ballet tout en contrastes et changements de rythme. Le deuxième tableau du premier acte est ainsi presque exclusivement constitué de pantomime, ce à quoi nous ne sommes plus habitué-e-s. Mais Laura Hecquet et François Alu rendent leur jeu drôle et captivant, en introduisant peut-être une légère distance ironique vis-à-vis de l’histoire, qui atteint ici son point culminant dans le romanesque. Jeu du chat et de la souris, terrible embuscade avec poignard et narcotique, cachettes dérobées et brigands aux longues capes noires… Mais tout cela dansé avec un réel plaisir du jeu. Agnès Letestu a collaboré aux répétitions de Paquita. À la suite de cette grande interprète, Laura Hecquet sait faire danser sa pantomime et rendre sa danse signifiante.

Avec le deuxième acte, de nouveau changement d’atmosphère et de rythme. Mais aussi d’esthétique, avec l’introduction des scènes chorégraphiées par Marius Petipa, que Pierre Lacotte a adaptées à la virtuosité acquise par les danseur-se-s au XXe siècle. On se croirait dans un ballet « à la Petipa » – morceaux de bravoure pour les solistes (les 32 fouettés bien sûr !), et scènes de groupe incorporant les danses de salon de l’époque. Dans une scène de bal empire, où officiers guindés portent moustaches et favoris, au milieu de froufrous et tutus pastels, rouge cramoisi et bleu profond, Paquita et Lucien d’Hervilly se métamorphosent en couple princier. Cet acte est une débauche d’étoffes et de paillettes : Paquita change même de costume à vue ! Germain Louvet et Ida Viikinkoski se distinguent à nouveau. Mais le deuxième acte de Paquita, c’est aussi le moment de gloire des petits rats : ils et elles se montrent très professionnel-le-s dans une polonaise aussi incongrue que parfaitement maîtrisée.

Paquita - Ida Viikonski (pas de trois)

Paquita – Ida Viikinkoski (pas de trois)

Soutenu par une musique elle aussi reconstituée, l’acte monte en puissance au fil de ses scènes d’ensemble, variations et pas de deux qui souvent touchent à la perfection. Karl Paquette est un bon soliste, mais surtout un excellent partenaire, permettant à Laura Hecquet d’irradier. Enivrante de précision, de grâce et d’élégance, elle tricote ses sauts et déroule ses tours en faisant spiraler ses bras et sa pointe le long de sa jambe. La qualité de sa danse est parfois à trouver dans la simple fermeture d’un port de bras en première. Paquita est bien sûr d’abord un formidable divertissement ; mais il y a quelque chose d’émouvant dans la manière où, derrière tout ce faste, la danse classique est mise à nue dans ce qu’elle a d’expressif et de jouissif. Et c’est aussi le ballet classique, sa créativité, et les actrices et acteurs qui permettent sa transmission, qui sont applaudis lorsque Pierre Lacotte monte sur scène à la fin des saluts. Paquita ce soir a bien raconté son histoire : celle d’une danse classique merveilleusement vivante.

 

Paquita de Pierre Lacotte (d’après Joseph Mazilier et Marius Petipa) par le Ballet de l’Opéra national de Paris au Palais Garnier. Avec Laura Hecquet (Paquita), Karl Paquette (Lucien d’Hervilly), François Alu (Inigo), Ida Viikinkoski, Aubane Philbert et Germain Louvet (pas de trois), Pascal Aubin (Don Lopez de Mendoza), Stéphanie Romberg (Dona Serafina), Bruno Bouché (le Comte), Marie-Solène Boulet (la Comtesse). Samedi 2 mai 2015.

 

Comments (2)

  • pirouette24

    Merci pour ce compte rendu! J’ai aussi assisté à cette soirée et en suis ressortie très joyeuse, alors que j’attendais peu de ce ballet qui me paraissait « poussièreux ». Mais Laura est tellement extraordinaire! Elle rend chaque pas , chaque épaulement, plein de sens et vivant. Je me suis même dit « mais on dirait qu’elle est étoile depuis des années » tant elle en avait la prestance et la lumière ce soir là. Karl Paquette est vraiment louable de continuer à danser tous ces rôles difficiles et à ne pas les abandonner comme d’autres étoiles le font.
    Ma seule déception fut le pas de trois; pas tant Germain Louvet car malgré des ratés sa belle danse restait là, mais plutôt ses partenaires que j’ai vraiment trouvé en dessous du niveau. Mais dans une si belle soirée c’est vite oublié ! (entre Manon et Paquita la compagnie ne chôme pas mais c’est pour notre plus grand bonheur!)

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  • Laetitia

    Merci beaucoup pour votre commentaire ! Je suis entièrement d’accord avec vous pour Laura Hecquet, j’ai pensé la même chose. Ou alors que si elle n’avait pas été nommée étoile juste avant sur Le lac des cygnes, elle aurait pu l’être sur Paquita ! Quant au pas de trois, j’ai été emportée par Germain Louvet et cela a peut-être rehaussé ses deux partenaires à mes yeux, que je trouvais il est vrai au début du Pas en-dessous ; j’avais l’impression après son premier passage à lui qu’elles avaient gagné en assurance (peut-être une fausse impression donc, même si j’aime beaucoup que dans ce ballet les danseur-se-s puissent s’épauler les uns les autres plutôt que se faire de l’ombre), et surtout Ida Viikonski, qui j’ai l’impression dans le deuxième acte s’est encore affirmée. Je l’y ai réellement beaucoup repérée. Et comme vous le dites, l’Opéra nous gâte en ce moment ! Merci encore pour votre retour, et je suis contente que vous aussi ayez passé une si bonne soirée 🙂 N’hésitez pas à nous donner vos impressions si vous voyez d’autres distributions !

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