Rodeo de Justin Peck – Itinéraire d’un chorégraphe pressé
Mais qui est Justin Peck ? Les compagnies américaines, et bientôt le Ballet de l’Opéra de Paris, n’ont que le nom de ce jeune chorégraphe à la bouche. Le New York City Ballet a repris ce printemps Rodeo, sa dernière création. Retour sur cette pièce entraînante et réussie, et sur le parcours de ce chorégraphe surdoué et pressé.
Si vous apercevez Justin Peck à New York ces jours-ci, c’est parce que la saison de printemps du New York City Ballet bat son plein et qu’il y danse, beaucoup et plutôt bien. Mais la ville qui abrite sa compagnie n’est plus qu’une escale dans la vie de ce jeune chorégraphe de 27 ans. L’Amérique se l’arrache et pas seulement ! À peine la saison d’hiver bouclée, il s’envolait à destination de Miami pour y répéter son nouveau ballet commandé par le Miami City Ballet, Heatscape, dont la première avait lieu le 27 mars. Mais il n’eut pas le temps de vraiment s’attarder et de profiter du soleil de Floride. Destination Chicago où le Joffrey Ballet mettait à son répertoire le 22 Avril In Creases sur une musique de Philippe Glass.
C’est cette pièce créée pour le New York City Ballet, à Saratoga Springs à l’été 2012, qui propulsa Justin Peck instantanément sur la scène chorégraphique. Jusque-là, il était danseur du corps de ballet du NYCB (il est maintenant soliste). Le bouche-à-oreille a fait le reste et le David H. Koch Theater du Lincoln Center a très vite fait salle comble dès qu’un ballet de Justin Peck était à l’affiche. Alastair Macaulay, le très redouté critique en chef du New York Times, peu enclin à la flatterie ou au compromis, écrit que Justin Peck « est le troisième chorégraphe important à avoir émergé au XXIe siècle dans le ballet classique« . Les deux autres étant Alexeï Ratmansky et Christopher Wheeldon avec lesquels il partage régulièrement l’affiche dans des soirées baptisées « Chorégraphes du XXIe siècle ».
Les balletomanes new-yorkais voudraient faire de Justin Peck le premier héritier américain de George Balanchine et Jerome Robbins. Pour lourde qu’elle soit, cette filiation avec les maîtres américains transpire dans sa dernière création pour le New York City Ballet, Rodeo. Le chorégraphe reprend la partition d’Aaron Copland créée spécialement pour le ballet éponyme d’Agnes de Mille en 1942 et reprogrammé cette saison par l’American Ballet Théâtre. « En reconnaissance à la chorégraphie exemplaire d’Agnes de Mille, j’espère que mon travail ajoutera une nouvelle perspective à cette partition iconique …. » écrit Justin Peck dans sa note d’intention reproduite dans le programme.
Mais le Far West d’Agnes De Mille est loin. Le Rodeo de Justin Peck écarte toute notion de narration. C’est un ballet de danse pure dans la tradition du New York City Ballet. L’ouverture sur une course des danseurs de la cour vers le jardin évoque immanquablement le Jerome Robbins de Glass Pieces. Mais l’architecture subtile de ce ballet pour 15 danseurs et une danseuse, et le goût de Justin Peck pour les symétries complexes mais limpides, en font légitimement un héritier dépositaire de l’art de George Balanchine.
Composé de quatre épisodes qui suivent la structure musicale de la partition d’Aaron Copland, Rodeo s’ouvre sur un ensemble suivi immédiatement d’un pas de trois irrésistible d’humour et de virtuosité. Ce passage est interprété par Daniel Ulbricht, Gonzalo Garcia et Andrew Veyette, une distribution « trois étoiles » avec trois des meilleurs techniciens de la compagnie. Le deuxième épisode met en scène cinq danseurs dans un adagio où ils font preuve d’une parfaite musicalité. Le pas de deux qui suit fut plus hésitant, mais Brittany Pollack et Adrian Danching-Waring remplaçaient au pied levé Sara Mearns et Amar Ramasar, initialement prévus et déjà aguerri-e-s aux difficultés du ballet puisqu’ils furent distribués lors de la création en février dernier.
Dans ce pas de deux, chacun des danseur-se-s met en valeur son partenaire en l’assistant pour ses tours et ses arabesques, entre flirt et humour. Le quatrième et dernier épisode voit le retour sur scène des 16 danseur-se-s pour un final tonitruant porté par la musique explosive d’Aaron Copland. Les interprètes à l’évidence prennent un plaisir fou à danser cette pièce, dans une joie communicative.
L’aventure va maintenant s’élargir pour Justin Peck avec en ligne de mire la création en février prochain à New York de son premier ballet narratif pour 50 danseur-se-s, d’après le conte de Hans Christian Andersen Le plus incroyable sur une musique commandée au guitariste Bryce Dessner. Rien ne semble désormais pouvoir arrêter le plus doué des chorégraphes américains.
Le chorégraphe sera aussi très présent à l’Opéra de Paris en 2016. Benjamin Millepied (qui s’inscrit aussi dans cette filiation des grands maîtres américains) fut le premier à faire découvrir Justin Peck en France avec sa troupe du L.A. Danse Project. L’enjeu sera d’une toute autre importance l’an prochain pour les débuts de Justin Peck à l’opéra de Paris. Benjamin Millepied fait entrer en mars In Creases au répertoire dans un programme où l’on retrouve Alexeï Ratmansky, Jerome Robbins et George Balanchine. Et c’est une forme de consécration avant l’heure qu’offre Benjamin Millepied à Justin Peck en lui faisant partager l’affiche en un man-a-mano avec George Balanchine pour sa création à l’Opéra Bastille en juin 2016 sur le concerto pour 2 pianos et orchestre en ré mineur de Francis Poulenc.
Rodeo de Justin Peck par le New York City Ballet. avec Brittany Pollack, Adrian Danchig-Waring, Daniel Ulbricht, Gonzalo Garcia, Andrew Veyette. Jeudi 21 Mai 2015.