Multiverse de Garry Stewart – Mariage (plus ou moins raté) entre danse et images 3D
Du 3 au 6 juin 2015, le Théâtre National de Chaillot proposait un focus Australie, avec trois spectacles différents présentés chaque soir. L’un d’entre eux, Multiverse, est chorégraphié par Garry Stewart, Directeur de l’Australian Dance Theatre depuis 1999. Poursuivant son exploration des liens entre danse et nouveaux médias, il a effectué pour cette création une résidence de deux ans dans le Motion Lab de l’université de Deakin, à Melbourne, spécialisé dans la 3D et la capture du mouvement. C’est le résultat de ce travail, mêlant danse et univers virtuel, qu’il propose au public de découvrir, muni de lunettes 3D créées pour l’occasion. Le spectacle s’inspire notamment de la théorie des cordes et des trous noirs. Si l’expérience est intéressante et la réalisation bluffante, le mélange danse et images 3D peine malgré tout, pour diverses raisons, à convaincre.
Ce qui frappe avant tout dans Multiverse, est la qualité du processus 3D. Voir divers objets, rosaces colorées, boules de verre ou pierres précieuses léviter au dessus des rangées de spectateurs-trices est tout bonnement fascinant. Le graphisme manque malheureusement souvent de modernité. Mais lorsque apparait une étonnante figure alvéolaire, faite de feutre gris et de métal orangé, se transformant sans cesse dans d’harmonieuses ondulations, on est hypnotisé. Ce charme s’exerce cependant au détriment des trois interprètes, puisque avec un tel procédé, la scène et les images projetées ne se situent plus sur le même plan. L’œil, invité à un incessant va et vient de l’un à l’autre, finit par se fixer sur le plus séduisant… Et en oublie la danse.
Par moments au contraire, divers univers prennent corps derrière les danseurs-ses. Paysage cubique rouge, mondes verdoyant ou cosmique se déploient, la 3D démultipliant la profondeur du plateau. Il est alors plus facile d’apprécier la chorégraphie de Garry Stewart, qui se décline en solos, duos et trios. Sur une musique expérimentale, les deux danseurs et la danseuse de l’Australian Dance Theatre déploient une gestuelle robotique faite de mouvements rapides et hachés ou, plus rarement, ondulent. Mais c’est dans ce cas l’image projetée qui en pâtit. Puisque l’écran débute à mi mollet des interprètes, l’œil détecte très bien la cassure entre projection et plateau et la magie n’opère pas.
Comme dans le si réussi Pixel de Mourad Merzouki, les danseurs et la danseuse de Multiverse font souvent mine de manipuler les objets virtuels projetés. Mais si on ne peut que louer la synchronisation de leurs mouvements, une fois encore la 3D amoindrit l’effet d’interaction. Les globes ou rosaces semblent toujours bien loin derrière ou devant eux. C’est donc plus par la force de l’esprit ou un certain magnétisme qu’ils semblent les faire évoluer que par leurs gestes. Une fois pourtant, la fusion de ces deux mondes fonctionne à merveille, un des interprètes paraissant littéralement projeté à terre par un module lévitant au dessus de lui.
On sort finalement de Multiverse enthousiasmé par l’impressionnant travail de ce Motion Lab australien, curieux de la danse de Garry Stewart, mais peu convaincu par le mariage des deux, qui aurait sans nul doute pu être plus abouti.
Multiverse de Garry Stewart par l’Australian Dance Theatre au Théâtre National de Chaillot. Conception et mise en scène de Garry Stewart. Codirection artistique, Elizabeth Old. Chorégraphie de Garry Stewart et des danseurs de l’Australian Dance Theatre. Conception, design et création 3D de Dr Kim Vincs, Daniel Skovli, Simeon Taylor, Kieren Wallace, Bobby Lin, John McCormick, Peter Divers – Motion.Lab, université de Deakin. Images 3D additionnelles de Troy Bellichambers et Justin Wright (Moneystack). Musique originale de Brendan Woithe (KLANG). Costumes de Catherine Ziersch. Lumières de Damien Cooper. Avec Samantha Hines, Matte Roffe, Kimball Wong. Mercredi 3 juin 2015.