Tchaïkovski sens dessus dessous dans « Récits du royaume des songes » de Josua Hoffalt, par la troupe 3e Étage
Ça déménage au 3ème étage ! Déplorant le minimalisme croissant des ballets d’aujourd’hui, Josua Hoffalt et Samuel Murez ont eu à cœur de renouer avec les ballets maximalistes des grandes heures de la narration classique. Ils ne pouvaient pas le faire à l’Opéra de Paris. Ils l’ont fait à Rueil-Malmaison. Cette initiative artistique mérite d’être saluée. Le résultat ? Un pastiche décalé qui modernise une ribambelle de personnages de contes enfouis dans notre mémoire d’enfant. Comme dans un rêve, le paysage semble à première vue familier. Avant que tout ne se dérègle…
Pour avoir un aperçu de Tchaïkovski, Récits du royaume des songes, il faut visualiser les personnages des contes qui ont inspiré les grands ballets de Tchaïkovski, puis les imaginer s’entremêler sens dessus-dessous dans un joyeux capharnaüm musical. Il y a toutefois une trame classique dans ce ballet qui fait dialoguer La Belle au bois dormant avec le Lac des cygnes, en rehaussant les rôles masculins. Le prince Rothbart est contraint à un mariage de raison avec le Cygne noir. Mais, au fil d’aventures rocambolesques, il s’unit à sa promise de cœur le Cygne blanc. Vous suivez ?
La réactualisation de certains stéréotypes des siècles passés peut faire sourire et le public – plus mixte qu’à l’Opéra de Paris – rit de bon cœur. Ainsi, Siegried n’est plus un prince mélancolique mais un bellâtre imbu de lui-même. « Mac des cygnes », Yann Chailloux aime à passer nonchalamment sa main dans sa chevelure gominée tout en roulant des mécaniques auprès de son harem à plumes. À la manière du film Maléfique, la Fée Carabosse a gagné en profondeur (Muriel Zusperreguy, méconnaissable). C’est une reine acariâtre que l’on devine frustrée par sa situation sentimentale.
Son fils Rothbart est un invétéré fêtard, figure de l’adulescent de notre temps, qui fuit les responsabilités dans les plaisirs de court terme. Comme toujours à l’aise dans une technique superlative, François Alu se montre aussi bon acteur. Ce Rothbart version 2015 a pour compagnon de jeu le bouffon surexcité dont Rudolf Noureev s’est débarrassé dans sa version du Lac des cygnes. Hugo Vigliotti excelle dans ce personnage pétri d’auto-dérision. Complicité et générosité irradient la scène : Tchaïkovski, Récits du royaume des songes est d’abord le fruit d’un petit délire entre amis.
Quid des icônes féminines ? La chatte blanche Mistigri (Lydie Vareilhes) joue l’hôtesse de soirée en agissant comme un trait d’union entre les multiples saynètes qui constituent le ballet. Plus prosaïquement, elle fait diversion pendant que les danseurs reprennent leur souffle en coulisse ou que les décors changent derrière le rideau. Trois Cygnes blancs et un Cygne noir laissent entrevoir les capacités de Marion de Charnacé, Sophie Mayoux, Clémence Gross et Sofia Rosolini. Grande et imposante, ce dernier drôle d’oiseau ne peut qu’attirer l’œil de Rothbart. Elle n’a pas encore l’assurance d’une danseuse confirmée mais elle exhibe des lignes intéressantes. Dans ce royaume des songes, les rôles traditionnels du Lac des cygnes ont été inversés. Le Cygne noir est fade, le Cygne blanc est piquant. La confusion est savamment entretenue.
Dans une interview accordée à Danses avec la plume, Josua Hoffalt et Samuel Murez annonçaient que leur spectacle comprendrait 75% de création chorégraphique et 25% de reprise du répertoire classique. Quelques variations clefs du répertoire ont ainsi été conservées, bien que sorties de leur contexte. Le reste a été chorégraphié sur-mesure par Josua Hoffalt. Quelques trouvailles sont louables, comme la variation qui entrelace intelligemment et esthétiquement Siegfried, le Cygne blanc, le Cygne noir et Rothbart dans le troisième tableau de l’acte I intitulé « Lac des cygnes« . Mention spéciale pour l’Oiseau bleu (Paul Marque, tout en fluidité et velouté) qui volète avec grâce d’un bout à l’autre du spectacle ainsi que pour le Chat botté (Takeru Coste, comique-né).
Tchaïkovski, Récits du royaume des songes est une bizarrerie consanguine dont on sort embrumé comme d’un rêve (par nature) invraisemblable. Mais ce parti pris est totalement assumé par le chorégraphe et le producteur. C’est même, en quelque sorte, le point de départ du spectacle. Chez les adultes, qui ont de longue date étouffé l’irrationalité fondamentale du merveilleux, c’est par le rêve que les tenants du conte s’expriment et reviennent par bribes. Ainsi du bien nommé « royaume des songes » qui annonce, noir sur blanc, la couleur. Le spectateur bénéficie de quelques repères – des résidus diurnes – mais ils ont tous été brouillés et détournés, à la manière d’un rêve inextricable. A cet égard, l’humour, omniprésent, apporte une nuance bienvenue à l’entreprise, rapprochant le ballet de la réalité et des faits quotidiens.
J’aurais peut-être souhaité qu’une symbolique plus riche soit développée. Le Lac des cygnes, la Belle au bois dormant et les contes en général regorgent en effet de messages cachés qu’il est jouissif d’exploiter. Josua Hoffalt et Samuel Murez ont fait d’autres choix. Peu importe puisque c’est bien un héritage culturel qui nous est finalement transmis.
Tchaikovski : Récits du royaume des songes, de Josua Hoffalt par la troupe du 3e étage de l’Opéra de Paris, au Théâtre André Malraux de Rueil-Malmaison. Avec François Alu (Rothbart), Yann Chailloux (Siegfried), Muriel Zusperreguy (Carabosse), Hugo Vigliotti (le Bouffon), Sofia Rosolini (Cygne blanc), Clémence Gross (Cygne noir), Marion de Charnacé et Sophie Mayoux (deux cygnes jumeaux), Lydie Vareilhes (Mistigri), Takeru Coste (Moustache), Paul Marque (Oiseau bleu). Samedi 13 juin 2015.
Joelle
On adoré Siegfried et son brushing, le bondissant bouffon (Hugo Vigliotti – génial !, le gentil oiseau Bleu, le super duo de chats, la vilaine Fée Carabosse, les jolies demoiselles cygnes manipulées par le vilain Siegfried, sans oublier tous les gentils monstres et le Rothbart trop gâté !!! Et F. Alu nous a gratifié de quelques sauts encore plus hauts que d’habitude… Un grand merci à J. Hofalt et S. Murez pour ce superbe spectacle !
Pascale M.
Une soirée très divertissante. Bien sûr le pastiche est un genre qui a ses limites, mais qui permet de dépoussiérer avec humour des oeuvres connues. Au total, c’est bien moins académique (au mauvais sens du terme) que « Les enfants du paradis » qui, je dois l’avouer m’a un peu ennuyée. Là, au moins, on s’amuse : on garde le côté « grand spectacle » du ballet classique en y ajoutant un peu de dérision. Ce n’est pas super inventif mais la fraîcheur et le talent des jeunes interprètes font vraiment de ce spectacle une réussite : un ballet idéal pour Noël, en lieu du sempiternel « Casse-noisette » !
Amélie Bertrand
@ Joëlle et Pascale : Merci pour vos retours 🙂