L’Anatomie de la sensation de Wayne McGregor par le Ballet de l’Opéra de Paris
Entre Wayne McGregor et le Ballet de l’Opéra de Paris, c’est une affaire qui marche. Alors que Tree of Codes réunit les interprètes de la Random Dance et des solistes de l’institution parisienne (dont Marie-Agnès Gillot et Jérémie Bélingard) au Manchester Festival, Bastille clôt sa saison avec une reprise de L’Anatomie de la sensation, créé en 2011 par l’enfant terrible de la danse anglaise. Dans cette œuvre en neuf mouvements, Wayne McGregor rend hommage à Francis Bacon, qui le frappa et l’enthousiasma dès l’adolescence par l’étrange physicalité de ses toiles. Et le pari est en partie réussi.
Une judicieuse scénographie d’abord, imaginée par John Pawson, suggère l’univers de Bacon. Deux immenses panneaux pivotants, qui évoquent au début du spectacle des toiles blanches, permettent de découper le plateau en différents espaces, de jouer avec les perspectives et de figurer les triptyques emblématiques du peintre. Accueillant très vite les lumières de Lucy Cartier, ils forment un décor d’aplats colorés inspirés de la palette du peintre. Dans certains des neufs tableaux, un rideau de gaz vient compléter le dispositif, faisant allusion au flou que l’on retrouve dans certaines toiles.
Pour la musique, Wayne McGregor a choisi le jazz dont Francis Bacon était un fervent adepte, et plus particulièrement Blood on the Floor, œuvre en neuf mouvements de Mark Anthony Turnage inspirée du tableau éponyme du peintre et créée à l’occasion de la mort par overdose de son frère. Remarquablement interprétée par l’Ensemble intercontemporain accompagné de quatre solistes de jazz, la partition rappelle tour à tour Stravinsky, Gershwin, ou Miles Davis. Mais si la violence latente de ce tableau y est parfois palpable, elle évoque plus souvent le rêve fantasmagorique d’Un Américain à Paris que la cruauté des œuvres du peintre anglais.
Quant au vocabulaire de Waine McGregor, il semble parfaitement s’accorder à l’univers de Francis Bacon. Aux courbes et corps disloqués, torturés du peintre, répondent les ondulations et mouvements distordus du chorégraphe, tous deux se retrouvant dans une physicalité énergique et animale. Cependant, si l’aspect autobiographique de l’œuvre de Bacon n’est pas oublié et l’analogie plastique évidente, jamais L’Anatomie de la sensation ne laisse percevoir au public la cruauté, la tragédie, si saillantes dans les toiles du peintre. La violence s’efface presque totalement au profit d’une recherche esthétique, d’une déconstruction du mouvement classique à la William Forsythe.
Si ce spectacle ne tient donc pas toutes ses promesses, il n’en reste pas moins, pour la plupart des neuf tableaux, très agréable à regarder. Les solistes y brillent par leur virtuosité et semblent prendre un grand plaisir à se couler dans le vocabulaire de Wayne McGregor. Mathias Heymann délicat félin réceptionnant ses sauts sur coussinets, Alice Renavand épatant volatile monté sur échasses et Dorothée Gilbert toute de troublante nonchalance, y sont particulièrement remarquables. Aurélie Dupont, plus élégante que saisissante, n’en n’éclipse pas moins de sa présence magnétique son partenaire Alexandre Gasse. Le corps de ballet, en revanche, peine à trouver ses marques et livre malheureusement une prestation plus que brouillonne, qui ne pourra que s’améliorer au fil des représentations.
Qu’il se rue pour voir La fille mal gardée ou qu’il ait déjà quitté la Capitale pour entamer sa vie de festivalier, le public boude cette Anatomie de la sensation. Résultat : les places sont bradées. Si cette œuvre n’est pas la meilleure du chorégraphe, profiter de prix attractifs pour aller réviser son McGregor en attendant sa troisième création pour le Ballet de l’Opéra de Paris, prévue en décembre prochain dans le cadre de la soirée Pierre Boulez, reste une bonne idée.
L’Anatomie de la sensation, pour Francis Bacon de Wayne McGregor par les danseurs de l’Opéra de Paris à l’Opéra Bastille. Chorégraphie de Wayne McGregor. Musique, Blood on the Floor de Mark Anthony Turnage. Scénographie de John Pawson. Costumes de Moritz Junge. Lumières de Lucy Carter. Assistants du chorégraphe, Laïla Diallo et Davide di Pretoro. Ensemble intercontemporain sous la direction musicale de Peter Rundel. Guitare électrique, John Parricelli. Batterie jazz, Peter Erskine. Saxophone et clarinette, Michel Benita. Guitare basse, Michel Benita. Son, Willi Bopp. Avec Alice Renavand, Dorothée Gilbert, Laurène Lévy, Juliette Hilaire, Héloïse Bourdon, Aurélie Dupont, Mathias Heymann, Alexandre Gasse, Florent Melac, Josua Hoffalt et Adrien Couvez. Samedi 4 juillet 2015.