Roméo et Juliette – Les Ballets de Monte-Carlo
Comment relire Roméo et Juliette sans faire comme tout le monde ? Comment donner sa vision d’un drame adapté sur toutes les scènes, par tous les chorégraphes et metteur-e-s en scène ? Peut-être en jouant la carte de la sobriété. C’est le parti-pris – réussi – de Jean-Christophe Maillot. Son Roméo et Juliette pour les Ballets de Monte-Carlo date de bientôt 20 ans, mais la pièce a gardé la fraîcheur de la nouveauté. Les décors sont simples et mouvants, blancs, à chacun-e de placer cette histoire universelle là où il veut. Le coeur du ballet reste les personnages, bien dessinés, vivants, concrets. Même une histoire que l’on connaît par coeur semble ainsi nouvelle si elle est bien racontée.
Ce Roméo et Juliette est d’ailleurs vu par le regard de Frère Laurent, le prêtre qui a marié deux tourtereaux, le personnage que l’on a tendance à oublier. Rempli de remords, il revit le drame des deux amants. Jean-Christophe Maillot a l’art de raconter des histoires sans fioriture. Sa danse néo-classique va droit au but dans ce qu’elle veut dire et décrire, déroulant l’intrigue dans une grande maîtrise de sa dramaturgie. La chorégraphie n’en est pas dénuée de poésie, chaque interprète donnant vie et sens à leurs gestes.
Noélani Pantastico propose ainsi une Juliette très sensuelle. Elle expose frontalement à sa nourrice son corps de femme, lui montrant que non, elle n’est plus un bébé. L’amour lui tombe dessus, mais elle était prête à le recevoir. Cette Juliette est une frondeuse qui sait ce qu’elle veut. Ce n’est pas le destin qui guide sa mort, c’est elle-même, seule, qui décide de son sort. Elle apparaît ainsi comme une véritable héroïne moderne. Lucien Postlewaite est un Roméo rêveur et fougueux, à la fois drôle avec sa bande, éperdu d’amour avec sa belle. Maude Sabourin (la nourrice) apporte l’humour, Gabriele Corrado (Tybalt) la noirceur, chaque personnage porte sa pièce du puzzle.
Mais Roméo et Juliette, ce sont aussi deux camps qui s’affrontent. Et c’est ici que le ballet pêche un peu. Les scènes de rues sont maîtrisées par Jean-Christophe Maillot qui sait ce qui fonctionne et connaît tous les trucs pour monter des moments d’ensembles qui marchent. Mais entre un corps de ballet classique et la formidable guerre Jets/Sharks de West Side Story, le chorégraphe n’a pas semblé savoir sur quel pied danser. Ou plutôt comment proposer quelque chose d’original et se détacher de ses références. S’il a inscrit ses personnages dans quelque chose d’unique, ces scènes d’ensemble portent trop la marque de leurs inspirations, et perdent ainsi de leur force. Seule exception, la scène finale à couper le souffle, toujours sans fioriture, où le drame est au coeur de tout, implacable.
Cette représentation de Roméo et Juliette était un peu particulière, car elle se déroulait dans les jardins du Château de Versailles. Le mélange entre ce décor naturel Grand siècle et celui du théâtre blanc renforçait l’idée que cette histoire pouvait se dérouler n’importe où. Et puis parfois, le timing du temps est avec vous. Le ciel s’est embrasé de rouge et or lors de la fougueuse scène du balcon. Le dernier rayon de soleil se couchait sur la mort de Mercutio. La nuit était d’un noir de plomb pour l’ultime dénouement. Parfois, tous les éléments sont là pour raconter l’histoire.
Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot par les Ballets de Monte-Carlo, dans les Jardins de l’Orangerie du Château de Versailles. Avec Noélani Pantastico (Juliette), Lucien Postlewaite (Roméo), Mimoza Koike (Lady Capulet), Gabriele Corrado (Tybalt), Maude Sabourin (La Nourrice), George Oliveira (Mercutio), Mikio Kato (Benvolio), Ediz Erguc (Pâris), Francesca Dolci (Rosaline) et Alexis Oliveira (Frère Laurent). Mardi 23 juin 2015.