Cendrillon, de Christopher Wheeldon par le Het Nationale Ballet – Percutant et féérique
Réinventer un conte aussi emblématique que Cendrillon n’est jamais chose facile. Et pourtant, Christopher Wheeldon livre pour le Het Nationale Ballet une version à la mise en scène aussi enchanteresse qu’intelligente. Le célèbre chorégraphe d’Un Américain à Paris et Alice au Pays des merveilles a osé aller plus loin qu’un simple remaniement de la danse et a modifié l’histoire pour une plus grande cohérence avec la partition de Prokofiev et une modernité frappante. L’ensemble aux transitions soignées fonctionne formidablement bien et transporte très loin du Colisée de Londres (où la troupe d’Amsterdam est actuellement en tournée) dans une sorte de show façon Broadway sur pointes. Un coup de maître.
Le triomphe est complet, alors ? Pas tout à fait. La mise en scène et la réécriture du livret ont visiblement bénéficié d’un travail de titan, avec son lot d’idées toutes plus originales les unes que les autres. Si bien qu’à côté, la danse elle-même paraît jolie, fluide et agréable à regarder mais un peu plate et sans grand génie. Comme une petite déception mais pas suffisante pour gâcher un spectacle de premier plan.
Un conte de fées (sans fées) des temps modernes
Dans cette réécriture, Christopher Wheeldon a créé une Cendrillon plus sombre, davantage inspirée du conte de Grimm que de celui de Perrault. Pas de Marraine la bonne fée, pas de citrouille qui se transforme en carrosse. Mais pas de panique pour les adeptes du merveilleux (dont je suis !), le ballet ne manque pas de féerie, bien au contraire : un soin tout particulier a été apporté aux décors et aux costumes, un peu à la manière de Jacques Demy dans Peau d’Âne.
D’autre part, des astuces – malignes – théâtrales, voire cinématographiques, suggèrent plutôt qu’elles ne tentent de reproduire le réel. Le rideau se lève sur un décor onirique de nuages et d’oiseaux flottant dans le ciel, projeté à l’arrière-plan grâce à un ingénieux système d’écran. Les deux parents de la petite Cendrillon poussent leur fille sur une balançoire. La famille heureuse est au complet…mais pas pour très longtemps. Au bout de quelques mesures, la mère, prise d’une quinte de toux, crache du sang dans son mouchoir. Une narration accélérée se met en place, sous le joug menaçant de la musique de Prokofiev, et la mère est emportée au loin. En 5 minutes top chrono, l’atmosphère est déjà installée, le tableau bien posé.
Les illusions se relayent, toutes plus réussies les unes que les autres : ici une cheminée rougeoyante, là un ciel de crépuscule aux teintes violines derrière un balcon, là encore un carrosse fait d’une traîne en soie. Dire que je suis complètement sous le charme serait un euphémisme.
Une tragédie classique à l’allure contemporaine
Dans cette version de Cendrillon, l’accent est mis autant sur le registre tragique que sur le merveilleux.
Tout d’abord, l’importance donnée à la mort de sa mère fait de Cendrillon une pure victime de la fatalité. Et c’est précisément la figure maternelle (ou son substitut) qui sortira l’héroïne de sa condition malheureuse. Après l’enterrement, Cendrillon se jette en pleurant sur la tombe de sa mère, d’où pousse brusquement un arbuste noir aux branches noueuses, né de ses larmes. Ce moment est d’une beauté gothique qui subjugue. L’arbre grandira au fil des scènes, engloutira l’héroïne et elle n’en ressortira que vêtue d’une robe dorée somptueuse, parée pour aller au bal.
Mais cela n’est qu’un seul des nombreux éléments faisant de cette Cendrillon une version moderne du genre tragique. Détail inédit, l’héroïne et le prince partagent une histoire, présentée en parallèle sur scène : celle de deux enfants malheureux au sein d’une famille plus ou moins tyrannique, maltraitante pour Cendrillon, protocolaire pour le Prince. Deux rebelles cherchant à être libres. Ce passé commun donne à la trame une profondeur et une crédibilité inattendue.
Côté danse, tout est joli et, surtout, superbement exécuté. Les passages les plus réussis sont les scènes de groupe, portées par un corps de ballet énergique.
J’ai aussi particulièrement aimé l’introduction dans la chorégraphie de quatre Parques masquées d’or – autre clin d’œil à la tragédie classique. Une sorte de chœur antique masculin qui insuffle force et courage à l’héroïne. Dans leurs habits sombres, les danseurs portent une Cendrillon poids plume qui semble voler. Leur danse minimaliste et contemporaine, ancrée dans le sol, tranche intelligemment avec celle de Cendrillon, toute en courbes et en fluidité. L’opposition d’une force brute et sobre à une sensibilité minérale, très bien vue.
Mais on ne trouve pas toujours quelque chose d’aussi consistant ou de très novateur à se mettre sous la dent. Dans cette Cendrillon, il est très clair que la danse n’est qu’un moyen d’expression parmi d’autres. Si l’on enlève les décors somptueux, les astuces en tout genre, la robe dorée et surtout, la puissance de la partition de Prokofiev, l’on obtient quelque chose qui manque de personnalité. C’est particulièrement frappant lors du pas de deux du bal où la tension dramatique doit pourtant être à son comble. Et pourtant, mon attention est un peu retombée.
Heureusement, la chorégraphie est servie par des interprètes principaux parfaits. Anna Tsygankova est une Cendrillon magnifique, au jeu cohérent et qui fait durer le mouvement à l’infini. Matthew Golding est un Prince bondissant, attentif, avec de l’allure et qui, par la force des choses, a troqué la virtuosité pour l’émotion et l’intimité. Tout est bien qui finit bien.
Cendrillon de Christopher Wheeldon par le Het Nationale Ballet au London Coliseum.
Avec Anna Tsygankova (Cendrillon), Matthew Golding (Prince Guillaume), Larissa Lezhnina (Hortensia, la belle-mère), Wen Ting Guan (Edwina, une belle-soeur), Nadia Yanowsky (Clementine, une belle-soeur), Remi Wörtmeyer (Benjamin, l’ami du prince), Roman Artyushkin, James Stout, Rink Sliphorst et Wolfgang Tietze (les Parques). Mercredi 8 juillet 2015.