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Kontakthof – Pina Bausch

Kontakthof de Pina Bausch, par le Tanztheater Wuppertal, au Théâtre de la Ville. Mardi 11 juin 2013. 

Kontakthof

À chaque mois de juin, c’est le même rituel. Tout ce que la danse compte (presque) de public et tout ce que Paris compte de bobos se réunissent ensemble au Théâtre de la Ville pour la Grande Messe de Pina Bausch. C’est comme ça depuis des années, le Tanztheater Wuppertal s’installe quelques jours à Paris, chaque année pour une pièce différente, c’est complet des mois avant, et personne durant les représentations ne se lève de son siège (ce qui, dans ce théâtre, est un fait rare).

Et le plus fou, c’est que moi aussi je participe à ce rituel.

Normalement, la danse de Pina Bausch ne devrait pas trop m’atteindre. Je ne suis pas spécialement fan du théâtre dansé. En belle rétrograde sur pointes, j’aime quand ça danse et quand les corps virtuosent. Mais Pina, c’est différent. Peut-être parce qu’elle parle de nous, peut-être parce qu’elle nous montre tous nos défauts, mais avec une si infinie tendresse, que ça ne peut que nous toucher. C’est un fait en tout cas, je ne ressors pas d’une pièce de Pina Bausch dans le même état dans lequel j’y suis entrée. Il y a quelques chose, logé au creux de l’estomac, qui a été remué. Et Kontakthof, la pièce du rituel Bausch de 2013, en a été un merveilleux exemple.

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C’est une salle des fêtes, comme il y en a des milliers dans le monde. Dedans, il y a des gens bien habillés, un mariage peut-être. Ils suivent le code social mais restent plus humains que jamais. Dans cette nuit de fête, Pina Bausch décortique les jeux de la séduction, les marques du conformisme et de toutes nos attitudes dans ces situations. Vouloir se connecter avec les autres (« Kontakthof » peut se traduire par « Cour de contacts »), essayer de vivre ensemble et se faire aimer. Les corps ici ne sont pas déguisés. Ils ne sont pas magnifiés. Ils sont tels quels, comme vous, comme moi, ils ont 25 ou 60 ans, ils ont leurs défauts et leur lumière. Ils sont entravés par des robes serrés et des talons hauts. Ils sont beaux à leur manière car ils sont tous uniques. Ils sont nous. Kontakthof, c’est l’histoire du public.

Vu du rang O, cela ressemble à un drôle de miroir. La scène nous représente, mais c’est du théâtre. Vu du rang C, nous sommes si près des artistes que c’est comme si nous étions nous aussi invités à la fête. Et quand, au bout de trois heures, chaque danseurs et danseuse défile en cercle et salue le public d’un petit signe de tête, c’est comme si nous avions appris à les connaître.

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Kontakthof est assez dure comme oeuvre finalement. Ce n’est pas forcément tendre pour le genre humain, c’est parfois âpre. C’est cruel car sans fard, c’est peut-être même violent car on n’aime pas forcément recevoir la vérité en pleine face. Et pourtant, on en ressort étrangement léger, heureux en tout cas. Car le regard de Pina Bausch, aussi acéré soit-il, est surtout très tendre envers le genre humain, résolument optimiste. Les personnages de Kontakthof arrivent d’ailleurs tous, malgré le rite sociaux très présents en eux, à faire éclater leur personnalité.

Kontakthof de Pina Bausch, jusqu’au 21 juin au Théâtre de la Ville.

Comments (2)

  • La chance d’avoir vu ça 🙂 Merci pour ce compte-rendu!

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  • Goret

    Quelques commentaires, ayant réussi à voir Kontakthof au Théâtre de la Ville:

    Je suis tout à fait d’accord sur la perception différente selon la place du spectateur (et pourtant, ce n’est presque jamais mentionné dans les critiques de spectacles vivants). Assis dans les premiers rangs, je me sens bien plus impliqué émotionnellement (et donc, je « ressens » directement ce qui se passe sur la scène). Alors qu’au loin, j’ai bien plus souvent tendance à rentrer dans une lecture analytique de ce que je vois – ce qui, avec Pina Bausch et plus encore Kontakthof, est quand même dommage.

    J’avais déjà vu Kontakthof dans la version pour adolescents, mais bien plus loin de la scène: et je m’étais senti un peu distant de ce que je voyais. La différence d’interprètes joue aussi, bien sûr – ce qui étaient des jeux maladroits voire cruels de la jeunesse devient un reflet de l’humanité et de la vie. Julie Shanahan et Nazareth Panadero ont une présence, un charisme, un magnétisme incomparable, et des adolescents même doués ne peuvent les égaler.

    J’ajouterais que le contexte de cette représentation, avec les difficultés annoncées du Tanztheater Wuppertal, donne à cette ronde un sentiment supplémentaire de vulnérabilité, de lutte contre une disparition possible voire prochaine. A côté de ces jeux de séduction et d’agression, de ces comportements de groupe et ces individus marqués et marquants, c’est aussi la vie et la survie de la compagnie que l’on voit se dérouler. Le salut final, avec cette troupe faisant corps et avançant ensemble, d’un seul bloc, bras et corps soudés comme une ligne de mélée au rugby (désolé pour l’image, mais je ne sais plus comment ça se dit), est aussi une image très forte. Avec, effectivement, une joie d’être et de jouer ensemble, et de partager cela avec le public.

    Par contre, je ne saurais dire si le regard de Pina Bausch est « résolument optimiste ». Il me paraît surtout très juste: sans complaisance et sans concession, mais sans noirceur et sans cruauté exagérées non plus (certaines scènes sont vraiment très dures, mais d’une acuité qui me semble incontestable et fait que je ne saurais parler d’un quelconque sadisme de l’auteur – contrairement à ce que font certains autres…).
    A mon sens, Kontakhof nous émeut, nous oblige à nous regarder en face, à nous analyser, nous fait réagir et peut-être agir – c’est d’une très grande force émotionnelle (et intellectuelle aussi), c’est une expérience profondément marquante dont on sort enrichi et peut-être différent (espérons-le en tout cas). Mais je ne saurais la qualifier de « joyeuse », car le chemin que nous avons à faire reste bien long. Certes, c’est cathartique, mais ce n’est pas un spectacle que je conseillerais à un grand dépressif, tant certains moments peuvent vraiment filer le cafard…

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