Le New York City Ballet aux Étés de la Danse – Programme Balanchine New York-Paris
C’est avec un hommage à la musique française que le New York City Ballet a fait ses adieux à Paris et aux Étés de la Danse, avec une soirée Balanchine New York-Paris. Un programme en feu d’artifice à l’image de la tournée de trois semaines de la troupe. Joie de danser, musicalité et écueil permanent du chichiteux (malgré certaines chorégraphies où il était facile de tomber dedans à pieds joints), le tout porté par les quatre reines de la troupe : Sara Mearns, Megan Fairchild, Sterling Hyltin et Tiler Peck.
Puisque je parlais plus haut du chichiteux évité, Walpurgisnacht Ballet de George Balanchine en est un excellent exemple. Tout y est y pour tomber dans le gnangnan : une musique ronflante (le ballet a été créé pour Faust de Gounod avant de prendre son indépendance), des robes légères roses à paillettes, de grands sourires, des bras qui font de larges mouvements et des cheveux lâchés d’un brillant éblouissant qui bougent fougueusement dans le vent (mesdames les danseuses du NYCB, toutes les parisiennes se posent la question : quel est votre après-shampoing ?). Cela pourrait vite sombrer dans le ridicule pour n’importe quelle troupe se prenant un peu trop au sérieux. Mais voilà, le NYCB pense d’abord à s’amuser et à fêter la danse dans ces 20 minutes de virtuosité. Et le gâteau crème-chantilly facilement écœurant devient la plus rafraîchissante des sucreries.
Les Trocks dansent cette Walpurgisnacht Ballet en tutu façon ballet classique dévergondé. Chez George Balanchine, place à des lignes plus néo-classiques et un glamour américain sans faille. La reine, évidemment, une fois de plus, est Sara Mearns. Sa ligne athlétique assumée, sa sublime assurance et sa façon de glisser toujours une pointe de drame un peu partout lui donne un charisme unique. Sara Mearns assume sa féminité, et toujours avec puissance. Elle n’est pas reine parce qu’elle est belle, elle l’est d’abord parce qu’elle a conquis le pouvoir. C’est d’ailleurs ce qui fait la réussite de Walpurgisnacht Ballet et ne le transforme pas en ballet d’école : les danseuses ne sont pas en scène comme des jeunes filles, mais comme des femmes, des adultes, sûres de leur technique et de leur charisme.
Sonatine de George Balanchine, sur une musique de Maurice Ravel, apparaît bien plus convenu à côté. Comme Duo Concertant, un couple vêtu de bleu évolue sur scène à côté d’un piano. Chacun.e se salue respectueusement de la tête, nous sommes entre gens bien élevés. La suite est un exercice de pas de deux, parfaitement musical, tellement parfait dans sa construction qu’il donne surtout l’impression que le chorégraphe s’est regardé faire. Il a admiré son propre talent. Exercice purement égocentrique qui manque donc forcément de surprises. Sonatine vaut toutefois d’admirer le superbe travail de Megan Fairchild, joliment mise en valeur par son partenaire Joaquin De Luze, qui en bon garçon bien élevé s’efface pour faire briller sa ballerine.
La Valse, toujours sur une musique de Ravel, est un ballet pour le moins surprenant. On connaissait le George Balanchine abstrait, le voilà narratif (ou du moins il essaye). Longs gants blancs, habits de gala et drapés au mur : nous sommes dans une salle de bal. Mais l’ambiance est inquiétante dès le lever de rideau. Quelque chose plane malgré les jupes qui froufroutent. La Mort rôde. La jeune et jolie débutante va d’ailleurs la croiser, entamer une valse avec elle avant d’être retrouvée morte sur le parquet de danse. Il y a quelques années sur cette même scène, le Miami City Ballet en avait un moment suspendu. Les danseurs et danseuses du NYCB ont eu plus de mal à diriger sa ligne conductrice. Un ballet abstrait et ils peuvent créer n’importe quoi ; un personnage plus précis à défendre et les voilà perdus. Si tout est parfaitement dansé, tout paraît un peu maladroit et emprunté dans la façon d’être sur scène et dans l’action. Et plus que la mort de la jeune fille, ce sont finalement les ensembles, toujours admirablement inventifs, qui mettent du piment dans cette Valse à l’ambiance un peu trop vieillotte.
Mais il y a eu Symphony in C pour finir. Le ballet qui résume peut-être le mieux le génie de George Balanchine et l’infini talent du NYCB pour l’interpréter. En quatre mouvements, le chorégraphe réécrit l’histoire de la danse et pose les bases de la sienne. Hommage à Marius Petipa, les femmes sont en tutus scintillants et les hommes en pourpoints, mais le choc du black & white sur fond de cyclo bleu est bien là. Le premier mouvement, mené tambour battant par la formidable Tiler Peck, est une démonstration de la technique américaine : cette vivacité qui n’oublie jamais la musique, cette énergie qui a du chien. Le deuxième est superbe de lyrisme, distillant des souvenirs de La Belle au bois dormant ou du Lac des Cygnes dans son adage, avant de partir vers des tonalités plus modernes de bassins décalés. Le troisième mouvement est tout en sauts, une allure presque royale dans les bras. Alston Macgill tient le rôle principal. Elle est apprentie, elle doit donc ne pas avoir encore 19 ans. Mais déjà sur scène, elle a l’assurance et le brio d’une soliste, un nom à suivre.
Quant au quatrième mouvement, c’est un joyeux, irrésistible, fantastique mélange de tout ça. Le corps de ballet aligne des dégagés dans toutes les positions, façon de dire : « Voyez toute ce que l’on peut faire avec tout ça, l’imagination est infinie« . Chaque geste surprend, l’oeil ne sait plus où regarder tant tout est superbe et inventif. Et malgré la rapidité des pas, pas une once de stress n’est perceptible chez les interprètes. Au contraire, et c’est aussi ça qui a tant plus pendant ces trois semaines, « Have fun !« semble être le maître-mot. Leur élan mis sur cette géniale chorégraphie est irrésistible et créer un enthousiasme que peu de ballets peuvent faire ressentir – un très bel acte 2 du Lac, un Adage à la rose suspendu, un mariage feu d’artifice de Kitri et Basilio. Amusons-nous, la danse est une fête !
Soirée Balanchine New York-Paris par le New York City Ballet au Théâtre du Châtelet, dans le cadre des Étés de la Danse. Walpurgisnacht Ballet de George Balanchine, avec Sara Mearns, Adrian Danchig-Waring et Lauren Lovette ; Sonatine de George Balanchine, avec Megan Fairchild et Joaquin De Luz ; La Valse de George Balanchine, avec Sterling Hyltin, Jared Angle et Amar Ramasar ; Symphony in C de George Balanchine, avec Tiler Peck, Andrew Veyette, Teresa Reichlen, Tyler Angle, Alston Macgill, Anthony Huxley, Brittany Pollack et Taylor Stanley. Samedi 16 juillet 2016.