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L’Opéra de Paris lance sa 3e scène – Avis et Décryptage

Le lancement de la 3e scène est l’un des événements de la rentrée du côté de l’Opéra de Paris. Le concept ? Une plateforme numérique et un croisement d’artistes venu-e-s de tous horizons. Des cinéastes, dessinateurs ou photographes, pas forcément connaisseur-se-s de l’institution, s’en inspirent pour livrer des courts-métrages, vidéos ou séries de photos.

3e-scene

L’idée, il faut bien le dire, est originale et novatrice dans le monde de la culture. Si l’on se penche sur les compagnies de danse, beaucoup réalisent et mettent en ligne de courtes vidéos. Mais cela se fait toujours à but promotionnel. Ici, la démarche est d’abord artistique. C’est un regard, un point de vue. Et le résultat est parfois surprenant.

La vidéo Nephtali de Glen Keane, dessinateur chez Disney, est une superbe réussite. Le dessinateur crée non seulement un dessin animé sous nos yeux, mais montre aussi comment son inspiration a créé ce personnage de ballerine (et la question : à quand le long-métrage ?). L’après-midi d’un Faune de Karim Zeriahen, mélangeant la version actuelle de François Alu à celle d’archive de Rudolf Noureev, a une part d’envoûtement. Plus classiques, Je me souviens de Manuela Dalle ou O comme Opéra de Loren Denis montrent les coulisses d’un autre angle. La première a aussi d’amusantes anecdotes sur la Maison. Laura d’Arnaud Uyttenhove est une jolie réflexion sur une danseuse qui se cherche. C’est presque au bout du monde de Mathieu Amalric a de quoi énerver, mais j’ai personnellement été fascinée par cette voix qui prend forme et ce rapport au corps. Chacun-e a son point de vue sur ces films, qui ne sont d’ailleurs pas là pour faire l’unanimité.

Mais… Comme à chaque fois à l’Opéra de Paris, la dimension du public semble être oubliée. J’ai eu beau cherché, je n’ai trouvé ni endroit pour commenter les vidéos ni lien pour partager sur les réseaux sociaux. En 2015, on est dans la faute professionnelle. Je dois dire aussi que je m’attendais à autre chose. Une visite des coulisses, des petites interviews qui viendraient se rajouter, une découverte des métiers de l’Opéra, pourquoi des directs en streaming de répétition… Six autres films, en plus des 18 projets en ligne, vont être diffusés pendant la saison. Ce qui laisse envisager un site qui aura du mal à vivre au jour le jour (là encore, imaginer en 2015 une plateforme numérique qui ne se renouvèle que tous les deux mois, c’est être assez éloigné des pratiques du web actuel). Mais l’art après tout peut vivre dans un autre espace-temps, ce n’est parfois pas plus mal.

« Moi ce qui m’intéresse, c’est le public qui n’est jamais venu à l’opéra et qui va découvrir à travers cette plate-forme de création des oeuvres entièrement nouvelles« , déclarait Stéphane Lissner à propos de la 3e scène. Et c’est peut-être là le problème. Quelques vidéos ont tout pour faire le buzz comme on dit : le projet de Glen Keane ou Etoiles, I see you de Wendy Morgan avec Lil Buck, grand maître des réseaux sociaux (même si cette vidéo reste très classique). Les autres ? Pas sûr que quelqu’un d’étranger à l’Opéra ait envie de cliquer dessus. Ce qui est bien dommage, car pas besoin de connaître ce monde pour être interpellé-e par ces films. Mais l’ensemble de cette 3e scène renvoie une image assez élitiste, presque snob.

Ce n’est pas forcément par des vidéos que l’on attire un nouveau public, mais par des choses très pragmatiques : une billetterie claire, des places abordables. Ce que n’a absolument pas l’Opéra de Paris aujourd’hui. Un petit effort sur les prix des petites catégories, les places à 10 et 12 euros aussi vendues sur Internet (pour que les provinciaux, ces gens venus des contrées lointaines, puissent aussi en profiter), surtout la suppression des abonnements pour les catégories petites et moyennes (pour que l’on puisse encore trouver des places abordables trois mois avant le spectacle) seraient des méthodes beaucoup plus efficaces. Ne parlons pas de réseaux sociaux réellement utiles.

Par rapport aux demandes très concrètes du public, la 3e scène apparaît ainsi un peu vaine. Dommage, car le fond ne l’est pas. C’est un peu le problème de l’Opéra de Paris. L’institution adore les grands projets, mais néglige le quotidien de ses relations avec le public.

 

Comments (10)

  • Emmanuelle

    Oui. C’est une scène sans salle, sans tribune, sans forum où le public puisse se faire entendre.
    C’est l’entre-soi dans toute sa splendeur. A part un grand créateur, le dessinateur des studios Disney qui a le sens du mouvement et de l’image, beaucoup de clichés pompeux de »ce qui fait contemporain » : lenteurs, silences, gros plans à fleur de peau.

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  • alena

    Pour ne pas dire ce que j’en pense, je vais seulement écrire que je suis tout à fait d’accord avec Emmanuelle. 🙂

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  • JL

    Vous attendiez-vous vraiment à de la « démocratisation » sachant que la prise de fonction de Stéphane Lissner et Benjamin Millepied a coïncidé avec une hausse indécente des prix des billets ? La nouvelle direction est par ailleurs très « star system » et cela a un coût de financement certain. On parle de l’appropriation des lieux par le public avec l’animation XX danseurs mais rappelons que le traditionnel défilé est pour ainsi dire privatisé cette année. Voilà…

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  • Emmanuelle

    Oui. C’est le règne de l’Arop et du mécénat « glamour » – Van Cleefs & Arpels -, et comme vous le dites très justement, la transformation d’un événement qui touchait un large public – le grand défilé – en un dîner privé et « select ». Pour en revenir à la 3e scène et aux pauvres clichés qu’elle nous ressasse, on trouve dans le film « Laura » une jeune danseuse qui affirme que la danse contemporaine, contrairement à la danse classique, met à nu le danseur. Comme si la danse classique n’atteignait pas, elle aussi, mais par d’autres moyens, à des profondeurs insoupçonnées. Et y a-t-il encore un grand danseur pour les opposer ? Voilà pourtant où en sont encore les vidéastes, plasticiens, concepteurs et artistes contemporains de la 3e Scène.

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  • MUC

    Sans mécénat il n´y aurait pas d´OdP ni d´autres compagnies de ce calibre. (Musique et théatre inclus) Combien y a-t-il de compagnies « privées » ? Je ne suis pas cliente de van Cleefs et Arpels mais suis quand même très contente qu´ils donnent un peu de leurs sous pour me permettre de voir un beau spectacle. Ceci dit je suis d´accord que des places a 130 € ce n´est pas vraiment top.

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  • novas

    J’adore le film de Glen Keane. Si comme moi vous avez envie d’un peu plus:
    https://www.youtube.com/watch?v=O9CG_PoEWCg
    La dynamique du dessin animé peut même nous apprendre à améliorer nos mouvements.

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  • Jerome

    Personnellement je ne vois pas du tout ce qu’il y a de choquant dans les propos de « Laura ». L’opéra de paris propose de manière très égale du contemporain comme du classique, rien que cette année entre Keersmacker, Baush, McGregor, Maguy Marin, n’importe quelle danseur préférant le contemporain peut être comblé à l’opéra de paris et y être à sa place. Je trouve cela sain et rassurant que ces jeunes filles se posent des questions, remettent les choses en question, plutôt que d’être des robots décérébrés sortant de l’école de danse en pensant que le combo « tutu diadème pointe » est la seule voie digne d’être suivie et seul moyen d’épanouissement artistique. D’autant que le répertoire de l’opéra de paris permet justement de danser pleins de style différents. La violence et le mépris de certaines personnes sur les forums envers ces danseuses et, elle, choquante et peinante. (au final , ces filles ont bien le droit de penser et de danser ce qu’elles veulent)

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  • alena

    Pour répondre à Jérôme, ce que j’ai trouvé choquant dans le film « Laura » c’est l’aspect très doloriste du rapport à la danse : ces respirations incessantes et agonisantes m’ont paru insupportables. Le film fait passer l’opéra pour une prison où on malmène les danseurs, où on les fait souffrir, et présente ce rapport à la souffrance sans nuances (je trouve). Cet épanchement doloriste me gêne bcp bcp. Je le trouve même insupportable. Mais il me suffit de ne pas regarder le film… C’est simple!

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  • alena

    Et dans l’ensemble, j’avoue trouver ces vidéos soit niaises, soit très convenues. Mais encore une fois : il est si simple de ne pas les regarder (d’où ma réserve initiale).

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