Les nouveaux promu-e-s du Bolchoï : un bilan de l’ère Sergueï Filine
La saison 2014-2015 du Bolchoï a tourné une nouvelle page de l’histoire du théâtre. « L’ère Filine » prend fin sur un bilan nuancé. Le répertoire et la troupe ont été enrichis de nouvelles influences, sans entacher l’identité si particulière du Ballet du Bolchoï. Les retransmissions en direct de Pathé Live remplissent d’ailleurs les salles des cinémas du monde entier, preuve que la réputation artistique de l’institution moscovite est au sommet. Mais les faiblesses structurelles du théâtre demeurent et le directeur artistique l’a payé au prix fort. Avant de quitter les lieux, en mars 2016, Sergueï Filine a promu l’été dernier un dernier cru étonnamment moscovite, contrastant avec l’ouverture qu’il a impulsée au cours d’un mandat entamé en 2011. Gros plan sur les nouveaux promus du Bolchoï, artistes hétéroclites qui incarnent la diversité croissante de la compagnie.
Trois nouvelles Étoiles : le sacre de Moscou
Sans grande surprise, Denis Rodkine, 25 ans, a été élevé au rang de « premier » (Étoile en russe). S’il n’a pas été formé à l’académie du Ballet du Bolchoï, il a été façonné par l’école moscovite, assumant un style de danse classique qui oscille entre héroïsme guerrier – dans les ballets soviétiques de Youri Grigorovitch – et tradition princière. Depuis la convalescence à durée indéterminée de David Hallberg, le Bolchoï était en manque de grand prince blond. Le théâtre a trouvé en Denis Rodkine un nouveau danseur noble à la virilité affirmée. Dans une interview à Danses avec la plume, il confiait son désir d’interpréter Albrecht, Désiré, Solor et Conrad pour « s’accomplir en tant qu’artiste« . C’est déjà chose faite pour Albrecht (Giselle). Les autres rôles pourraient bien être à l’ordre du jour de la saison qui s’ouvre.
Anastasia Stashkevitch, blonde gracile, est montée en puissance cette dernière saison avec des prises de rôles classiques (Giselle, Kitri) et des créations audacieuses (Hamlet, Un Héros de notre temps). Son physique de ballerine idéal – silhouette frêle et un visage angélique – ferait d’elle une Marie rêvée dans Casse-Noisette ou une ravissante Belle au bois dormant. Anastasia Stashkevitch semble toutefois s’affirmer dans un répertoire néo-classique plus contemporain (Les Illusions perdues, La Mégère apprivoisée) qui lui permet d’émerger en dehors des grands rôles classiques monopolisés par les stars internationales de la compagnie. Elle a participé à toutes les récentes créations du Bolchoï, en distribution principale et en distribution alternative, et pourrait bien être de la prochaine création, Ondine. C’est assez rare pour être souligné : la toute nouvelle Étoile n’a jamais dansé Odette/Odile – pourtant rôle incontournable des grandes danseuses russes – dans le Lac des cygnes du Bolchoï. Anastasia Stashkevitch est décidément une ballerine atypique.
Les fidèles spectateur-rice-s des retransmissions Pathé Live l’ont forcément identifiée : Anna Nikoulina a été omniprésente dans les distributions de la saison 2014-2015. C’est la danseuse « sans-faute-de-goût », qui ne se distingue ni dans le meilleur ni dans le pire. Elle est particulièrement appréciée de Youri Grigorovitch mais n’est que peu distribuée dans les œuvres d’autres chorégraphes. Et pour cause, cette danseuse manque de personnalité artistique et évolue dans l’ombre de talents emblématiques du Bolchoï. Sa nomination semble donc plus être une reconnaissance pour sa maîtrise des rôles qui ont forgé la réputation de la troupe que le signal d’un nouveau tournant dans sa carrière. A moins qu’Anna Nikoulina ne se découvre un répertoire de prédilection. Cette bonne élève avait en effet bien commencé sa carrière : diplôme de l’Académie du Ballet du Bolchoï avec mention, prise de rôle deux ans après d’Odette/Odile… Le changement de direction lui ouvrira peut-être de nouveaux horizons.
Quatre nouveaux solistes principaux (équivalent de Premiers danseurs) : les hommes à l’honneur
Artemy Beliakov est jeune, il est sorti de l’Académie du Ballet du Bolchoï en 2010 seulement. Dès ses premières années dans le corps de ballet de la troupe, il a eu l’occasion de danser divers petits rôles dans des registres allant de Youri Grigorovitch à George Balanchine en passant par Jirí Kyliàn. Sa polyvalence est un de ses atouts majeurs. Mais ce n’était pas évident de percer aux côtés de l’académisme raffiné de Vladislav Lantratov ou de la technique sportive de Denis Rodkine, deux danseurs de la même tranche d’âge qui ont un univers bien à eux. L’heure d’Artemy Beliakov semble toutefois venue en 2013 avec une première grande prise de rôle classique (le Mauvais génie dans Le Lac des cygnes) qui a marqué les esprits. Depuis, le soliste est devenu une valeur sûre et montante de la compagnie qui pourrait être récompensée du titre ultime d’Étoile dans un futur proche.
Elle est connue des balletomanes people comme « la femme d’Ivan Vassiliev« . Mais Maria Vinogradova peut compter sur ses propres atouts. En premier lieu, une beauté sensuelle atypique dans les rangs des danseuses classiques. Elle n’est à l’évidence pas un Cygne blanc idéal ; les rôles un brin frivoles lui vont davantage. Ces dernières années, elle a d’ailleurs interprété Olga dans Eugène Onéguine, La Sylphide, Giselle, Shirine dans Légende d’amour… Des femmes-enfants au charme certain. C’est toutefois le rôle exotique de Bela, la princesse orientale d’Un Héros de notre temps qui lui a permis d’exprimer sa troublante singularité. En outre, Maria Vinogradova montre une belle technique, moins spectaculaire que celle des figures de proue de la troupe, mais solide et précise. Lors de la prochaine saison, elle pourrait incarner une envoûtante Bayadère, mélange de sensualité féminine et de candeur juvénile.
Depuis le départ d’Ivan Vassiliev, le Ballet du Bolchoï était en manque de danseurs nerveux, sportifs et sûrs d’eux en scène. Igor Tsvirko a su tirer son épingle du jeu en s’illustrant dans les rôles de demi-caractère, exhibant une technique explosive, avant de s’attaquer à des personnages qui laissent plus de place à l’interprétation. Pari réussi dans Un Héros de notre temps, ballet novateur dans lequel il a interprété un Pétchorine pétri de morgue néanmoins hanté de remords. Igor Tsvirko a montré qu’il savait danser en couleurs et interpréter en nuances. Ce n’est pas l’atout noble de la troupe mais il est appelé à représenter le savoir-faire du Bolchoï dans le répertoire propre à la compagnie.
Denis Savine a participé à toutes les récentes créations du Bolchoï : un gage de confiance qui annonçait un tournant dans sa carrière, entamée en 2002 dans le corps de ballet. Long et blondin, il est moins gaillard que Denis Rodkine et à ce titre parfait pour incarner les personnages littéraires d’antan qui ont prospéré au Bolchoï sous le mandat de Sergueï Filine. Le nouveau soliste principal fait valoir par ailleurs une interprétation coup-de-poing, ce qui lui a permis de créer le rôle de Grouchnitski et d’Hamlet la saison passée, respectivement dans Un Héros de notre temps et Hamlet. Jean-Christophe Maillot lui avait également confié le rôle principal de Petruchio dans la deuxième distribution de La Mégère apprivoisée. Un bel envol – quoique tardif – pour ce danseur qui était principalement cantonné aux rôles de caractère (le Vizir dans Légende d’amour ci-dessous par exemple) secondaires.
3 nouveaux premier solistes (équivalent Sujet)
Daria Khokhlova a représenté le Bolchoï dans l’émission télévisée russe Bolshoi Ballet (littéralement Grand Ballet), aux côtés d’Igor Tsvirko. Serait-ce un tremplin officiel pour cette pétillante danseuse ? Les grandes prises de rôles sont encore rares mais la radieuse Daria Khokhlova, 23 ans, semble avoir été désignée par l’institution comme l’une des jeunes solistes féminines à mettre en avant.
Youri Baranov a été formé à Kiev et a été admis dans le corps de ballet du Bolchoï en 1998. Depuis, sa carrière ne décolle que laborieusement et sa promotion au grade de premier soliste est trop tardive pour annoncer le début d’une grande carrière.
Son visage solaire s’affiche dans de nombreux magazines de mode russe mais au Bolchoï, Maria Semanyachenko a une autre particularité. Elle n’est pas du sérail. La danseuse a été formée à Kiev avant de faire ses classes à Moscou puis d’être embauchée par le Théâtre Stanislavski. En 2013, elle rejoint le Bolchoï, rétrogradant au rang de simple soliste. Depuis, elle trace son chemin dans le répertoire classique. Lentement mais sûrement.
A noter que le Ballet du Bolchoï compte également 5 nouveaux solistes (équivalent Coryphée) : Anastasia Vinokour, Angelina Karpova, Ana Turazashvili, Alexander Smoliyaninov et Alexandre Vodopetov.
A l’issue de la prochaine saison, les promues devraient être en premier lieu Olga Smirnova, qui aurait vraisemblablement été promue si elle n’avait pas été longuement immobilisée par une blessure, et potentiellement Anna Tikhomirova ainsi que la très médiatique Ksenia Zhiganshina.