Kaori Ito – Je danse parce que je me méfie des mots
Dans le monde de la danse, Kaori Ito n’est pas vraiment une inconnue en tant qu’interprète. Elle a dansé pour Angelin Preljocaj, plus récemment le solo Plexus d’Aurélie Bory, inspiré par son parcours. Elle se livre tout autant dans sa dernière création, Je danse parce que je me méfie des mots, une pierre de plus à son travail de chorégraphe démarré il y a quelques années. La danseuse creuse les rapports complexes qu’elle a avec son père, le sculpteur Hiroshi Ito. Elle a autant besoin de son regard qu’il l’énerve parfois. Le propos est sincère et juste, même si la pièce donne plus souvent l’impression de voir le travail de création que la création en elle-même.
Kaori Ito se pose d’abord des questions. Sur pourquoi elle danse, sur sa double culture, sur son pays d’origine, sur son intégration en France, sur le fait que tout le monde lui demande si elle sait faire des sushis. Kaori Ito « danse parce que je me méfie des mots« , mais les mots sont nécessaires à son introspection, à nourrir ses pas, à créer sa danse. Dès que les questions se taisent, Kaori Ito se met d’ailleurs à danser, à creuser, à chercher. Son père la regarde tout d’abord sur une chaise. Puis il prend l’espace scénique, il intervient. Il ne la guide pas, mais il la titille dans ses recherches. Leur relation semble à la fois complexe, et en même temps si banale du lien père-fille : une admiration réciproque, une envie de la protéger pour lui, le besoin de son regard bienveillant pour elle.
Les Ito père et fille ne trichent pas en scène, se livrent sans fard. Mais ce qu’ils proposent semble toutefois plus relever de la recherche pure que du résultat. Faut-il montrer le travail de création en scène ou faut-il le laisser pour le studio ? Faut-il dévoiler le travail d’introspection ou le laisser derrière le rideau ? J’ai tendance à choisir la deuxième solution.
Le spectacle en soi ne semble ainsi commencer qu’aux deux tiers, quand père et fille se mettent en position de valse, l’oeil droit dans le public. Commence alors un très tendre duo. Kaori Ito est une danseuse magnétique, silhouette fragile mais donnant tant de force en scène. Lui, déjà âgé, garde un corps étonnamment souple. C’est elle qui le guide, qui le pousse. Mais quand Kaori Ito se lance dans un long solo, elle a toujours besoin du regard de son père. Et lorsqu’il quitte la scène, elle le suit des yeux remplis de reproches.
Kaori Ito a besoin de se construire pour elle-même, sans le regard de ses parents. Je danse parce que je me méfie des mots apparaît comme une pièce indispensable de son parcours, quelque chose qu’elle devait faire avant d’avancer. Des maladresses certes, un manque de rythme, mais quelque chose de profondément sincère émane du projet, n’en rendant que l’artiste plus attachante.
Je danse parce que je me méfie des mots de Kaori Ito au Théâtre Saint-Quentin-en-Yvelines avec le soutien de la Fondation BNP Paribas. Avec Kaori Ito et Hiroshi Ito. Mercredi 14 octobre 2015.