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Sylvie Guillem vue par dix personnalités de la danse

Après plus de 30 ans de carrière, Sylvie Guillem tire sa révérence. Elle dansera pour la dernière fois le 31 décembre pour le concert de la Saint-Sylvestre au Japon. Danseuse atypique, elle a démarré sa carrière par les grands classiques du répertoire, avant de s’émanciper des compagnies pour mener ses projets en solo. Son physique hors-norme comme sa forte personnalité artistique ont marqué le monde de la danse. Pour Danses avec la plume, dix personnalités de la danse (danseur.se.s de toute génération, journaliste, écrivaine…) évoquent ce que représentent pour eux.elles Sylvie Guillem.

 

Kader Belarbi – Directeur du Ballet du Capitole, Danseur Étoile de l’Opéra de Paris (1999-2008). « Je retiendrai sa flamme dans le regard« .

L’un des souvenirs les plus marquants avec Sylvie Guillem est lorsqu’elle m’a réellement sauvé la vie ! Nous dansions Notre-Dame de Paris à l’Opéra Bastille. Après la montée impressionnante de la façade de la cathédrale du sol vers le gril, Quasimodo entraîne Esméralda vers l’église et ouvre frénétiquement les portes. Mais la planche devant se rabattre sur toute la longueur du pas de porte n’avait pas fonctionné. Ma jambe a chassé au sol dans un trou béant avec la vue sur les 16 mètres de profondeur vers les dessous de la scène. Sylvie Guillem a eu le réflexe de me soutenir par les épaules. J’ai pu ainsi éviter de basculer le corps dans le vide. J’ai rebondi aussi vite que possible et nous avons sauté ensemble par-dessus le trou béant qui aurait pu être fatal. Ce fut une belle frayeur !

J’ai globalement peu dansé avec Sylvie Guillem, mais je retiendrai sa flamme dans le regard que j’ai partagé avec elle. Ses yeux reflétaient une présence authentique et vivante, ce qui donnait la place à un libre échange et à une force d’interprétation. Avec elle, rien n’est gratuit et le spectacle est un vrai moment consacré. Sa très belle carrière démontre la maîtrise et la puissance d’un vrai pur-sang qui ne lésine pas et assume ses choix, sans aucun doute l’une des plus intransigeantes et libres des Amazones de la danse.

Noëllie Conjeaud – Danseuse à l’Opéra de Lyon – « Elle a dépoussiéré l’Opéra en partant de l’Opéra« .

Sylvie Guillem a dépoussiéré l’Opéra de Paris. D’abord en étant promue si jeune. À l’Opéra, on y rentre petit et l’on gravit les échelons petit à petit. Elle n’a jamais suivi ces règles-là. Et puis avant elle, personne n’avait eu cet aplomb de dire : « Je m’en vais« . Elle a dépoussiéré l’Opéra en partant ! Artistiquement, son travail avec William Forsythe est vraiment marquant pour moi. C’est très impressionnant, je pense que l’un et l’autre se sont inspirés en permanence.

Isabelle Ciaravola – Professeure au CNSMDP, Danseuse Étoile de l’Opéra de Paris (2009-2014). « Je me sentais telle une disciple face à son mentor« .

« La Guillem » reste pour moi une idole, ainsi qu’une personne très importante dans l’avancée de ma carrière. En effet, elle m’a fait l’honneur de m’intégrer à l’un de ses galas alors que ne j’étais que Première danseuse. Nous avons fait une somptueuse tournée au Japon, où j’ai pu la côtoyer quotidiennement et me nourrir de tous les conseils très avisés qu’elle me donnait. Je me sentais telle une disciple face à son mentor. J’ai porté la même marque de collants qu’elle, que je commandais à Londres, et sur ses conseils j’ai définitivement ôté les lacets de mes pointes.Tous ces instants resteront magiques et gravés dans ma mémoire. Artistiquement, elle a été une source d’inspiration et s’est avérée être une personne profondément humaine et à l’écoute.

J’ai eu le privilège de la retrouver plus tard dans sa maison, où elle m’avait accueillie avec son mari, de la côtoyer dans son univers et d’assister à une des créations que lui faisait Russell Maliphant. Sylvie Guillem est un exemple pour tout le monde, elle restera une icône avant-gardiste de la danse même si elle décide de quitter la scène.

Sylvie Jacq-Mioche – Historienne de la danse, professeure à l’École de Danse de l’Opéra de Paris – « Elle a infléchi le rôle de la ballerine comme l’avait fait Taglioni« .

Sylvie Guillem, me semble-t-il, a infléchi l’image et le rôle de la ballerine comme Marie Taglioni l’avait fait sous le Romantisme. Marie Taglioni n’était pas la seule à maîtriser la technique des pointes, mais c’est elle qui lui a donné un sens avec La Sylphide, au point de devenir une icône. Sylvie Guillem n’était pas forcément la seule à posséder cette fascinante laxité liée à sa formation de gymnaste. Dès les années 1970, la grande Étoile soviétique Nadejda Pavlova, elle aussi venue de la gymnastique, défrayait la chronique avec ses poses spectaculaires et novatrices. Sylvie Guillem, cependant, en fit plus qu’une prouesse. Elle proposa au public une relecture du corps de la ballerine, tout en lignes étirées, fluides ou tranchantes, volontaires toujours. Maurice Béjart les exploite, mais c’est davantage William Forsythe, avec In the middle, qui s’en empare, puisant dans sa danse un nouveau modèle d’écriture chorégraphique.

 

Friedemann Vogel – Principal Dancer au Stuttgart Ballet – « Incroyable de voir cette femme puissante devenir si brisée« .

La première fois que j’ai vu Sylvie Guillem, elle dansait au World Ballet Festival au Japon. J’avais déjà vu énormément de vidéos d’elle, j’avais été inspiré par cette si fascinante artiste. Mais la voir en chair et en os était incroyable. Elle dansait le pas de deux de L’Histoire de Manon de Kenneth MacMillan, c’était vraiment comme si elle était morte à la fin ! Tout était si crédible… C’était incroyable de voir cette si forte et puissante femme devenir brisée, si fragile. Elle m’a profondément touché. Pour moi, Sylvie Guillem est une icône de la danse, qui a changé l’esthétique et la façon de voir les choses dans le monde du ballet.

Ariane Dollfus – Journaliste danse, auteure du livre Noureev l’insoumis – « Quelle trace va-t-elle laisser dans l’histoire de la danse ?« .

De Sylvie Guillem, tout a été dit : sa technique époustouflante, ce corps de liane qui n’a pas pris une ride, ce pied fabuleux, cette extension extra-ordinaire… De Sylvie Guillem, on sait aussi qu’elle peut être très émouvante. J’avoue qu’elle m’a tiré des larmes dans L’Histoire de Manon et dans Marguerite et Armand. Mais de la carrière de Sylvie Guillem, on peut aussi avoir des regrets, et s’interroger sur la trace qu’elle laissera dans l’histoire de la danse. Parce qu’elle s’est presque toujours refusée aux médias audiovisuels, aux photographes et aux télévisions, il restera d’elle très peu d’images, à l’heure pourtant, où les captations devenaient de très bonne qualité. Quelques documentaires qu’elle a acceptés, et des bouts d’images, heureusement diffusées sur YouTube feront que dans 50 ans, on saura encore qui elle fût.

Mais entrer dans l’Histoire de la danse, c’est avant tout imprimer sa marque par des créations marquantes. Et l’on peut regretter alors, de ne l’avoir pas vu créer de grandes oeuvres entrées dans la légende. Parce qu’elle a préféré faire une carrière « solo » (ce qui était son droit) , elle a vu quelques grands chorégraphes (mais trop peu…) lui créer des oeuvres de poche, exportables, faites à la mesure de son talent, mais qui ne seront pas impérissables ni durables. Cette même carrière « solo » n’aura pas profité au reste du monde de la danse, au contraire de ce que fît une figure mythique comme Rudolf Noureev, qui consacra une large part de sa vie, à danser en guest au sein de compagnies. Par sa seule présence à leurs côtés, Rudolf Noureev divulguait son talent et relevait le niveau de la troupe. Sylvie Guillem n’aura pas, me semble-t-il, imprégné beaucoup de compagnies de ses incomparables dons. Elle aura eu, à son corps défendant, une influence terrible sur la danse au féminin : aujourd’hui, toutes les filles (et même les petites filles) s’adonnent à des développés à l’oreille et des arabesques penchées à 5h50. La « Guillemnisation » des esprits a renforcé l’aspect gymnique de la danse classique d’aujourd’hui. Et c’est regrettable. Car tout le monde n’est pas Sylvie Guillem.

 

Josua Hoffalt –  Danseur Étoile à l’Opéra de Paris – « Je l’admire pour sa liberté« .

Personnellement, je n’ai vu que trop rarement Sylvie Guillem en scène, mais j’ai un souvenir d’elle en vidéo. Et une chose me frappait toujours : c’était la modernité de ses interprétations des grands classiques. Parfois c’était parfois génial, parfois c’était trop, mais je me suis toujours dit que je regardais quelqu’un de totalement libre dans ses choix d’interprétation. Et c’est pour cela que je l’admire le plus, pour sa liberté .

 

François Legrée – Danseuse Étoile à l’Opéra de Paris (1983-1997) – « Sylvie Guillem est une fille droite« .

Dans la danse, Sylvie Guillem est un cas à part… Tellement hors norme ! Elle a marqué son époque. Le souvenir qui m’a marquée personnellement est qu’à l’époque de Rudolf Nourev, lorsque j’étais mise à l’écart, elle faisait partie des rares personnes qui se comportaient normalement avec moi. Et je pouvais les compter sur les doigts de la main… Sylvie Guillem est une fille droite.

 

Anne-Marie Pol – Écrivaine – « Sa qualité exceptionnelle : sa liberté en scène« .

Sylvie Guillem avait tout pour être une Étoile : un beau physique, du tempérament, une perfection technique et une justesse du mouvement. Mais cela lui suffisait-il pour devenir l’Étoile par excellence ? Non ! Elle est allée beaucoup plus loin grâce à une qualité exceptionnelle : sa liberté en scène. Sylvie Guillem s’y déploie avec l’audace des intuitifs, s’abandonnant à une espèce de sauvagerie, qui fut celle d’Anna Pavlova peut-être, de Vaslav Nijinski sans doute, et sûrement de Rudolf Noureev. Elle est de la même lignée. Chacun en son temps a révolutionné la Danse et elle, à son tour, l’a fait évoluer. Il y a un « avant » et un « après » Sylvie Guillem. Les danseuses ont essayé de l’imiter, les chorégraphes ont inventé pour elle et la Danse de notre époque a pris un visage : le sien.

 

Sara Renda – Danseuse Étoile à l’Opéra de Bordeaux – « C’est un peu comme si le public était avec elle sur scène« .

Sylvie Guillem, c’est l’Étoile, c’est l’exemple, c’est la danse. Elle a été ma danseuse préférée, et je pense que je ne suis pas la seule ! Elle peut tout danser, du classique au contemporain, et elle le danse toujours d’une façon incroyable. Je l’ai vu sur scène à Milan dans un ballet contemporain. J’avais des frissons, j’étais très émue.Elle ne faisait pas juste les pas, elle donnait quelque chose, un peu comme si le public était avec elle sur scène. Quand je danse, j’essaye de faire la même chose, que le public ressente ce que moi-aussi je ressens sur scène.

 

Commentaires (3)

  • a.

    Merci Amélie.

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  • Sorry to be a party-pooper, but one quite fails to see how Guillem might in any way, shape or form qualify as a classical dancer.

    It has all been a bit of a bad joke. The sooner we forget about it and get back to actual dancing – as opposed to tentacle-poking – the happier we shall all be.

    BTW, I am not alone in thinking this, alone as I may be in SAYING it.

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  • Nakis

    Wonderful tribute to an incomparable artist. This may displease Mrs Kanter but this is also how I see the art and contribution of Sylvie Guillem:
    http://www.gramilano.com/2015/12/sylvie-guillem-last-dance-tribute-to-the-artist-and-her-career/

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