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Onéguine au Staatsballett de Berlin – Polina Semionova et Jason Reilly

Dans son adaptation de 1965 (créée au Ballet de Stuttgart et remaniée en 1967) de l’œuvre de Pouchkine Eugène Onéguine, le chorégraphe sud-africain John Cranko explore la complexité russe des sentiments les plus profonds et les traduit en une chorégraphie alliant subtilement lyrisme et prosaïsme. Ajoutez-y une interprétation survitaminée du Staatsballett de Berlin et Polina Semionova, l’ex-soliste de la troupe en invitée, et vous obtiendrez un ballet narratif d’une rare intensité, au répertoire de la compagnie depuis 2003.

Onéguine de John Cranko – Corps de ballet du Staatsballett de Berlin

John Cranko, le maître du néoclassicisme allemand, aimait raconter des histoires toutes simples. Dans ce ballet, il délaissa volontiers la pantomime pour se concentrer essentiellement sur les personnages et leurs caractères, qui s’inscrivent dans les pas des danseur.se.s et conditionnent habilement leur jeu. Avec joie et justesse, la jeune troupe de Berlin s’est appropriée jusqu’au bout des pointes cette chorégraphie virtuose.

Le rideau se lève. Une scène bucolique où deux sœurs, Olga et Tatiana, s’aiment et se taquinent. Onéguine et Lensky  apparaissent. Ce dernier invite Olga, d’un double posé piqué fini à ses pieds, à danser. Un pas de deux d’une grande poésie, basé sur le leitmotiv d’enchaînements de pas cher au chorégraphe, s’amorce. Krasina Pavlova est papillonnante dans le rôle d’Olga. La jeune Bulgare, au Staatsballett depuis 2004 et soliste depuis 2011, possède une grande technique et notamment une rapidité de bas de jambes très appréciable. Son interprétation du rôle, juste et actuelle, tranche avec celle de Iana Salenko, un peu trop mièvre à mon goût. Naïve mais pas trop, Krasina Pavlova exprime le caractère frivole et enjoué d’Olga à travers de vifs ports de bras qui pourraient être cependant plus allongés.

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Onéguine de John Cranko – Polina Semionova (avec Wieslaw Dudek)

La danseuse est accompagnée par Marian Walter, charmant sans plus, qui est un brin hésitant dans ses premières pirouettes : ses demi-pointes/talons mériteraient d’être mieux maîtrisés. L’Étoile du Staatsballett de Berlin met toujours un peu de temps à entrer dans ses rôles, comme ce fut le cas à la première de Giselle l’an passé. Mais son interprétation gagne en intensité un peu plus tard dans le ballet, lors de sa variation tourmentée annonçant le duel.

Le clou de la soirée, c’était bien sûr le retour tant attendu de Polina Semionova (American Ballet Theatre) dans le rôle de Tatiana. Rien à redire, l’ancienne Étoile du Staatsballett de Berlin maîtrise la situation. Elle aborde le pas de deux de la lettre en toute sincérité. Polina Semionova s’enivre d’amour dans des portés, des décalés, des glissés, des tournoiements enflammés et exigeants. Son bas de jambes est fulgurant de précision. Sa technique est telle que sa grande taille ne gêne nullement son partenaire, le Canadien Jason Reilly (Stuttgarter Ballett).

Onéguine de John Cranko - Polina Semionova et Wieslaw Dudek

Onéguine de John Cranko – Polina Semionova (avec Wieslaw Dudek)

Polina Semionova excelle dans le genre de l’héroïne « douce rêveuse « . Son problème : changer de genre. Elle a tout pour être la danseuse la plus charismatique de sa génération. Elle a la technique, de l’allure, du charme. Mais ce qui lui manque, c’est du chien. Et cela n’éclorera plus. Ainsi, le pas de deux du troisième acte, au bras d’Alexej Orlenco (parfait dans cette première prise de rôle du Prince Grémine), était moins emballant. Polina Semionova dans le rôle d’une femme profonde, mûre voire fatale, ça ne marche pas. Le pas de deux final, où Onéguine se rend compte qu’il ne pourra jamais plus être aimé, demeure néanmoins fascinant de vivacité chorégraphique. Pourtant, Jason Reilly, invité du Stuttgarter Ballett, est techniquement solide mais on sent que le rôle ne lui va pas forcément comme un gant. Il manque d’âme. Mikhail Kaniskin, soliste du Staatsballett de Berlin (qui incarnait le rôle d’Onéguine en octobre dernier), a indéniablement plus la carrure de ce héros romantique évanescent. Quant au corps de ballet, il s’étoffe de jour en jour, de premières en reprises : les lignes sont méticuleusement respectées, l’engouement dans les danses folkloriques et les valses de bal est entier.

Et que serait la chorégraphie sans la partition de Tchaïkovski, agencée par Kurt-Heinz Stolze, qui souligne la poésie de l’âme russe, en mêlant des partitions pour piano (Les Saisons) et des pièces opératiques, dont le poème symphonique Francesca da Rimini, l’ouverture fantaisie Roméo et Juliette et des extraits de l’opéra Les Souliers de la reine. John Cranko ne s’est pas osé à transposer l’opéra Eugène Onéguine et rares sont ses collègues chorégraphes qui l’ont fait pour d’autres pièces. Ainsi, John Neumeier pour La Dame aux Camélias a-t-il préféré Chopin à Verdi et Frederick Ashton, dans Marguerite et Armand a-t-il opté pour des partitions de Liszt. Le chef James Tuggle, venu tout spécialement de Stuttgart pour l’événement, a dirigé l’orchestre de la Staatskapelle de Berlin avec le brio nécessaire à ce ballet majeur qui, depuis quarante ans, se doit d’être au répertoire des plus grandes compagnies.

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Onéguine de John Cranko – Corps de ballet du Staatsballett de Berlin

 

Onéguine de John Cranko par le Staatsballett de Berlin au Schiller Theater de Berlin Avec Polina Semionova (Tatiana), Jason Reilly (Onéguine), Krasina Pavlova (Olga), Marian Walter (Lenski) et Alexej Orlenco (Prince Grémine). Vendredi 27 novembre 2015. À voir le 4 décembre 2015 et les 7 et 10 janvier 2016.

 

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