29e Festival du cirque actuel CIRCa – Cridacompany, L’Éolienne et Nikolaus
Le monde du cirque se retrouve tous les ans à Auch, comme le théâtre se rejoint à Avignon. Depuis 29 éditions, troupes internationales, écoles, jeunes talents, programmateur.rice.s, professionnel.le.s et amateur.rice.s du cirque se mélangent au Festival du cirque actuel CIRCa, pour des spectacles et des rencontres. Danses avec la plume se glisse pour quelques jours dans ce grand bouillonnement du cirque. Pour cette première journée, place à du burlesque, le grand Nikolaus et la découverte de L’Éolienne.
La journée démarre avec la Cridacompany, qui vient présenter sa dernière création Mama/Papa Carnaval. Sur scène, deux hommes, puis deux femmes, sorti.e.s de nul part et dans leur monde, qui partent pour une heure d’un grand dialogue burlesque et absurde. Il y a des échanges de casquettes, de la musique, des chaussures à talon, un accordéon. Pas d’acrobatie ou de jonglage, mais de la poésie, un univers assez indéfinissable mais particulier, un peu perché, un peu ailleurs. Et l’émotion qui vient vous chercher par surprise au détour d’un regard. L’art absurde a souvent du mal à m’emporter. Mais la Cridacompany sait créer son propre monde et toucher tous les âges. Dans la salle, des rires d’enfants fusent ainsi avec ceux de leurs parents.
Changement de chapiteau (la dizaine est disséminé dans toute la ville) pour la compagnie L’Éolienne, qui propose deux pièces. Pour chacune, le sentiment est ambivalent : le propos sonne parfois creux mais la troupe a un parti-pris et sait créer de très beaux moments en scène. Flux Tendu d’abord est un travail d’une vingtaine de minutes autour du trapèze. Cinq circassiens et circassiennes font face au public, tout comme leur trapèze. Chacun appréhende la scène différemment : il y a l’angoissée, la solaire, le grand calme, le tendu… Sur une percussion lancinante, chacun chercher son équilibre sur le trapèze, à base des gestes simples de débutants (la suspension à deux mains) puis en les complexifiant de plus en plus et en apprivoisant l’engin, sur le rythme qui accélère imperceptiblement. Quelques moments de grande tension – et de grande beauté aussi – alternent avec des passages plus à vide, dont le propose a du mal à atteindre le public.
Beaucoup plus longues (1h10), The Safe Word se veut être une pièce sur la réflexion citoyenne. La surveillance d’Internet, les niches fiscales, les égos sur les réseaux sociaux, les grandes fortunes, le pouvoir détenu par une minorité et surtout la non-révolte des citoyen.ne.s face à toutes ces injustices en vrac forment le magma du propos. Un propos souvent cliché et rabattu avec instance, trop, tout au long du spectacle, et parfois de façon bien trop lourde et appuyée. À un point tel que l’engagement en devient naïf et caricatural (l’argent, c’est mal). À croire que Florence Caillon ne fait pas confiance au geste pour faire comprendre un propos, et a besoin de l’appuyer continuellement par du texte, des lectures et des vidéos pour être bien sûr de se faire comprendre. La subtilité est tout un art.
The Safe World pourrait donc vite devenir pénible. Mais là encore, la troupe sait créer des moments de grâce (par exemple sur un superbe numéro de corde, casque de moto sur la tête pour se moquer du principe de précaution poussé à l’extrême), moins dans la pure révolte et plus dans la profondeur, d’autant qu’elle est composée d’artistes à forte personnalité et extrêmement attachants. La pièce est également portée par un engin original : un long grillage suspendu sur la scène et le public, qui sert surtout au début et à la fin du spectacle (l’intérêt de le laisser pendant se pose d’ailleurs, d’abord pour de simples raisons technique de bien voir les vidéos). Au début, il pose la question du regardant et regardé. Les artistes regardent le public comme des bête curieuses, leur lançant des bouts de pain à travers le grillage. Pour le final, il est une très belle métaphore de la liberté, que chacun doit s’attacher à acquérir car on ne va pas lui donner. Lentement, difficilement, chaque artistes grimpe, s’accroche au grillage vert, avant de se retrouver au sommet. Faut-il redescendre du même côté pour la facilité ou faire le grand saut vers la liberté ? Le choix n’est pas si facile que ça.
Pour la soirée, place à un grand nom du cirque : Nikolaus, auguste jongleur, un fidèle de CIRCa depuis sa création. Il vient avec Le corps utopique ou il faut tuer le chien ! avec sa compagnie Pré-O-coupé. Comme le premier spectacle de la journée, place à l’absurde, mélangé à plein d’autre choses : l’art clowenesque, le jonglage, une infinie poésie, quelques acrobatie sur un monde qui s’écroule, un chien (le chien, très important dans ce spectacle). Sur scène, quatre personnes arrivent : Un colonel étriqué, une secrétaire un peu godiche, un jeune homme tout fou-fou et le sage (ou clown) chapeau vissé sur la tête. Ils sont là pour ce qui semble être un débat… et qui bien sûr va partir en vrille. Que se passe-t-il d’ailleurs ? D’un clin d’oeil, tout bascule dans l’absurde. Le monde qui les entoure s’écroule petit à petit, les rideaux se déchire, le plâtre se défait, l’échafaudage tome en ruine (forcément lorsque l’on est dessus). Le vieux clown joue Beethoven sur un piano qui roule, le colonel étriqué se transforme en un jongleur mélancolique, la secrétaire une jeune femme dans la lune qui aime marcher dans le vide. Le corps utopique ou il faut tuer le chien ! est en fait difficile à décrire. Mais sur scène, une merveilleuse poésie et une immense tendresse envahissent chaque instant, entrecoupés de sourire, de surprise, et de ce quelque chose d’indéfinissable entre rire et larmes.
Le cirque, ce sont des troupes professionnelles mais aussi de nombreux amateurs et amatrices qui pratiquent le cirque avec passion. CIRCa ne les oublie pas en leur réservant quelques spectacles. La Fédération Française des écoles du cirque (FFEC) qui fête ses 10 ans y organise d’ailleurs ses rencontres nationales pour développer les échanges entres les écoles. Le dernier spectacle du soir met en avant trois écoles rattachées à la FFEC, trois trois groupes d’ados passionné.e.s qui montrent leur travail amateur – mais sérieux – de l’année. Et peut-être quelques futurs pros parmi eux.elles.
Mama/Papa Carnaval par la Cridacompany au Théâtre, avec Jur Domingo et Marta Torrents, Claudio Stellato et Julien Vittecoq ; Flux Tendu et The Safe Word par la compagnie L’Éolienne, avec Marcelo Ferreira Nunes, Volodia Lesluin, Eva Ordonez Benedetto, Marion Soyer et Loreto Tormen ; Le corps utopique ou il faut tuer le chien ! de la Compagnie Pré-O-coupé / Nikolaus au Dôme CIRC, avec Mehdi Azema, Pierre Byland, Ode Rosset et Nikolaus ; Labo Cirque, les Rencontres nationales de la FFEC au Chapiteau CIRCa – CIRC. Mardi 25 octobre 2016.
Le 29e Festival du cirque actuel CIRCa continue à Auch jusqu’au 29 octobre.