La Belle au bois dormant de Matthew Bourne – Un conte de fées gothique
Un peu de diversité fait toujours du bien. Alors au lieu du sacro-saint Casse-Noisette de Noël, place à La Belle au bois dormant de Matthew Bourne et la compagnie New Adventures au Sadler’s Wells de Londres. Le chorégraphe chéri de la perfide Albion aime revisiter les grandes histoires intemporelles pour y imprimer sa touche résolument contemporaine… et la Grande-Bretagne adore. Pour cette Belle au bois dormant, prenez la version des frères Grimm, saupoudrez libéralement de magie Walt Disney, ajoutez-y du roman gothique, des vampires, et un voyage dans le temps de 1890 à aujourd’hui. Puis agitez le tout vigoureusement et vous obtiendrez un ballet tout aussi charmant que bien souvent déconcertant.
La facilité avec laquelle Matthew Bourne raconte une histoire est décidément attirante. Il le fait grâce à des transitions invisibles et un spectacle à l’anglo-saxonne, où scénographie et décors sont enchanteurs. Le chorégraphe a un talent rare, celui de réveiller la part d’émerveillement, la capacité à la fascination dont seuls les enfants sont tout à fait capables. Le goût pour le loufoque et le farfelu est totalement assumé. Il s’exprime dans des détails bien trouvés, comme le bébé Aurore « interprété » par une marionnette étonnamment expressive et coquine qui escalade les rideaux à la force de ses petites mains – prémices de la jeune femme libre aux pieds nus que deviendra la petite princesse.
Du côté du casting, le point fort se trouve dans les solistes, tout particulièrement l’interprète de la jeune princesse. Ashley Shaw n’a rien à voir avec une Aurore traditionnelle : malicieuse, bondissante, et d’une sensualité tout en naturel, la danseuse fait preuve d’une grande solidité technique dans les danses en couples des années 1920 ou les solos inspirés par Isadora Duncan. L’objet de son affection est en fait Léo, le jardinier du palais – un Chris Trenfield à l’interprétation impeccable. Un troisième personnage vient compléter le triangle amoureux : le fils draculéen de la fée Carabosse, Caradoc (Tom Clark joue les deux rôles) qui jette son dévolu sur Aurore et kidnappe la malheureuse.
Ce puzzle si bien ficelé culmine à l’acte II où le chorégraphe joue sur ses point forts et assume de troquer la virtuosité pour le lyrisme naturel dans un adage à la rose qui se fait passionné duo de jeunes amoureux. Mais le spectacle a beau nous en mettre plein la vue, il est aussi quelque peu déroutant. Le prologue, qui se veut un hommage à Petipa et son défilé de fées, manque trop de verve technique pour susciter l’intérêt. Au contraire, la reprise de certains éléments de la chorégraphie originelle ne fait qu’accentuer l’infériorité manifeste de la version moderne. Frustration intense.
Si Matthew Bourne a voulu réinjecter de la passion dans un conte de fées un peu trop poussiéreux, le dénouement – express – ne convainc pas. Après moult péripéties tumultueuses, après avoir échappé à un mariage forcé qui s’apparentait à un rite sacrificiel, Aurore est enfin délivrée par son jardinier charmant, avant de sauter allègrement avec lui dans un lit à baldaquin et d’en sortir, quelques instants plus tard et tout sourire, un bébé dans les bras. Légèrement absurde, tout de même. Ces quelques incohérences n’empêchent cependant pas de savourer le spectacle, excellente alternative à l’immuable spectacle de Noël.
La Belle au bois dormant de Matthew Bourne par la compagnieNew Adventures au Sadler’s Wells. Avec Ashley Shaw (Aurore), Chris Trenfield (Léo), Christopher Marney (Le Comte Lilas) et Tom Clark (Carabosse/Caradoc). Jeudi 10 décembre 2015. À voir jusqu’au 24 janvier 2016.