Les Ballets russes : une révolution permanente avec Marie-Agnès Gillot, Lil Buck et Friedemann Vogel
Les Ballets russes et son danseur mythique Nijinksi sont au coeur – et un peu par hasard – de la programmation danse de cet automne. Après une soirée à la Philharmonie et avant des pièces de théâtre à Chaillot ou au Théâtre de la Ville, la Fondation Louis Vuitton a dédié un programme à la troupe de Diaghilev, Les Ballets russes : une révolution permanente. L’affiche est luxueuse (Marie-Agnès Gillot, Lil Buck, Friedemann Vogel, Sidi Larbi Cherkaoui) voulant montrer ces ballets à travers le regard les grands interprètes et chorégraphes d’aujourd’hui. Un résultat cohérent et qui charme, même si le résultat surfe parfois un peu plus sur la tendance que la profondeur.
Après un texte de Serge Lifar et Jean-Cocteau sur Nijinski, place à un curieux petit film de Christian Compte. Nijinski n’a jamais voulu que ses oeuvres soient filmées, ayant trop peur de l’épreuve du temps. Ils voulaient laisser ses ballets avec cette certaine aura mythique, vus uniquement à travers les regards du public de l’époque. Mais le danseur a très souvent accepté les photographes. Christian Compte en a ainsi retrouvé plus de 10.000. Et parfois, en mettant quelques clichés bout à bout, il arrivait à recréer une sorte de mouvement de Nijinski. Le résultat est fascinant, avec comme l’impression de voir un fantôme à l’écran. Comme un souvenir du passé qui aurait du mal à atteindre notre époque, qui ne serait vu qu’à travers un miroir dépoli.
Lil Buck rentre ensuite en scène. Danseur de jookin, il a collaboré avec Yo-Yo Ma, Madonna, le New York City Ballet ou le Cirque du Soleil. Branché, ultra-connecté, Lil Buck est le symbole même de l’artiste tendance : celui que l’on s’arrache et qui lance les modes. Le danseur n’est toutefois pas qu’une image, et loin de là. Sa danse est magique, légère et désarticulée, expressive et toujours en création. Pour interpréter un Petrouchka du XXIe siècle, on ne pouvait rêver mieux. Le danseur apparaît de fait comme un pantin désarticulé cherchant à devenir homme. Une beauté émouvante qui tient cinq minutes, avant de tomber dans une certaine lassitude et une répétition du mouvement. Lil Buck apparaît de fait plus inspiré un peu plus tard dans le spectacle, lorsqu’il revient pour La Mort du Cygne accompagné par Henri Demarquette au violoncelle. Il garde son attitude de pantin jouant des pointes de ses baskets tout en déployant ses bras comme des ailes. Le regard est celui du Pierrot, dans la lune et mélancolique, quand le geste est habité par la musique.
Le Sacre du printemps est connu pour ses nombreuses relectures – plus de 250. Mais L’Après-midi d’un faune n’est pas en reste, peut-être parce qu’il est le symbole même du danseur Nijinski. Sidi Larbi Cherkaoui en a fait avec Faun l’une des plus belles des relectures, qui tourne autour du monde depuis huit ans. Plus qu’à Nijinski, Sidi Larbi Cherkaoui rend hommage à la force du ballet, en montrant à quel point il est encore moderne. Le duo est sobre : simple caleçon et tunique de couleur neutre pour les costumes, pas de décor. Le Faune et la Nymphe sont mi-créatures, mi-humains. Ils sont à un pied d’égalité : ce n’est pas le Faune attiré par une Nymphe pudique, mais deux êtres qui s’attirent, presque surpris de l’être, qui se tournent autour à l’instinct. La sexualité n’est pas montré comme outrageuse, ne se veut pas être choquante, mais s’affiche comme une part naturelle de la nature humaine. Sidi Larbi Cherkaoui y déploie toute sa danse autour de la spirale, spirale qui part de la tête, du bassin, du pied, du dos, porté par ses grands interprètes James O’Hara et Daisy Philips. Le duo est à la fois beau esthétiquement parlant et très troublant dans sa simplicité.
C’est une autre reprise de Sidi Larbi Cherkaoui qui est repris pour la fin du spectacle : un extrait de son Oiseau de feu créé pour le Ballet de Stuttgart, avec son interprète Friedemann Vogel et Marie-Agnès Gillot. Voilà deux interprètes absolument magnifiques et un duo idéal pour ce genre de spectacle (une danse néo-classique facile d’accès sans tomber dans la mièvrerie). Mais est-ce le cadre ou des répétitions réduites, les deux artistes ne semblent pas avoir grand-chose à se dire. Ils sont très beaux, mais chacun.e de leur côté.
Les Ballets russes : une révolution permanente à la Fondation Louis Vuitton. Création de Lil Buck autour de Petrouchka, avec Lil Buck et Théo Fouchenneret (piano) ; Faun de Sidi Larbi Cherkaoui, avec Daisy Philips et James O’Hara ; La Mort du Cygne de Lil Buck, avec Lil Buck et Henri Demarquette (violoncelle) ; Duo de L’Oiseau de feu de Sidi Larbi Cherkaoui, avec Marie-Agnès Gillot et Friedemann Vogel. Dimanche 30 octobre 2016.