Quand Cédric Andrieux parle de « Cédric Andrieux »
En 2009, Jérôme Bel écrit la pièce Cédric Andrieux, du nom de son interprète principal. Jouant sur la déconstruction des codes du spectacle, la pièce raconte la vie du danseur, chez Merce Cunningham ou au Ballet de l’Opéra de Lyon, dans sa passion comme dans sa trivialité du quotidien répétitif. Sept ans et pas loin de 300 représentations plus tard, Cédric Andrieux a fait le tour du monde. La pièce est toujours donnée une dizaine de fois par an. Son passage le 18 novembre à la Maison de la Danse de Lyon est l’occasion d’une rencontre avec l’interprète sur ce morceau de danse si atypique.
Comment appréhendiez-vous Cédric Andrieux au moment de sa création ?
Les enjeux de la pièce n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Il nous a fallu un an et demi de préparation, avec un processus de travail particulier. Nous n’avons eu que deux semaines de studio. C’était autrement beaucoup d’écriture avec Jérôme Bel, d’allers-retours sur le texte, sur les pas, sur ce qu’il fallait creuser ou non. On a travaillé en studio, chez lui, beaucoup sur ordinateur, par mail… Avant la création, on ne savait pas ce qui allait fonctionner, être repris et entendu par le public. Et je ne savais pas comment j’allais être dans cet exercice que je n’avais pas vraiment éprouvé avant dans ma carrière. C’est une pièce qui demande beaucoup de concentration, l’écriture de Jérôme Bel étant extrêmement précise. Je devais faire attention à ma diction, au temps que je pouvais prendre, au fait d’être là au moment présent avec le public et avec ce qui me traversait le corps. Pour Jérôme Bel, l’essentiel est que les choses fassent sens. Et comme pour beaucoup de ses pièces, une autre étape de travail se met en place quand on commence à les jouer. Il faut essayer de comprendre ce qui est entendu, pourquoi le public réagit à ce moment-là et pas à un autre.
Comment ces enjeux ont-ils évolué au fil de la tournée ? Le public réagit différemment aux choses aujourd’hui ?
Pour Jérôme Bel, il était important politiquement que la pièce soit jouée lors des deux premières années de tournée sur de grandes scènes, là où j’avais dansé avec Merce Cunningham ou l’Opéra de Lyon. Il fallait être dans le même contexte que la pièce. Puis il y a eu un moment charnière avec une tournée des instituts français en Afrique, sur cinq semaines. Les conditions étaient parfois spartiates, devant un public qui allait de 10 à 350 personnes, avec les conditions techniques de là-bas. Cette tournée m’a permis d’enlever une certaine appréhension, de ne pas avoir peur de parler, d’être sur le plateau, de créer cet endroit d’émancipation. Quant au public, il évolue plutôt selon les lieux. Il n’y a d’ailleurs pas un public, mais des publics variés, conditionnés par leur classe sociale, leur culture. Donner Cédric Andrieux au Brésil, à New York, en Afrique ou à Brétigny-sur-Orge n’a pas du tout la même résonance. Les références ne sont pas les mêmes. Merce Cunningham ne fait pas partie de l’inconscient collectif en Afrique, comme cela peut être le cas à Berlin ou Paris, où je m’adresse à des gens pour qui le sujet est important. En Afrique, les portes d’accès étaient plutôt sur les moments de danse pour ce qu’ils étaient, toute la partie autobiographique et le décalage du danseur qui parle. C’est plutôt à ces endroits-là que ça se joue.
Aujourd’hui, après 300 dates, comment appréhendez-vous cette pièce ?
C’est très différent maintenant du fait que je ne danse plus. L’enjeu était au début sur le texte, un outil auquel je n’avais pas été formé. Aujourd’hui, je me sens bien plus en sécurité avec, je sais comment me rattraper. Je suis suffisamment conscient des enjeux pour transcrire le sens sans être à la virgule ou au mot près, même si je cherche à le rester. Maintenant, l’enjeu est plus physique. Quand la pièce a été créée, je sortais de 10 ans avec Merce Cunningham, j’étais au Ballet de l’Opéra de Lyon dans une discipline toute autre avec le cours chaque matin. Aujourd’hui, je ne danse plus. Avec ce solo, je me retrouve sur le plateau à retraverser des choses qui s’éloignent de moi au fur et à mesure que le temps avance. Je dois essayer de me reconnecter tant bien que mal avec cette physicalité et accepter la situation telle qu’elle est. Il faut faire au mieux, accepter que le corps soit moins entraîné sans pour autant lâcher. Il faut bien montrer la danse que j’évoque par le texte, ça ne peut pas être moins bien. C’est l’un des enjeux très important de ce solo.
Au bout de 300 représentations de Cédric Andrieux, il n’y a aucune lassitude à monter sur scène ?
La difficulté de la pièce empêche la lassitude d’arriver (sourire). C’était la même chose avec le travail de Merce Cunningham, j’ai pu danser certaines de ses pièces 150 fois. On peut se lasser de la routine qu’il y a autour, de l’échauffement, mais pas du spectacle en lui-même. Quand la difficulté est toujours là, l’enjeu de la pièce reste. La difficulté est d’ailleurs un grand outil pour être dans le présent. Et puis chaque spectacle c’est différent, même si on reproduit les mêmes choses.
Vous avez dansé d’autres choses après la création de Cédric Andrieux. Il n’y a jamais eu l’envie de faire évoluer la pièce avec vos nouvelles expériences ?
La question s’est posée. Après ce solo, j’ai travaillé avec Mathilde Monnier, Daniel Linehan ou Christophe Honoré. Je pense que ces expériences artistiques intéressaient moins Jérôme Bel. Si j’avais travaillé avec Trisha Brown, Anne Teresa de Keersmaeker ou William Forsythe, il y aurait peut-être eu une évolution. Et c’est aussi le parti-pris de la pièce, raconter l’histoire telle qu’elle était à ce moment-là, en 2009. Bien sûr que la vie continue, mais ce n’est pas vraiment le propos de la pièce. Et puis je ne suis pas le point central de ce solo. Je suis plutôt le vecteur pour des choses qui sont bien plus grandes que moi : le projet de Merce Cunningham, danser dans un ballet, Trisha Brown, la danse contemporaine des années 1980, ce qui se passait dans les corps et les têtes…
Vous n’êtes pas agacé de n’être souvent ramené qu’à cette pièce, alors que vous avez fait beaucoup d’autres choses ?
Non. Le seul retour qui peut être compliqué à entendre vient de personnes qui n’apprécient pas de voir sur scène des danseur.se.s qui ne sont heureux du matin au soir. D’une certaine façon, Cédric Andrieux est un bel hommage à ce que j’ai fait dans ma carrière. Avant ce solo, j’étais un danseur de Merce Cunningham qui n’était pas forcément identifié. Cette pièce m’a finalement sorti de l’anonymat. Elle m’a permis de poser les choses, de me présenter devant beaucoup de gens d’une façon plus profonde et longue. Sans cette pièce, peu de personne aurait su ce que j’avais fait. C’est comme la pièce Véronique Doisneau (ndlr : créé à l’Opéra de Paris en 2004 sur le même concept). Véronique Doisneau a passé 20 ans dans le corps de ballet de l’Opéra de Paris, cette pièce lui a permis de sortir de l’anonymat.
Il n’y a jamais eu l’envie de réunir ces deux pièces lors d’une même soirée ?
Véronique Doisneau a été donné quand elle-même prenait sa retraite, pour ses adieux. Après, elle s’arrêtait de danser, il n’était donc plus question de la redonner. Cette pièce est d’ailleurs un peu partie en tournée après, et elle perdait effectivement de sa force. Cela a néanmoins pu se faire sur quelques dates d’une manière détournée, avec la captation de Véronique Doisneau projetée en deuxième partie de Cédric Andrieux.
Quel est votre rapport au travail de Jérôme Bel ?
Jérôme Bel est dans ma vie depuis 10 ans, il l’a changée ma vie d’une certaine façon. Son travail continue de me questionner énormément. Cela m’intéresse beaucoup de voir son évolution. Il a fait des pièces dites conceptuelles au début de sa carrière, très tenues, avec de fortes résistances. J’aime voir comment il lâche des choses au fur et à mesure. Son travail est très tenu artistiquement et intellectuellement. Il réussit à mobiliser le public et à ce qu’il soit complètement engagé dans ce qu’il regarde. Ça questionne toujours. Qu’est-ce qu’on fait là ? Qui l’on est ? Qu’est-ce que l’on cherche en allant au théâtre ? C’est ce qui me réjouit en voyant ses pièces.
Jeanne
J’ai vu ce spectacle à Poitiers, c’est la plus grosse arnaque à laquelle j’ai jamais assisté.
Cet homme n’aime pas la danse, on dirait et il le dit très bien lui même qu’il a fait ça par hasard, au gré de ses rencontres et de ses histoires de fesses, dont on se fout éperdument.
Certains passages sont racoleurs, notamment lorsqu’il parle de la gaine des danseurs classique (tellement facile d’acheter un public avec ça!!) quant à son plus beau souvenir sur scène (spectacle de Jerôme Bel où tous les danseurs se trémoussent sur de la musique avec pour chacun, un casque sur les oreilles dans une salle éclairée) c’est à mourir de ridicule et de honte pour tous les autres qui s’accrochent et qui bossent vraiment.