Giselle de Kader Belarbi – Ballet du Capitole
Pour une compagnie classique, et notamment en France, avoir « sa » Giselle est un indispensable, en tout cas le signe que la troupe se porte bien. Giselle, ce ballet si français (même s’il est revenu par les Ballets russes) exige des Étoiles et un corps de ballet de haut niveau, montre aussi tout un état d’esprit. Pour le Ballet du Capitole qu’il dirige depuis quelques années, Kader Belarbi s’est attelé à une reconstruction du ballet qu’il a si souvent dansé. Pour se démarquer – aussi parce que la troupe ne compte que 35 artistes, ce qui n’est pas tant que ça pour Giselle – il a retravaillé le premier acte, l’ancrant beaucoup plus dans une réalité villageoise et une gestuelle plus contemporaine. Malgré quelques maladresses et un manque de fluidité dans la partition remaniée, le parti-pris est intéressant et plutôt bien mené. Le deuxième acte offre toute la superbe et romantique tradition de Giselle, si universelle, très joliment travaillée par les danseuses de la troupe, Willis insaisissables. Le tout a été chaleureusement accueilli ce soir-là par le public du Corum de Montpellier, où la danse classique se fait rare.
Le danger des ballets classiques est de ne pas tomber dans le muséal. Comment rendre une pantomime actuelle ? Comment toucher un public d’aujourd’hui avec un sujet objectivement poussiéreux et passablement sexiste ? Peut-être en allant chercher à la fois du côté du conte et de personnages de chair et de sang. Ce premier acte de Giselle revu par Kader Belarbi, c’est un peu ça. Les personnages entrent en scène sur l’introduction, en parlant, en riant. Les tenus sont simples, de couleurs vives, loin des jupettes un peu trop chics des habituelles paysannes de Giselle. La pantomime est là mais parfois simplifiée, portée par des gestes du quotidien. Personne n’est là pour faire de la figuration, chacun a un rôle à jouer au village, une tâche à accomplir. Hilarion y compris, qui rentre toujours en scène portant deux seaux, d’autant plus irrité par l’attitude dansante de Giselle qu’il est lui au travail. Voilà pour les personnages de chair et de sang. Pour le conte, c’est le très beau décor de Thierry Bosquet qui fait sa part. La forêt derrière le village est poétique, mais bien trop sombre pour être honnête. Déjà quelques branches entourent de façon inquiétante les maisons, comme si les Willis faisaient déjà sentir leur présence. Nous sommes dans le Merveilleux, dans le sens où tout peut arriver et la magie fait partie du lieu.
Les vendangeurs et vendangeuses entrent en scène au début de l’acte 1. Leur danse est ancrée dans la terre (tout le monde est sur demi-pointes), plus triviale, plus quotidienne, teintée d’ivresse. L’ensemble fait penser à Mats Ek, un peu trop parfois d’ailleurs (Kader Belarbi a été un grand interprète de la Giselle du chorégraphe suédois). Si ce remaniement narratif fonctionne bien, il s’accompagne d’un remaniement musical qui ne se fait par contre pas sans heurts. Si la partition d’Adophe Adam est simple, elle ne se coupe pas en morceaux aussi facilement. La musique semble parfois s’arrêter au milieu d’une phrase, les transitions sont un peu abruptes. Ou est-ce l’Orchestre national de Montpellier qui n’a eu que peu de temps pour répéter avec le ballet, mais la musique s’arrête parfois un peu trop longtemps et coupe le fil narratif. La danse de Bathilde (oui, Bathilde danse ici) n’est pas des plus inspirées. Le pas de quatre des vendangeurs a aussi du mal à bien s’intégrer dans ce nouvel acte. Kader Belarbi n’a pas non plus dérogé à cette règle du moment virtuose dans la plus grande tradition classique. Il est en soi très réussi, porté par quatre danseurs et danseuses brillant.e.s (notamment Philippe Solano qui se démarque particulièrement). Mais le passage à nouveau sur pointes, les robes un peu plus engoncées ont du mal à s’intégrer dans l’état d’esprit villageois. Giselle aussi est sur pointes. Mais dans son cas, c’est précisément ce qui la distingue du commun des mortels, ce qui la rend plus gracieuse et aérienne que tout le reste, comme si déjà elle était dans un autre monde.
Néanmoins, le parti-pris étant intelligent et bien porté, cette première partie de Giselle séduit par sa fraîcheur. Dans le rôle-titre, Maria Gutierrez a l’expérience d’une ballerine accomplie et l’enthousiasme d’une jeune fille en fleurs. Sa Giselle est vive, radieuse, bondissante, débordante d’amour. C’est un peu ce miracle de l’Étoile qui a beaucoup dansé le rôle, et donc le possède jusqu’au bout des doigts, mais donne tout le même l’impression de le danser pour la première fois. Davit Galstyan est l’Albrecht méprisant, non pas amoureux mais véritablement joueur. Le couple, qui se connaît bien, apporte beaucoup de justesse aux personnages.
Le deuxième acte, celui des Willis, reste dans la pure tradition du ballet. Le travail a cette fois-ci été fait sur la cohésion du corps de ballet, sa légèreté, cette façon de devenir une gravure du romantisme sans se transformer en une simple image. Le résultat est à la hauteur. Le corps de ballet est impeccable, en place et vivant. Lauren Kennedy est une Myrtha impériale et autoritaire. Maria Gutierrez et Davit Galstyan offrent toute la complexité à leur personnage. Si elle était la reine du premier acte, lui est plutôt celui qui porte le second. Son personnage est rempli de remords et de tristesse, touchant en profondeur (si bien que même moi je finis par lui pardonner). Tout le monde en scène est à sa place, juste, dans le même état d’esprit. Preuve en est : ce deuxième acte se regarde comme si c’était la première fois. Oui, l’on sait qu’Hilarion va mourir. Mais oui, l’on frémit toujours devant sa mise à mort. Ou la gorge se sert lors de l’ultime pas de deux. Ou quelque chose de particulier étreint l’âme quand Myrtha ne peut que reculer face à l’amour de Giselle. La troupe du Capitole a bien été à la hauteur du ballet.
Montpellier, capitale de la danse contemporaine avec Montpellier Danse, n’a que peu l’habitude de voir de la danse classique (et de bonne qualité, les troupes russes plus que moyennes y passent plus souvent). Pourtant, le public du ballet est bien là. La salle de 2.000 places était pleine à craquer et le public s’y est montré extrêmement chaleureux. Les sièges étaient occupés par des familles, des écoles de danse, de nombreuses mini-ballerines en chignon impeccable pour montrer qu’elle en étaient. Giselle sait encore toucher au coeur. Montpellier et Toulouse faisant désormais partie de la même région, espérons que cette invitation se renouvèlera plus souvent.
Giselle de Kader Belarbi par le Ballet du Capitole au Corum de Montpellier. Avec Maria Gutierrez (Giselle), Davit Galstyan (Albrecht), Demian Vargas (Hilarion), Lauren Kennedy (Myrtha), Estelle Fournier (Berthe), Julie Loria (Bathilde), Scilla Cattafesta, Tiphaine Prévost, Matthew Astley et Philippe Solano (pas de quatre des Vendangeurs). Mercredi 16 novembre 2016.