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Cédric Andrieux – Jérôme Bel

Depuis 2009, Cédric Andrieux parcourt le monde pour danser le solo qui porte son nom, construit avec lui par Jérôme Bel. Il ne fait pas que ça, il a dansé pour le Ballet de l’Opéra de Lyon, pour Mathilde Monnier, il travaille dans la production. Aujourd’hui, Cédric Andrieux ne présente même qu’une petite partie de son temps, une dizaine de dates dans l’année. Mais le fait est là : depuis 2009, depuis plus de 300 fois, Cédric Andrieux monte sur scène un peu partout dans le monde pour raconter sa vie de danseur. Un solo qui dépasse vite sa simple personne, passionnant témoignage sur le travail de Merce Cunningham qui prend une place importante, et qui chamboule le public de son habituelle place de spectateur.rice. silencieux.se. 

Teatro Comunale di F errara stagione di danza 2010/11 - JEROME BEL_Francia /CEDRIC ANDRIEUX concezione e regia Jerome Bel - realizzazione e interpretazione Cedric Andrieux , 09-11-2010

Cédric Andrieux de Jérôme Bel

On le sait, en tant que public, on aime bien savoir ce à quoi on va avoir à faire. Le spectacle du soir est-il dans la case « Théâtre », « Danse », ou « Cirque », il faut être au courant. Cédric Andrieux déstabilise donc dès le début. Car si le solo est marqué du sceau « Danse », sur scène, l’interprète commence d’abord par parler. Jérôme Bel, le concepteur de la pièce, a réalisé comme cela plusieurs portraits de danseurs et danseuses. Le premier, et peut-être le plus connu pour le public du ballet, est Véronique Doisneau, du nom de la danseuse de l’Opéra de Paris. Le principe de ces portraits est à chaque fois le même : le danseur ou la danseuse se présente sur scène en tenue de travail. Il y raconte sa vie de danseur, ses débuts, la naissance d’une vocation, les moments difficiles, la trivialité du quotidien. Les phrases sont simples, dîtes presque de façon monocorde. Mais la danse prend forme dans ses mots. Parfois, l’interprète – pour illustrer son propos – se lance dans un extrait de pièce, une évocation de quelque chose qu’il.elle a beaucoup dansé, qui revient comme un souvenir, qui prend vie une nouvelle fois.

Quand Cédric Andrieux démarre, nous public entrons d’abord en empathie avec le personnage. Voilà l’histoire d’un petit garçon dont la maman adore la danse contemporaine, parce qu’elle se revendique non-élitiste. Il va voir tous les spectacles qui passent près de chez lui, Jean-Claude Gallotta ou Angelin Preljocaj. Il entre au CNSMDP et se retrouve confronté au classement, au jugement, à l’inverse de la vision qu’il avait de l’esprit de la danse contemporaine. C’est l’histoire finalement banale d’un danseur, qui finit premier à son examen alors que personne ne l’y attendait, qui accepte un contrat parce qu’il a un coup de foudre pour l’un des danseurs de la troupe. 

Puis dès que Cédric Andrieux part à New York, ce solo intimiste se transforme en autre chose : un témoignage précieux sur un monstre de la danse, Merce Cunningham. Le danseur a dansé huit ans dans sa compagnie. Il y raconte le quotidien de la troupe, le cours du matin si particulier, la présence et la distance du chorégraphe, le bonheur comme l’âpreté de danser ses pièces. Il explique la lassitude, la difficulté, comme les joies du métier. Son récit est à la fois d’une grande trivialité et profondément passionné. Derrière ses mots, c’est la personnalité de Merce Cunningham qui se dessine, sa façon qu’il a eu de changer les choses. La danse passe même de l’évocation à quelque chose de palpable quand Cédric Andrieux reprend un passage de la pièce. Plus qu’un témoignage, on n’est pas loin d’une leçon d’histoire de la danse, un vrai moment d’apprentissage pour le public. Au point que se pose aussi la question de la transmission de ce solo. Cédric Andrieux a la durée de vie de l’état de forme de Cédric Andrieux, la pièce s’arrêtera quand il ne pourra plus monter sur scène. Mais qui, après ça, pourra raconter Merce Cunnigham ? La mémoire de la danse est volage. Le solo revient ensuite à quelque chose de plus prosaïquement personnel quand le danseur raconte son choix de partir à Lyon, avant de terminer sur sa première expérience de travail avec Jérôme Bel sur The Show Must Go On.

Cédric Andrieux de Jérôme Bel

Cédric Andrieux de Jérôme Bel

Cédric Andrieux questionne aussi le public sur sa place et son rôle de public. Qui doit normalement rester silencieux. Mais le solo n’entrant dans aucune case, ou ne correspondant pas vraiment à la case dans laquelle on l’a fait rentrer, le public comprend qu’il peut prendre une autre place, ne pas forcément respecter le silence du théâtre, se mettre à lancer une réflexion à sa voisine ou à haute voix à toute la salle. Et c’est là que Cédric Andrieux se savoure aussi bien à regarder la performance de l’interprète qu’à écouter le public. Il y a une petite fille qui connaît par coeur ses cinq positions et qui récite le nom des pas qu’elle reconnaît. C’est une femme qui lance un ironique « On dirait qu’il fait les 3/8 » quand Cédric Andrieux raconte sa lassitude à toujours répéter les mêmes exercices de Merce Cunningham. C’est une autre qui applaudit à tout rompre après un solo de Trisha Brown, et lance en s’apercevant qu’elle est la seule un « Ben quoi, c’est super technique ce qu’il vient de faire« . C’est un regard gêné quand les lumières de la salle s’allument et que le danseur observe tout le monde sur Every Breath You Take. Et le murmure de ceux et celles qui fredonnent la chanson. Une expérience de public unique.  

 

Cédric Andrieux de Jérôme Bel par Cédric Andrieux à la Maison de la Danse de Lyon. À voir en Belgique en février et à Aubervilliers en avril 2017

 

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