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Le Lac des cygnes de Rudolf Noureev – Décryptage en quatre variations

Le Lac des Cygnes revient au Ballet de l’Opéra de Paris du 5 au 31 décembredans la version créée pour la compagnie par Rudolf Noureev en 1984. Dans l’imaginaire commun, Le Lac des cygnes est le ballet classique par excellence, et sa programmation pour les fêtes de fin d’année a tout d’un rituel, aux enjeux aussi bien économiques que symboliques. Mais de quel Lac des cygnes parle-t-on ? En proposant l’an dernier une reconstruction qui se voulait la plus fidèle possible à la version de 1895, Alexeï Ratmansky nous a rappelé, si besoin était, combien peuvent différer les versions de « ce » ballet.

Le Lac des cygnes de Rudolf Noureev est aujourd’hui une des versions de référence. Elle déploie une interprétation originale de l’intrigue, centrée autour du Prince Siegfried. Décryptage en quatre variations propres à cette version des parti-pris chorégraphiques et narratifs du Lac des cygnes de Rudolf Noureev.

Le Lac des Cygnes - Héloïse Bourdon et Josua Hoffalt

Le Lac des Cygnes – Héloïse Bourdon et Josua Hoffalt

 

Premier acte, La polonaise des hommes – Une revalorisation de la danse masculine

Formé en Russie, c’est au Kirov (l’actuel Mariinsky) que Rudolf Noureev a d’abord dansé les ballets de Marius Petipa. Lorsqu’il demande l’asile politique en France en 1961, il vient de se faire connaître et admirer en Siegfried. Le public d’Europe de l’Ouest connaît alors très peu le répertoire de Marius Petipa, et Rudolf Noureev aura à cœur de le remonter dès les années 1960, puis à l’Opéra de Paris à partir des années 1980. Il contribue à donner consistance à la notion de répertoire classique, mais cela ne l’empêche pas de prendre des libertés avec les ballets qu’il remonte.

L’histoire du Lac des cygnes est complexe. La version de 1895, chorégraphiée par Marius Petipa et Lev Ivanov, n’est pas exactement la première, mais est souvent considérée comme telle par les chorégraphes qui, au XXe siècle, s’emparerent du ballet. C’est d’abord en Russie que de nombreux Lac des cygnes sont créés dans diverses compagnies – par exemple celui de Vladimir Bourmeister, chorégraphié en 1953 pour le Stanislavski. C’est d’ailleurs avec cette version que l’Opéra de Paris danse pour la première fois en version intégrale Le Lac des cygnes

Rudolf Noureev a en tête ces versions lorsqu’il remonte Le Lac des cygnes en entier pour le Ballet de l’Opéra de Vienne en 1964. Mais si l’on y retrouve la structure en quatre actes, les grands moments de l’intrigue, et des variations et traits stylistiques communs à la plupart des versions russes, sa version a pour première originalité de revaloriser la danse masculine. Dans le premier acte, une grande part est ainsi accordée à des ensembles uniquement masculins.

 

 

Premier acte, Variation de Siegfried – Le Prince au cœur de l’intrigue

La grande force de la version de Rudolf Noureev est surtout de proposer une interprétation neuve de l’intrigue, centrée sur Siegfried et non plus sur Odette/Odile. Si romantisme il y a, il est ici présent au second degré, à travers les aspirations idéalistes du Prince, qui le conduisent à la frustration et à la folie. Ce Lac des cygnes traite aussi du poids des conventions sociales. Le mariage auquel Siegfried est contraint s’oppose à ses désirs profonds, sans doute homosexuels.

Cette interprétation a pu inspirer des chorégraphes ultérieurs, comme John Neumeier. Dans Illusions – Comme Le Lac des Cygnes, celui-ci dresse un parallèle, sous forme d’une mise en abyme, entre l’histoire du Lac des cygnes et le refoulement de son homosexualité par Louis II de Bavière. Chorégraphiquement, ce recentrage de l’intrigue sur le Prince se traduit notamment par l’ouverture du ballet sur un rêve prémonitoire de Siegfried, par la suppression d’éléments purement divertissants (par exemple du rôle du bouffon) et par l’ajout de solos. Ces variations de Siegfried ont été chorégraphiées par Rudolf Noureev dès 1962 pour celles de la fin du premier acte, et d’abord dansées avec Margot Fonteyn. En retrait tout au long du premier acte, le Prince exprime toute sa mélancolie dans la variation lente qui conclut le premier acte.


 

 

Troisième acte, Pas de trois Odette-Siegfried-Rothbart – L’histoire d’un trio

Le Lac des cygnes de Noureev n’est plus l’histoire d’un duo, mais d’un trio : le chorégraphe donne en effet consistance au rôle de Rothbart, dont il fait le double de Wolfgang, précepteur de Siegfried. Les deux personnages sont d’ailleurs interprétés par le même danseur – à plusieurs reprises par Rudolf Noureev lui-même. Une véritable relation s’établit entre Siegfried et Wolfgang/Rothbart, à travers des scènes de pantomime ou dans des variations ajoutées par le danseur-chorégraphe. 

Au troisième acte par exemple, le pas de deux entre Siegfried et Odile devient un pas de trois. La structure du pas de deux « à la Petipa » est adaptée en conséquence : Rothbart danse aussi bien dans l’adage qu’une variation de bravoure. Le style de Noureev est reconnaissable à la complexité des pas, toujours très classiques et académiques, à son insistance sur les poses, souvent marquées, mais aussi à son rapport si particulier à la musique, insupportable à certain.e.s spectateur.rice.s tant les danseur.se.s semblent parfois danser malgré la musique.

 

 

Quatrième acte, Pas de trois Odette-Siegfried-Rothbart – Une fin tragique

Comme pour son Casse-Noisette, une analyse à l’aune de la psychanalyse freudienne a souvent été proposée du Lac des cygnes de Rudolf Noureev, Wolfgand-Rothbart incarnant une figure du père, qui impose l’interdit mais que Siegfried ne parvient pas à tuer. Wolfgang-Rothbart revient ainsi à la fin du quatrième acte.. Nombreux sont les dénouements du Lac des cygnes, et celui proposé par Rudolf Noureev est résolument tragique. Après un nouveau pas de trois au cours duquel Rothbart arrache Odette à Siegfried, il l’emporte avec lui dans le ciel, réalisant le rêve prémonitoire de Siegfried et le faisant sombrer dans la folie.

D’une grande finesse chorégraphique, que ce soit pour les solistes ou pour le corps de ballet, et proposant une interprétation forte de l’intrigue, la version Noureev du Lac des cygnes est peut-être l’une des plus abouties

Mathias Heymann et Karl Paquette, Le Lac des cygnes.

Mathias Heymann et Karl Paquette, Le Lac des cygnes.

 

Sources/Pour aller plus loin

– Pour voir Rudolf Noureev dansant une première version des solos de Siegfried au premier acte. 

– Pour une analyse approfondie du Lac des cygnes de Rudolf Noureev.

– Pour une histoire des versions antérieures du Lac des cygnes.

 



Comments (2)

  • Aventure

    C’est passionnant, merci !

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  • Caroline

    J ai été vraiment déçue de cette version du lac. Les décors étaient vraiment pauvres, les costumes du 1er et 3e actes tristes – avec ces pastels dans les mauves et gris (et 3 costumes moutarde criards qui sautent aux yeux). Le chef d orchestre imposait un tempo d une lenteur à mourir qui renforçait la mièvrerie de l’interpretation d’odette, et la difficulté de terminer les pirouettes! La chorégraphie et l’intepretation laissent beaucoup de place à la fluidité du mouvement mais cette tendance est poussée à un niveau extrême et insupportable. Il n’y a plus de respiration de temps de pause pour raconter l histoire. Vraiment dommage!

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