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Le Lac des cygnes – Un avant-goût en répétition

Si la reprise du Lac des cygnes à l’Opéra de Paris en décembre réaffirme le primat de la hiérarchie (les Étoiles reviennent en force sous le mandat d’Aurélie Dupont), les nouveaux talents révélés par la brève ère Benjamin Millepied n’ont pas été oubliés. Démonstration réussie avec une répétition publique qui a mis à l’honneur Germain Louvet, récemment promu Premier danseur, et Léonore Baulac, Première danseuse. Il dansera Siegfried, elle dansera Odette/Odile mais sauf changement de distribution, ils auront des dates différentes. Découvrant chacun leur personnage cette année, ils nous aident à décrypter les arcanes d’un ballet élevé au rang de mythe, que Rudolf Noureev s’est réapproprié.

Le Lac des cygnes - Germain Louvet et Léonore Baulac en répétition

Le Lac des cygnes – Germain Louvet et Léonore Baulac en répétition

L’esprit de Rudolf Noureev s’est évanoui depuis la création de ce Lac des cygnes psychanalytique ; la nouvelle génération n’a jamais connu le chorégraphe. Le medium est ici Clotilde Vayer, autrefois Première danseuse et à présent maîtresse de ballet, qui restitue comme peu de personnes la lettre et l’esprit de cette version du Lac des cygnes. Sous son regard bienveillant mais néanmoins affûté, les deux apprenti.e.s travaillent la justesse du placement, l’intention d’un geste, la représentation de l’espace… mais aussi l’interprétation. L’aperçu qui est donné du ballet est particulièrement dense, chaque extrait est intelligemment choisi par Clotilde Vayer, maîtresse de cérémonie dont le sens de la pédagogie et l’aisance en scène forcent l’admiration.

Pour mettre le propos en relief, on commence par une démonstration de pantomime. L’exercice est ludique pour le public, périlleux pour Germain Louvet et Léonore Baulac. Siegfried et Odette se rencontrent pour la première fois. La reine des cygnes apparait au prince en pleine partie de chasse nocturne, elle lui conte son malheur, le sortilège qui l’a emprisonnée. La gestuelle est peu lisible pour ceux qui n’ont pas lu le livret. Clotilde Vayer regarde la scène, amusée, et pose cette question rhétorique à l’auditoire : « Vous avez compris ?« . Réserve dans les rangs du studio Bastille. « Alors, vous allez le refaire en le disant« , demande-t-elle à ses protégés. Conciliants, les deux interprètes énoncent sans balbutier le rébus chorégraphique qui forge leur personnage. L’intrigue s’illumine alors.

Le Lac des cygnes - Germain Louvet et Léonore Baulac en répétition

Le Lac des cygnes – Germain Louvet et Léonore Baulac en répétition

La variation d’Odette de l’acte II est également réglée au millimètre près. « Donne plus de bras« , conseille Clotilde Vayer à celle qu’elle surnomme affectueusement « Léo« . Elle insiste aussi sur le mouvement qui doit se répercuter jusqu’aux doigts. Avec son casque d’or, son visage juvénile et sa silhouette fragile, Léonore Baulac est une Aurore née, que l’on imagine à merveille dans La Belle au bois dormant. Son approche encore verte du rôle, qu’elle va assumer à la fin de l’année sur la scène de l’Opéra Bastille, offre à Odette un regard neuf. Elle n’est pas cette créature irréelle, cygne inaccessible aux yeux du prince. Elle redevient la jeune fille qui se mire au bord d’un lac formé « des larmes de sa mère ». Clotilde Vayer est attentive aux ailes de son cygne (dans la version de Rudolf Noureev, la ballerine doit camper une femme aux airs de cygne et non l’inverse) mais elle n’oublie pas le délicat travail de pointes qui est une spécificité à la française. Un pied qui glisse le long de la jambe en retiré, une descente de pointe moelleuse, des ronds de jambes allant crescendo pour figurer l’envol dans la variation d’Odette, « celle de l’espoir« , rappelle Léonore Baulac. On met également l’accent sur les équilibres suspendus, qui traduisent la dimension éthérée du cygne blanc.

Germain Louvet, resté en retrait, ne loupe rien de la démonstration. Partenaire attentif, momentanément « en vacances« , plaisante Clotilde Vayer, il souligne la profondeur psychologique de son rôle dans la version de Rudolf Noureev. Siegfried est « un jeune homme qui n’est pas sûr de son identité sexuelle« , précise-t-il. Et pour montrer combien l’homme est essentiel à la mise en valeur de la ballerine dans les pas de deux, Clotilde Vayer lui demande d’évoquer les difficultés techniques du maintien d’Odette dans l’adage blanc de l’acte II. Certains secrets de fabrication sont ainsi dévoilés. L’héroïne du Lac des cygnes devant montrer une personnalité duale, Clotilde Vayer n’omet pas de présenter les moments clefs de l’acte III, qui est dominé par l’arrivée Odile, le cygne noir. Le pas de trois (où Clotilde Vayer campe le rôle de Rothbart pour les besoins de la démonstration), les tours attitude et les piqués de la variation d’Odile, de même que les épaulements si chers à Rudolf Noureev, sont ainsi travaillés, avec les encouragements remarqués du maître de ballet. « Je ne faisais pas les tours aussi bien que toi« , glisse-t-elle affectueusement à Léonore Baulac. Plus tard, elle loue l’audace de la jeune danseuse, « elle ose et c’est formidable« .

Le Lac des cygnes - Germain Louvet et Léonore Baulac en répétition

Le Lac des cygnes – Germain Louvet, Léonore Baulac et Clotilde Vayer en répétition

Léonore Baulac et Germain Louvet ont fait leurs débuts de couple – à la scène – dans Casse-Noisette puis ils ont enchaîné avec Roméo et Juliette et, plus récemment des pas de deux romantiques de George Balanchine. Ils vont bientôt éteindre la destinée tragique des héros du Lac des cygnes, chacun de leur côté. Le début d’une grande carrière ?

 

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