Aleatorio de Jean-Christophe Maillot – Ballets de Monte-Carlo
Pour sa dernière création Aleatorio, Jean-Christophe Maillot a choisi un procédé intéressant : remonter trois anciennes pièces, dont deux sur une nouvelle musique, et tisser un lien narratif entre ces chorégraphies créées à 13 ans d’intervalle. Si l’ensemble reste cohérent, la trame qui se tisse entre les trois a du mal à se trouver, et chaque pièce reste entre soi. Mais qu’importe finalement. Que ce soit les hommes fascinés par les pointes de Men’s Dance, les danseuses conquérantes de Men’s Dance for Women ou le duo acéré de Presque rien, La danse de Jean-Christophe Maillot est toujours aussi formidable et prenante, tout comme les interprètes des Ballets de Monte-Carlo qui ont une façon unique d’occuper la scène.
Le lien entre la danse et la musique est décidément fascinant. Men’s Dance a été créé en 2002 sur du Steve Reich. La pièce est reprise en 2016 sur du Bach. Et elle semble n’avoir été dansée que sur cette partition tant elle se fond dans la musicalité du compositeur. L’écriture aime le contre-point, la chorégraphie se fait comme une fugue sur scène, où chaque voix est portée par un groupe de danseurs. Et tout comme la musique de Bach, la danse ne cesse de surprendre, faussement sage, prenant toujours une direction inattendue tout en restant ancrée dans sa base académique.
Jean-Christophe Maillot aime d’ailleurs les corps formés par la danse classique et n’est pas loin du fétichisme concernant les pointes, qu’il considère comme le prolongement naturel du corps de la danseuse. Dans Men’s Dance, ce sont justement les femmes sur pointes qui sont le moteur de la danse des 15 danseurs sur scène. Un écran en fond de plateau diffuse des jambes de ballerine sur pointes aux lignes magnifiques. Les interprètes sur le plateau ne sont pas fascinés par la femme, mais par la danseuse, par son élévation ultime sur pointes, l’image même de la perfection. Eux aussi sont danseurs classique, eux aussi ont donc en eux cette recherche constante de la légèreté et cette envie d’échapper à l’apesanteur. Avec leur danse et leur technique, ils essayent donc de reproduire cette élévation, chemin forcément sans fin puisqu’ils ne possèdent pas la technique de la pointe. Men’s Dance, c’est ainsi un peu le parcours d’un.e danseur.se classique : la recherche de la perfection, qu’ils savent inatteignable mais qui les galvanisent tout de même. Car il n’y a rien de torturé dans Men’s Dance : la danse est reine et apporte le bonheur.
Petit à petit, les danseurs sont remplacés par les danseuses. La chorégraphie, toujours sur du Bach, est tout aussi inventive et revigorante. Mais il manque un sens qui porte les gestes. La transition, pourtant appuyée, ne marche pas et les deux pièces n’arrivent à pas se fondre. Le moteur même de la danse des ballerines ne peut donc pas apparaître. Tout est très beau, mais tout semble sans but. L’on devine qu’il y a derrière Men’s Dance for Women l’idée de la femme dominante et inspiratrice. Peut-être que les interprètes de la troupe, profondément ancrées dans le XXIe siècle, ont du mal à se glisser dans cette idée véritablement dépassée (comme s’il n’y avait qu’une femme sur Terre).
Transition aussi difficile pour Presque rien, où la danse de groupe se transforme en duo et où l’unité a du mal à faire face. Mais comme dit plus haut, qu’importe tant ce pas de deux hypnotise. Il l’aime, elle l’aime. Pourtant, ils ne se font pas que du bien. Mais ils préfèrent de loin rester ensemble plutôt que de se confronter à la solitude. « Mieux vaut vivre seul que mal accompagné » ne serait-il pas l’adage le plus hypocrite de l’esprit humain ? Rien n’est simple dans un couple, comme rien n’est facile dans cette danse. Loin des pas de deux néo-classiques à la chaîne que l’on peut voir sur toutes les scènes du monde, Presque rien porte un sens dans chacun de ses gestes. Le porté se décale, les mains se quittent brusquement, les regards se retrouvent quand on s’y attend le moins : la danse prend toujours un angle inattendu dans ce duo. Le geste est anguleux et sinueux comme fuyant, avant de partir dans un grand élan de désir. Voilà sur scène un petit morceau de vie humaine, balancé à nu et percutant comme une vérité que l’on n’aurait pas vraiment envie de voir.
Aleatorio de Jean-Christophe Maillot par les Ballets de Monte-Carlo à l’Opéra de Monte-Carlo. Avec Edouardo Boriani, Stephan Bourgond, Daniele Delvecchio, Leart Duraku, Asier Edeso, Michaël Grünecker, Koen Havenith, Isaac Lee-Baker, Francesco Mariottini, George Oliveira, Alvaro Prieto, Lennart Radtke, Benjamin Stone, Simone Tribuna et Le Wang (Men’s Dance), Anjara Ballesteros, Taisha Barton-Rowledge, Anna Blackwell, Anissa Bruley, Candela Ebbesen, Mimoza Koik, Elena Marzano, Marketa Pospisilova, Gaëlle Riou, Katin Schrader, Kaori Tajima, Alessandra Tognoloni et Béatrice Uhalte (Men’s Dance for Women), Maude Sabourin et Christian Tworzyanski (Presque rien). Samedi 17 décembre 2016.