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Singspiele de Maguy Marin, David Mambouch et Benjamin Lebreton

L’interprète David Mambouch est seul sur scène dans Singspiele. Vulnérable dans sa presque nudité, il endosse les visages d’une foule de personnes, célèbres parfois, le plus souvent inconnues, réelles souvent, parfois artificielles, de tous les sexes et les genres, toutes les couleurs de peau, tous les milieux sociaux, toutes les époques. Des visages beaux, abîmés, songeurs, inquiets, effrayés, drôles, rieurs, concentrés. Avec Singspiele, Maguy Marin offre une nouvelle fois, avec sobriété, une belle méditation, philosophique et politique, sur la condition humaine, et sur les frontières mouvantes entre soi et les autres.

Singspiele de Maguy Marin, David Mambouche et Benjamin Lebreton

Singspiele de Maguy Marin, David Mambouch et Benjamin Lebreton

Torse et jambes nus, avec pour tout vêtement un caleçon blanc et un filet sur les cheveux, David Mambouch dissimule son visage sous un calepin qu’il effeuille régulièrement, comme un calendrier : des photos de visages en noir et blanc. Pour habiter ces visages, il parcourt lentement une scène à l’élégant et froid dépouillement – très belle scénographie de Benjamin Lebreton. Il lui faut une grande heure pour aller de cour à jardin, habillant et déshabillant son corps des vêtements/costumes/déguisements suspendus aux portemanteaux, jouant des accessoires cachés dans les recoins et dans les poches.

Singspiele a des airs de la pièce Umwelt. Là aussi, s’il y a danse, elle n’est à trouver que dans l’extrême concentration du corps dans son geste. S’il y a chorégraphie, elle est dans la création par l’interprète de son propre espace et de son propre temps. Comme dans Umwelt, le rythme lent et l’hypnotique répétition de gestes minimalistes (tout est toujours un peu différent, toujours un peu le même) ouvrent un temps de méditation au spectateur, à la spectatrice. De quoi est faite notre identité ? Quelle place y occupent les rôles, les attributs sociaux ? Que projetons-nous sur les visages des autres, comment incorporons-nous les attitudes qui font notre personnalité ?

Singspiele, de Maguy Marin, David Mambouch et Benjamin Lebreton

Singspiele, de Maguy Marin, David Mambouch et Benjamin Lebreton

Singspiele entrelace les références, sous forme de traces – peut-être parfois trop peu approfondies. On y retrouve tout un imaginaire cinématographique, mythologique, théâtral. Surtout quand surgissent les visages d’une actrice dramatique, d’une statue grecque, d’une poupée ou un masque cramoisi de démon. « Personne », et « personnage », viennent bien du même mot persona, qui désigne en latin le masque porté par les acteurs.

Ainsi, Singspiele est peut-être également une pièce sur la forme spectaculaire, et sur le métier d’interprète. Le Singspiel est une petite pièce mixte, mêlant danse, chant et théâtre. On voit assez peu le lien avec le spectacle de Maguy Marin, si ce n’est dans sa volonté de passer outre, mais avec modestie, les frontières entre arts spectaculaires. Mais aussi les frontières entre pays et époques : la pièce s’ouvre sur un Lied de Franz Schubert, pour se poursuivre dans une esthétique qui évoque tout autant des danses asiatiques comme le butoh ou le que la danse contemporaine, voire la non-danse ou la performance. A deux reprises, David Mambouch découvre son visage pour boire un verre d’eau, puis regarde franchement le public avant d’en-visager ses nouvelles identités, marquant la frontière entre le spectacle et la vie. La bande-son est de lui également : bruits de circulation, vrombissement d’avion, chantonnements timides… On se trouve jeté.e dans le brouhaha d’une foule anonyme, d’où émergent de manière éphémère tous ces visages. Comme le dit joliment une spectatrice à la sortie, sur le parvis glacial du Centre Pompidou : « On a rencontré beaucoup de monde ce soir !« 

Singspiele de Maguy Marin, David Mambouch et Benjamin Lebreton

Singspiele de Maguy Marin, David Mambouch et Benjamin Lebreton

Mais je pense aussi aux réflexions philosophiques sur le visage, au premier rang desquelles l’éthique d’Emmanuel Levinas, fondée sur le commandement gravé à même le visage d’autrui : « Il y a dans le visage une pauvreté essentielle; la preuve est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps, le visage est ce qui nous interdit de tuer.« (Emmanuel Levinas, Ethique et Infini)

Singspiele cafouille parfois un peu, mêle peut-être trop de références, quitte à tomber dans les clichés (comme le faisait BiT, pièce créée en 2014 par Maguy Marin), ou à trop peu explorer certaines images problématiques – pourquoi barrer de rouge à lèvres les yeux et la bouche du premier visage de femme ? Mais Singspiele est autant la découverte d’une pièce que celle d’un interprète, David Mambouch, dont le jeu, très sensible, émeut toujours.

 

Singspiele de Maguy Marin, David Mambouch et Benjamin Lebreton au Centre Pompidou, avec David Mambouch. Mercredi 20 janvier 2016. À voir jusqu’au 23 janvier

 

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