Rencontre avec Cécile Kaltenbach, danseuse au Staatsballett de Berlin
Cécile Kaltenbach danse dans le corps de ballet du Staatsballett de Berlin depuis 2012. Née en Floride, Cécile retourne en France à l’âge de 4 ans et quitte Reims pour le CNSMD de Paris qu’elle intègre à l’âge de 13 ans. La jeune danseuse passe ensuite par le Canada et la Suède avant de poser ses chaussons à Berlin. Très technique, la Berlinoise d’adoption (qui confesse préférer les grand jetés aux ronds de jambes) n’a pas de liens avec l’Allemagne si ce n’est son nom de famille, d’origine bavaro-alsacienne. Entretien avec une jeune fille au regard perçant et à la verve spontanée.
Quel a été votre parcours de danseuse ?
J’ai suivi le cursus du CNSMDP (Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris) pendant cinq ans. L’enseignement de Claude de Vulpian, en dernière année, m’a beaucoup marquée. À ses côtés, j’ai appris à catalyser ma technique au service de ma sensibilité. Après le Junior Ballet de Paris, je suis partie deux ans aux Grands Ballets Canadiens de Montréal, puis trois ans au Royal Swedish Ballet, et je suis arrivée au Staatsballett de Berlin en 2012. Au Canada, le répertoire de la compagnie comprenait à la fois du classique et du moderne mais avec toutefois un penchant plus évident pour le moderne. Quatre à cinq productions étaient programmées par an, ce qui m’a donné l’occasion de me rendre compte de ce que j’aimais le plus : le classique. Et je voulais en faire encore plus, tant que j’étais jeune ! Du coup j’ai bougé et essayé d’aller aux États-Unis mais c’était la période de la crise et tout le monde se faisait licencier des compagnies. Finalement, j’ai atterri à Stockholm.
Et de Stockholm, pourquoi êtes-vous partie à Berlin ? Qu’est-ce qui vous attirait dans cette compagnie ?
Je suis arrivée en 2012 sous l’ère Vladimir Malakhov et, à l’époque, la technique russe régnait à Berlin. La compagnie comptait alors principalement des Russes et des danseur.se.s de l’Europe de l’Est. À Stockholm, il y avait beaucoup d’Européens dont des Français, des Suédois naturellement, et un peu d’Américains. J’ai des ami.e.s qui dansent à Paris, Nice, Toulouse, dans pas mal de compagnies françaises. Mais je préfère être à Berlin pour avoir une mixité des techniques. On peut se compléter les uns les autres, je peux prendre aux Américains ou aux Russes ce qui manque à la technique française, pour aboutir à quelque chose de plus complet. Regarder de l’extérieur, ça ouvre l’esprit.
Quel est votre regard de Française sur la danse en Allemagne et sur les pays (Canada, Suède) où vous avez travaillé ? Et votre regard d’expatriée sur la danse en France ?
Avec le temps et mon expérience à l’étranger, je me suis rendue compte que l’Opéra de Paris ce n’est pas tout, que les danseur.se.s de là-bas ont beaucoup mais qu’il leur manque aussi un autre champ de vision. Mais si on change trop de choses au sein de cette institution qu’est l’Opéra de Paris, alors il se peut qu’il n’ait plus la même renommée. C’est délicat. Par exemple pour moi, c’est inenvisageable que le Concours de promotion n’existe plus. Il faut assouplir sans abolir. C’est ce que Nacho Duato a fait en donnant sa chance à des membres du corps de ballet, comme moi par exemple. Cette saison, j’ai ainsi pu travailler pour la première fois Petite Mort de Jiří Kylián, une pièce qui apporte énormément au mouvement, à sa liberté d’interprétation, et qui a tellement à raconter. J’ai retrouvé cette intensité créatrice que j’avais vécue au Canada en dansant la Fée argent dans La Belle au bois dormant de Mats Ek.
Le Staatsballett de Berlin est très multikulti. De votre regard d’expatriée, quels seraient les points forts de l’École française ? Et, malgré la gentrification, la différence demeure-t-elle, en comparaison avec les Écoles russe ou américaines ?
Je vois énormément la différence ! Les Américains donnent dans l’exagération, la rapidité, la petite batterie. Je connais l’école russe, otamment à travers mon compagnon russe, qui est également danseur au Staatsballett. Les points forts : épaulements, travail du haut du corps et des bras, expression des sentiments, sensibilité d’interprétation. Mais quand on regarde de plus près le bas du corps, c’est beaucoup plus crade (rires). L’École française, c’est la propreté d’exécution des pas : belle présentation de pieds, de bas de jambes, travail minutieux de l’en dehors. Un superbe travail technique en somme, mais en haut, c’est plus mort. Quand je regarde les danseur.se.s de l’Opéra de Paris, ce sont avant tout des pieds et des jambes. Rassurez-vous, je me sens toujours française et Nacho Duato me fait même très souvent danser aux bras de Kévin Pouzou (ndlr : soliste français au sein du Staatsballett de Berlin, formé également au CNSMDP) !
Quelle est votre journée type au sein du corps de ballet de Berlin ?
J’arrive entre 9h et 9h15. Le cours débute à 10h et dure jusque 11h15. Les répétitions s’étalent de 11h30 à 14h. Je peux répéter jusque deux à trois pièces différentes. Par exemple en ce moment, je danse une heure de White Darkness, j’enchaîne avec trente minutes de Multiplicity et je finis par une heure d’ensemble dans la Valse du Lac des cygnes. Après une pause d’une heure pour déjeuner, on reprend à 15h. Soit on a un gros bloc de répétitions jusque 18h, soit le bloc est divisé en deux ou trois différentes répétitions. En général, je reste ensuite un peu pour me rouler, m’étirer, faire des abdos et me faire masser si j’en ai encore le temps. Si on a une représentation en soirée, on termine notre journée à 13h30 pour avoir cinq heures de pause entre la dernière répétition et le spectacle. Nous avons une semaine de vacances fin janvier et six semaines l’été. Ça arrive que l’on fasse des galas mais la tournée à Hong Kong a été annulée, ce qui nous donne quatre jours de vacances en plus : on ne les refuse pas car à partir de février, ça va être plutôt serré jusqu’à la fin de la saison…
Vous êtes depuis 2012 au Staatsballett, à l’époque dirigé par Vladimir Malakhov. La troupe est aujourd’hui sous la main de Nacho Duato. Le changement est-il grand ? Qu’attendez-vous des nouveaux choix chorégraphiques du directeur ?
Ça a été en effet un grand changement. La compagnie en avait besoin et ça a donné un bol d’air frais positif. Nacho Duato a apporté des danseur.se.s et des créations plus modernes qui ont enrichi notre vocabulaire. En début de saison, nous avons exploré cette nouvelle approche du corps qu’est la danse gaga par exemple, même si je m’y étais déjà un peu frotté à Montréal. Mais on est aussi constamment plongé dans l’une des pièces de Nacho Duato, qui nous habitue à regarder différemment. Le souci, c’est que nous avons un public plutôt conservateur, surtout à la Deutsche Oper, qui veut voir toujours plus de grands classiques comme Le Lac des Cygnes, Giselle ou La Bayadère. Nacho Duato préfère des classiques revisités, modernisés comme sa Belle au bois dormant par exemple. Le ballet est certes raccourci mais, selon moi, le mélange chorégraphique de pas classiques et de mouvements modernes complique l’esthétique. Cela va à l’inverse de ce qui est possible physiquement.
Si vous étiez l’intendante du Staatsballett, quels seraient vos choix de programmation ?
Personnellement, j’aimerais qu’il y ait plus de classique ou de néo classique, des pièces sur pointes. Par exemple en début de saison, je n’ai fait que du moderne pendant trois mois : je sentais qu’il me manquait du néo. Mes pieds demandaient du William Forsythe ! Les manques à notre répertoire ? Roland Petit, je ne me l’explique pas. De Maurice Béjart, nous n’avons qu’une pièce, Ring um den Ring ! Certainement pour faire plaisir aux fans d’opéra allemands. C’est une pièce un peu longue, à mon goût… On peut même sortir faire ses courses ou aller manger un bout entre deux entrées de scène tellement ce ballet s’étale sur la longueur !
Le 10 janvier dernier ont eu lieu des auditions, Nacho Duato aurait invité 400 participant.e.s…
Je ne sais pas grand chose concernant les résultats. Mais je pense que le Staatsballett manque de danseuses, de solistes (ndlr : Elisa Carrillo Cabrera est enceinte, Beatrice Knop fera ses adieux le 24 février en Reine du Lac des cygnes et Nadja Saidakova revient tout juste de son congé maternité) mais aussi de danseuses pour le corps de ballet (ndlr : Beaucoup sont blessées en ce moment).
La saison dernière, le Staatsballett s’est mis en grève pour ses conditions de travail. Comment l’avez-vous vécue ?
Les danseur.se.s du Staatsballett de Berlin dépendent de contrats très vieux, datant de l’époque où Berlin comptait encore trois compagnies de ballet. Il y avait alors, en somme, trois fois moins de spectacles, trois fois moins de travail. Mais aujourd’hui, les temps de repos, les jours libres, ne pouvaient plus être respectés, surtout vis-à-vis des solistes. On y a tous pris part à la grève et ce, même si on n’avait pas spécialement envie de la faire. C’était intéressant d’aller à la rencontre de notre public et notamment de discuter avec celui de la Deutsche Oper, qui a été horrible envers nous. Certains spectateur.rice.s se demandaient pourquoi on se plaignait : « Vous savez que vous êtes des artistes, que vous n’allez pas devenir riches, donc allez sur scène et faites votre boulot ! ». C’est encore plus ou moins en pourparlers… Nos sept ou huit représentations, annulées pour cause de grève, auront mobilisé un peu l’opinion publique, mais moins qu’escompté.
Concernant votre actualité, avez-vous commencé les répétitions de Joyaux de George Balanchine, dont la première aura lieu le 21 mai à la Deutsche Oper ?
On a commencé Émeraudes. Mais les intervenants pour Rubis et Diamants ne sont pas encore venus. L’ex Étoile de Berlin, Shoko Nakamura, devrait être invitée. Personnellement, je verrais bien des solistes plus occidentaux.les, de Londres, de Paris ou même des États-Unis. La distribution est plus ou moins décidée mais toutefois non officielle, pour le moment (rires). En ce qui concerne les costumes, je sais que ma collègue Elinor Jagodnik a déjà fait des essayages, donc les trois tutus sont dessinés (NDLR. En mai dernier lors de la conférence de presse annuelle, Nacho Duato avait évoqué l’éventualité que les costumes puissent être dessinés par Dolce & Gabbana.)
Question usuelle pour les danseuses : avez-vous une marque de pointes préférée ?
Freed. J’ai eu des Freed Studio un temps au CNSMDP parce que je ne pouvais pas en acheter beaucoup et elles duraient plus longtemps. Je fais parfois des petites retouches mais je suis fidèle à Freed depuis huit ans. Il y a quatre ans, j’ai eu une fracture de fatigue et un ganglion entre le tendon d’Achille et le calcanéum. J’ai été opérée et j’ai dû faire une pause de plus d’un an. Je faisais des barres toute seule avec mon pied flex. Je pouvais tout faire sauf tendre mon pied et monter sur pointes : plutôt frustrant (rire… jaune). Et petit à petit, je suis remontée sur pointes mais sur des Gaynor Minden et non des Freed. Passés trois mois, je les ai vite abandonnées car je ne pouvais absolument pas faire un travail « à la française » sur ces chaussons. Il n’y pas le déroulé, la sensation que j’éprouve dans des Freed. Soit je n’étais pas sur ma pointe, soit je la cassais. Mon pied n’était pas tenu. À Stockholm, les danseuses avaient en majorité des Gaynor. Ici, c’est Freed ou Bloch qui l’emportent.
Que faites-vous lorsque vous ne dansez pas ?
J’aime beaucoup faire de la pâtisserie, plutôt franco-américaine. J’aime aussi lire, par-dessus tout La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas, et aller voir des expositions dans les nombreux musées berlinois.
Berlin est-elle la parfaite ville d’adoption ?
J’ai envie de me poser un peu à Berlin. J’adore y vivre et y passer du temps. J’ai toujours des choses à y découvrir, un musée, un ciné. Et puis mon compagnon est à Berlin depuis une dizaine d’années et compte bien y rester. Détail de taille : l’ambiance, au sein de la compagnie, est vraiment agréable. Sous Vladimir Malakhov, les danseur.se.s du Staatsballett, alors installé.e.s à la Staatsoper, étaient à l’étroit, donc tout le temps ensemble. Ici, à la Deutsche Oper, on a beaucoup plus d’espace et de libertés.
Quels sont vos projets futurs ? Y a-t-il des rôles que vous rêvez encore d’interpréter ?
J’ai dansé pour la première fois en janvier la Danse espagnole du Lac des cygnes. Programmée en seconde distribution du sombre Herrumbre de Nacho Duato, je vais peut-être remplacer une danseuse blessée distribuée pour la première du 14 février… Sinon, danser les six amies de Giselle. Et puis, je ne pense pas devenir Étoile mais j’aimerais interpréter un rôle de demi-soliste comme celui de Myrtha dans Giselle. Ou encore un beau solo dans Diamants ou Émeraudes. Et, plus hispanisant, je rêverais d’interpréter Paquita ou Don Quichotte.
Cécile Kaltenbach est programmée dans : Vielfältigkeit. Formen von Stille und Leere de Nacho Duato à la Komische Oper, les 22 janvier et 25 février. Le Lac des cygnes de Patrice Bart à la Deutsche Oper, les 1er, 17, 20 et 24 février. Herrumbre (sous réserve) de Nacho Duato au Schiller Theater, les 14, 16, 18, 21, 26 et 28 février.