EcoleS de Danse – Le travail de la main
Des mudras de l’art classique indien aux maneos du flamenco, les mains reflètent bon nombre d’émotions. Image de crispations et d’efforts chez les débutant.e.s, le ballet en codifie sa tenue. Notre dossier ÉcoleS de Danse étudie donc ce mois-ci l’expression de la main. Elle fluctue entre une position naturelle et une esthétique selon les divers enseignements de la danse classique.
L’école française, la méthode Cechetti ou Vaganova, le style Balanchine… Les écoles et techniques de danse classique sont nombreuses. Notre dossier ÉcoleS de Danse se penche chaque mois sur un pas ou un aspect de la technique pour les analyser à travers ces différentes écoles. Cette étude a été réalisée à partir de recherches et d’un savoir pédagogique laissant la place à une interprétation personnelle.
La main comme expression des bras
L’école française
L’esthétique de la Belle Danse érige un langage des coudes et des mains. L’attention se porte sur un travail des membres supérieurs où les épaules et le tronc s’immobilisent en faveur du costume. L’héritage apporte à la base classique une mobilité des poignets. Ils moulinent gracieusement selon l’ondulation du bras. Une coordination et une correspondance des mouvements se créent. Chaque articulation des membres inférieurs bouge en symétrie avec les membres supérieurs où poignets et chevilles nécessitent un travail de l’élève et une étude approfondie de son maître.
Charles Blasis disait : « Soutenez les poignets et ne les pliez pas trop ». La main termine la position des bras souhaitée. Le poignet reçoit le mouvement du coude, les paumes non visibles du public. Cette dissimulation implique une mobilité du poignet dans une perpétuelle recherche de rondeur des bras. Les doigts groupés sans crispation finalisent l’arrondi. Proche de la position naturelle, la main dissimule l’effort ressenti.
Le style Bournonville
Dans de nombreux ballets de l’époque, la pantomime introduisait le passage dansé. La Kermesse de Bruges, La Fête des fleurs à Genzano sont autant de créations où Auguste Bournonville valorise l’enchevêtrement du bas de jambe et le langage des mains. Elles deviennent l’expression d’une action, d’une émotion. Durant la danse, la main de Bournonville reste imperméable à l’effort et à la tension. Véritable héritage de l’école française, elle n’est que continuité logique de l’avant-bras avec un coude initiant le mouvement. Le dessus de la main indique la direction du bras avec les doigts regroupés et repliés selon la tenue naturelle de la main.
Le style Balanchine
Cette main où le pouce et l’index forment un arrondi se retrouve des années plus tard dans l’esthétique des danseurs.ses américain.es. Georges Balanchine refonde l’esthétique de la main sur la base des maîtres français et danois. Il souhaite rendre visible chaque partie de la main, le dessus, la paume et l’ensemble des doigts. Il élabore un port afin que la main acquiert une position de base rigoureuse et précise au même titre que la position de cinquième pour les pieds. À partir de la position naturelle, le pouce et le majeur forment alors un cercle. Les autres doigts courbés se détachent par-dessus ce cercle où l’auriculaire reste le plus redressé. L’articulation du poignet permet de rendre visible au public chaque partie de la main. Il implique une résistance tels les poils d’un pinceau sur une toile.
Le port de la main était tellement important pour la tenue des bras que George Balanchine recommandait à ses danseur.se.s de prendre le cours avec une balle en caoutchouc afin de ressentir et d’automatiser le maintien de la main. Il souhaitait que les mains des artistes à formation classique soient aussi articulées et expressives que celles utilisées dans les autres danses. Cependant, ce port de la main ne peut s’exercer comme une simple règle mais plutôt comme une ligne globale variant selon l’émotion, l’énergie ou la musicalité souhaitées.
La main comme expression de l’ensemble du corps
La méthode Vaganova
La main s’intègre dans les mouvements et positions recherchés sans jamais détériorer les lignes et l’harmonisation de l’ensemble. Les doigts sont « librement groupés » avec la particularité d’effacer le pouce des yeux du public en le joignant au majeur. Le poignet s’immobilise pour suivre la ligne générale du bras où les autres doigts acquierent leur expression progressivement. Ils s’ouvrent et s’écartent graduellement sans aucune tension.
Agrippina Vaganova conserve l’idée d’une main naturelle qui devient solidaire des bras pour attiser les lignes corporelles. Le port de la main finalise l’expression des épaules et des coudes sans jamais prendre le dessus.
La méthode Cecchetti
Au même titre que la peinture et la sculpture, l’étude de la main d’Enrico Cecchetti amène à des règles qui permettent d’harmoniser l’ensemble de la gestuelle. Il définit ainsi quatre positions. Premièrement et pendant le cours, index et auriculaire se tendent en compensation des deux autres doigts légèrement fléchis et ramassés. Le pouce s’allonge et s’intègre dans la paume à hauteur du majeur. Le poignet garde sa souplesse avec des doigts en direction de la ligne dite infinie des bras.
Les positions suivantes se définissent selon certains pas ou mouvements spécifiques. Pour un allegro et un adage, l’ensemble des doigts s’allongent, le pouce restant dans la paume. De cette base, la main de l’arabesque se redresse vers le haut déliant le poignet avec les paumes toujours parallèles au le sol.
Enfin, la main de l’attitude est à l’image du dieu Hermès ou Mercure souvent représentés dans cette position. Le poignet se tourne sur l’intérieur pour allonger l’avant-bras par la présentation du dessus de la main. L’index tendu finalise la ligne, les autres doigts se replient graduellement jusqu’à l’effacement de l’auriculaire dans la paume.
La main d’Enrico Cecchetti n’est pas à confondre avec une crispation ou une rigidité. Elle traduit au contraire une recherche de pureté des lignes corporelles.
Malgré la volonté d’identifier et d’établir des formes, le port de la main est souvent à l’image du maintien du dos. Si à l’époque les danseurs.ses de l’école italienne étaient critiqués pour leurs mains « tendues », cela leur permettait néanmoins d’asseoir leur virtuosité. Corporellement, toute accélération du pas engendre un gainage du bras où la main se retrouve par conséquent tendue. De nos jours, la danse classique a gagné en rapidité et en technique. Le soutien du tronc est devenu le point central du travail où la main témoigne du travail dorsal. Enfin, comme le dit un proverbe allemand : « Quand tu veux danser, vois à qui tu donnes la main« .