L’incomparable Nederlands Dans Theater 2 à l’Opéra de Massy
Avant son retour très attendu en juin au Théâtre de Chaillot, le Nederlands Dans Theater a envoyé en éclaireur sa troupe de jeunes danseur.se.s pour une soirée unique à tout point de vue. Baptisée le NDT2, cette compagnie regroupe 18 artistes âgés de 17 à 23 ans qui ont tous en commun d’avoir eu une solide formation classique et d’être rompus à la danse contemporaine. Sur la scène de l’opéra de Massy, ils se sont livrés à un festival de virtuosité pour interpréter des pièces de grande qualité signées Sol Leon et Paul Lightfoot, les deux chorégraphes en chef de la NDT, du roumain Edward Clug et du chorégraphe contemporain le plus en vue du moment, le suédois Alexander Ekman.
Le Nederlands Dans Theater est l’une des toutes premières compagnies de danse contemporaine, peut-être la meilleure au monde. Et elle le doit avant tout au tchèque Jiří Kylián qui a l’a dirigée durant plus de 30 ans. Ce visionnaire a laissé sur la compagnie une empreinte indélébile portée aujourd’hui par le couple composé du britannique Paul Lightfoot et de l’espagnole Sol Leon. Ils ont su poursuivre et prolonger l’oeuvre du maître avec respect mais sans déférence. Et cela se voit dans chaque geste de leurs chorégraphies. C’est un pas de deux intitulé Schubert sur le quintette à cordes en ut majeur du compositeur que débutait ce programme. Duo majuscule, très sombre où se joue une histoire d’amour et de passion entre les deux interprètes. Arabesques au cordeau, extensions extrêmes, portés infiniment sensuels et corps enroulés qui s’offrent l’un à l’autre. C’est d’une beauté évidente et on regrette que le programme ne stipule pas le nom des deux artistes absolument magnifiques dans cette pièce très technique et qui requiert tout autant de grandes qualités artistiques.
Sans pause et sans rupture de ton arrivent sur le plateau sept danseur.se.s sur un sol blanc et des pièces de décor noires. Ces dernières bougent à travers la scène et dessinent différents espaces où évoluent les danseur.se.s dans une série de duos et de solos. Sur la musique répétitive de Max Richter, Some Other Time est un condensé de l’art chorégraphique de Sol Leon et Paul Lightfoot : un vocabulaire résolument expressif où les artistes ne cachent jamais leurs émotions. Il y a là une généalogie évidente avec le travail de Jiří Kylián.
Handman d’Edward Clug que je ne connaissais pas fut une excellente surprise. Le chorégraphe roumain qui dirige aujourd’hui le Théâtre national slovène est un nouveau venu dans la galaxie du NDT. Sur une double partition pour piano et percussion de Miklo Lazar puis de Justin Hurwitz et Tim Simonec, cette pièce pour quatre danseuses et quatre danseurs explore le thème de la rencontre entre hommes et femmes. Corps désarticulés utilisant là encore un vocabulaire chorégraphique qui évoque sans l’imiter ou le parodier celui – encore une fois – de Jiří Kylián.
Cette unité de registre n’est pas pour rien dans le plaisir du spectacle qui nous installe dans un univers chaleureux, où la recherche de la beauté du geste et de la phrase chorégraphique sont des repères constants. Alexander Ekman, qui refermait ce programme avec Cacti, ne dépare pas de ce cadre même si son langage et son style sont très particuliers. Chorégraphe vedette, aujourd’hui demandé aux quatre coins du monde, le suédois tient avec Cacti sa pièce fétiche, tout comme en son temps William Forsythe avait sidéré le monde du ballet avec In the Middle Somewhat elevated. Créée il y a 7 ans, Cacti est aujourd’hui au répertoire de quinze compagnies, et l’on comprend pourquoi ce ballet séduit. C’est une œuvre puissante dés l’ouverture où seize danseur.se.s évoluent chacun.e sur une planche d’un mètre carré. L’ensemble est d’autant plus remarquable que chacun.e y déploie une chorégraphie singulière. Aucun.e ne répète le même geste et chaque danseur.se dispose de son propre matériau. Ils se font aussi percussionnistes en tapant sur leurs planches en harmonie avec la musique composée d’extraits de Haydn, Beethoven et Schubert.
Cacti se voulait à l’origine un manifeste contre une forme de critique outrée, une réaction quasi épidermique d’Alexander Ekman à celles et ceux qui trop vite jugent et condamnent une création artistique sans jamais mesurer le travail et l’engagement des artistes. Le résultat est saisissant et il est difficile d’y résister. Jamais cela dit le propos n’est politique ou engoncé dans un esprit de sérieux. Il y a beaucoup de Mats Ek, l’un de ses maîtres, dans l’art d’Alexander Ekman, notamment dans ce souci constant de tout raconter avec humour.
C’est tout particulièrement le cas dans le pas de deux central où le danseur et la danseuse dialoguent en construisant leur duo comme en répétition avec un drôlerie étonnante. Il y a dans ce ballet qui mérite plus d’une vision, une sorte d’évidence. Rien n’y est gratuit, tout semble y couler avec bonheur. Comment ainsi ne pas se réjouir de voir bientôt au théâtre des Champs-Elysées le Swan Lake revisité d’Alexander Ekman et au Palais Garnier en décembre Play sa première création pour l’opéra de Paris ? Alexander Ekman est un chorégraphe majeur d’aujourd’hui. Tout comme Crystal Pite d’ailleurs, autre compagne de route du Nederlands Dans Theater. Ce n’est pas un hasard si cette compagnie a su fédérer tous les grands talents d’aujourd’hui. Le NDT est sans conteste le phare chorégraphique contemporain de notre époque.
Soirée NDT2 à l’Opéra de Massy. Schubert, Some other time de Sol Leon et Paul Lightfoot, Handman d’Edward Clug et Cacti d’Alexander Ekman. Vendredi 10 mars 2017.