En répétition – Un avant-goût de La Nuit s’achève de Benjamin Millepied
Le programme Bel/Millepied/Robbins du Ballet de l’Opéra de Paris démarre le 5 février au Palais Garnier. Une séance de travail publique a eu lieu quelques jours avant la première. Initialement prévue sur Les Variations Goldberg de Jerome Robbins, elle portait finalement sur La Nuit s’achève de Benjamin Millepied, création ajoutée au programme après coup. Le Directeur de la Danse aime décidément imposer ses oeuvres. Il faut dire aussi qu’il est très à l’aise dans ce genre d’exercice, ayant le souci de la pédagogie auprès du public. En une heure, le chorégraphe a su expliquer son oeuvre, diriger six danseurs et danseuses – Amandine Albisson, Hervé Moreau, Sae Eun Park, Ida Viikinkoski, Marc Moreau et Jérémy-Loup Quer – et se plier au jeu des questions-réponses. Elena Bonnay était la cheffe de chant de cette répétition.
Avant de faire entrer les artistes sur la scène, Benjamin Millepied explique son ballet. « Un soir, un couple se retrouve…« , le tout sur la musique de l’Appassionata de Beethoven. Et à chaque personne du public « de se faire sa propre histoire« . Le premier mouvement voit se croiser trois couples. La danse est sur pointes, « classique, académique, romantique« . Le deuxième mouvement est sur demi-pointes, il s’agit d’un long duo entre Amandine Albisson et Hervé Moreau. Le troisième mouvement, « c’est la nuit, l’orage, jusqu’au lever du jour« . Les trois couples se retrouvent, cette fois-ci sur demi-pointes, pour une gestuelle différente, plus dynamique.
Trois couples la nuit, cela ne vous rappellerait pas du Jerome Robbins ? la filiation est très claire, que ce soit dans la chorégraphie présentée, le lien étroit avec la musique ou l’inspiration. « Il faut que tout semble improvisé« , lance Benjamin Millepied à ses interprètes, l’un des grands principes de Jerome Robbins. Le chorégraphe fait d’abord travailler le premier mouvement. À cause du sol un peu dur, les danseuses restent sur demi-pointes. Les trois couples se rencontrent, se croisent. Ils forment une ligne qui se défait et se refait. Benjamin Millepied explique ses choix chorégraphiques. Il construit beaucoup en pensant au public : comment ne pas l’ennuyer, le surprendre ? Il réfléchit à l’effet que sa chorégraphie aura sur le public avant tout. Il pense aussi énormément à la musique. « Chaque partition définit un univers« , explique-t-il, il regarde la partition de près.
La danse est très classique (il avouera d’ailleurs en répétition qu’il n’aime pas le terme « néo-classique« , il parle avant tout de « danse classique« .). Quelques croisements rappellent Clear, Loud, Bright, Forward. Les danseurs et danseuses semblent à l’aise dans cette technique, ils font attention les uns aux autres, même si en répétition, il n’y a pas forcément d’intenses émotions. Hervé Moreau, déjà, raconte toute une histoire. C’est un interprète qui manque, décidément. Sae Eun Park montre aussi sa superbe danse, que l’on a trop peu vue en ce début de saison. Benjamin Millepied la reprend sur sa direction des bras. « Qu’est-ce que tu veux que le public regarde ?« , lui indique-t-il. Une ligne, une position de tête ou de jambe, peuvent tout changer dans les intentions. Aux couples se succèdent une danse des filles en canon, puis une danse des garçons.
Place ensuite au troisième mouvement. La danse est effectivement différente. Elle est plus abrupte, plus ancrée au sol, plus énergique. La musique se fait passionnée, avec de grands élans romantiques. La chorégraphie essaye de la suivre, mais à ce stade en répétition, elle a un peu de mal à se faire une place. Elle semble comme écrasée par la puissance de la musique. Là encore, le travail des portés peut rappeler Jerome Robbins. Benjamin Millepied explique d’ailleurs qu’il voit ses pas de deux de façon équitable. Ce n’est pas la fille devant et le garçon qui la porte, le rapport dans le couple qui danse est plus équilibré. Et c’est parfois la danseuse qui guide son partenaire.
Benjamin Millepied demande ensuite à Hervé Moreau et Amandine Albisson d’interpréter leur pas de deux du deuxième mouvement. Le chorégraphe les laisse danser, sans leur donner de correction. Les interprètes sont investi.e.s, mais la danse du chorégraphe se cherche décidément un style. Le directeur insiste au passage sur l’importance des interprètes. « Les danseurs m’influencent« , explique-t-il. Et c’est vrai qu’il sait bien les mettre en valeur. Benjamin Millepied termine par une courte série de questions-réponses, questions plus souvent composées de compliments de la part du public.
Même si cette répétition n’attise pas forcément une folle curiosité envers La Nuit s’achève (on cherche les surprises), cette séance s’est avérée très intéressante. Benjamin Millepied a décidément ce sens de la pédagogie, n’hésitant pas à dévoiler les « trucs » de sa chorégraphie, toujours soucieux de se faire comprendre du public et des néophytes. Le voir faire répéter du Jerome Robbins doit être quelque chose de passionnant.