The Dog days are over – Jan Martens
Prénom et nom : Jan Martens. Annoncé comme : la relève de la danse conceptuelle en Belgique. Sa dernière oeuvre : The Dog days are over. Concept : faire sauter dix artistes sur scène pendant 1h10. Phrase de départ : « Demander à quelqu’un de sauter et tu verras son vrai visage » de Philippe Halsman. Annoncé comme cela, cela ne vous que inspire moyennement ? Pourtant, dernière une idée qui fait lever les yeux au ciel, se trouve une pièce assez fascinante, entre performance et transe non dénuée d’humour et de réussite.
L’obsession de Jan Martens dans The Dog days are over est donc le saut. Non pas le saut de danse, le saut technique, le grand jeté. Mais le sautillé sur place. Qui peut prendre d’infinies variations si l’on y fait attention (sur un pied, en se dandinant, en se balançant). Sur scène, huit artistes regardent d’un air de défi le public en chaussant leurs baskets. C’est ambiance caleçon doré, legging panthère et brassière rose fluo pour ne pas se prendre trop au sérieux. Ambiance 80′ assumée, jusque dans certains pas qui rappellent l’aérobic.
Les huit artistes enfilent donc leurs chaussures de sport et se mettent à sauter sur place, en mesure, porté.e.s par une musique intérieure absolument imperturbable (même sur une chanson, ils respectent leur propre tempo). Et c’est comme une transe qui se met en place. La musique, c’est le bruit de leurs baskets, ce couinement si distinctif, et le plancher qui grince en contretemps (qui doit donc être différent selon les salles). La ligne se déforme, se tourne, commence à prendre la scène. Le sautillé se transforme, joue sur le rythme, sur le talon, la pointe ou toute la plante des pieds. Le groupe se resserre, puis s’individualise, tout en restant sur la même rythmique interne.
Petit à petit, les corps se liquéfient. La performance est ici entièrement assumée, il s’agit bien d’un combat de corps avec le temps et le souffle, d’un défi physique. Les gouttes de sueur apparaissent, les marques rouges sur les cuisses quand on tape des mains dessus, le regard de défi qui se fait de plus en plus perçant (et le public qui se demande quand est-ce que ça va lâcher), l’odeur aussi (eh oui, huit corps en transpiration, ça se sent dans une petite salle), la différence de chacun.e face à l’effort aussi (aux saluts, certains ont les yeux livides, d’autres semblent revenir d’une promenade de santé, la nature est injuste).
Mais The Dog days are over n’est pas qu’une performance, qu’un défi sportif. Car derrière les sauts, c’est bien une danse qui apparaît, une façon de créer des formes, d’occuper un plateau, de s’écouter entre protagonistes. De créer et de travailler un mouvement pour obtenir une sorte de fascination. Tout comme il y a, de par la fatigue aussi, une tension qui prend place de plus en plus, presque un climax narratif.
Jan Martens a de plus la modestie de ne pas trop se prendre au sérieux, et c’est ce qui fait aussi The Dog days are over n’est pas indigeste. Le côté gentiment provoc’ est assumé, ambiance « Oui, je vais faire sauter sur place des gens pendant une heure, vous êtes coincés avec moi, gniark, gniark« . Et dans le regard des artistes, il y a presque les paris de savoir quand est-ce que le premier siège va claquer (réponse : au bout de quatre minutes). C’est aussi ce qui amène un certain humour. D’un coup, le mouvement s’arrête. les danseur.se.s soufflent, sans bouger. Quelqu’un dans le public lance un applaudissement… Mais non, c’est reparti de plus belle, vous n’en avez pas encore terminé avec nous (ambiance ricanement sadique). Jan Martens sait aussi bien travailler les corps, jouer avec le souffle de ses interprètes que de s’amuser avec le public.
The Dog days are over de Jan Martens au Théâtre des Abbesses. Avec Piet Defrancq, Steven Michel, Julien Josse, Nelle Hens, Laura Vanborm, Cherish Menzo, Kimmy Ligtvoet et Naomi Gibson. Mardi 26 janvier 2016.