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[Prix de Lausanne] Rencontre avec Cynthia Harvey, répétitrice des variations classiques.

Au Prix de Lausanne, les candidats et candidates sont évalué.e.s sur leur passage en scène, aussi sur leur progression tout au long de la semaine. En plus des cours proposés, ils ont ainsi des séances de coaching de leur variation.

En 2016, c’est Cynthia Harvey qui est chargée de faire répéter les variations classiques aux candidates. Étoile de l’American Ballet Theatre et du Royal Ballet de Londres, elle est devenue pédagogue à la fin de sa carrière de danseuse, enseignant un peu partout dans le monde et créant la fondation “En Avant”, spécialisée dans le coaching de danse classique. Elle est également la nouvelle directrice de la JKO School, l’école de l’ABT. Cynthia Harvey connaît bien le Prix de Lausanne, elle y a donné des cours de danse et en a été la présidente du jury en 2015. Elle explique son rôle de coach pour Danses avec la plume, et son travail plus général de professeure de danse.

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Cynthia Harvey, répétitrice des variations classiques au Prix de Lausanne 2016

L’année dernière, vous étiez président du jury.  En 2016, vous êtes répétitrice. Comment appréhendez-vous ce changement de rôle ?

Pour être honnête je pense que c’est plus agréable d’être coach. Je fais ce travail depuis un moment maintenant. Cela me permet de voir ces danseur.se.s d’un très haut niveau, même ceux et celles qui ne passent que les sélections. Je fais répéter les variations, mais je regarde également les classes. Je peux voir ainsi les choses sur lesquelles ils et elles pourraient travailler et enrichir leur variation classique, c’est une bonne opportunité même en regardant depuis les balcons.

 

Qu’est-ce qui est important dans le travail pour vous ?

La musicalité est très importante pour moi. C’est un point de référence, il ne faut pas effectuer les mouvements de façon monotone, il faut trouver une approche du corps qui reflète la musique. Cela m’a toujours dérangée de voir des danseur.se.s ne pas être musicaux, ne pas être dynamiques avec la musique. Je sais que certain.e.s, qui n’ont pas de formation vraiment professionnelle et dansent dans des écoles plus petites, n’y pensent pas en priorité. Mais c’est très important. Et le jury est composé d’incroyables danseurs et danseuses très musicaux.

 

Comment allez-vous vous arranger pour aider au mieux les candidates alors que vous ne disposez que de huit minutes avec chacune ?

Oui, c’est effectivement très court. Mais, cela dit, j’ai regardé Patrick Armand faire ce travail de coaching et j’ai été impressionnée. Parfois, il peut juste donner une petite information, une petite chose, ce pourrait même être simplement ce que dit déjà le.la professeur.e du..de la candidat.e. Mais lorsqu’une correction vient de quelqu’un d’autre, cela provoque un déclic. J’ai pu le constater avec ma fondation et nos master-classes, que souvent des remarques passent lorsqu’elles viennent d’une nouvelle personne. Ce n’est pas une critique du travail des professeur.se.s, c’est juste une voix nouvelle et cela peut aider beaucoup. Il y a des choses claires pour aider les éèlves lorsqu’ils sont stressés. Je pense d’ailleurs que le premier jour est crucial parce qu’ils sont tous tendus, nerveux. Ils essaient cette pente de la scène, à laquelle ils ne sont pas habitués. À part les filles de Vaganova, personne ne les utilise en général. Il faut donc les guider pour qu’ils comprennent comment trouver leur équilibre, pour les aider autant que possible.

 

De quelle façon pouvez-vous alors préparer votre coaching ?

Il y a plusieurs choses que l’on peut remarquer directement. Je peux dire dès le premier jour quel.le danseur.se n’utilise pas complètement ses bras, tient ses coudes peut-être trop en arrière, s’il.elle essaye de se tenir trop en dehors, d’être quelque chose qu’il.elle n’est pas, parfois en allant plus vers l’effet, parce qu’ils voulaient ressembler à quelqu’un qu’ils ont vu…

Je crois que, dans un aussi petit délai, il faut non seulement les encourager mais aussi leur dire qu’il serait bien d’essayer de faire une chose ou une autre un peu autrement. Du coup, comme les variations durent une minute et demie en moyenne, cela permet de la danser deux fois et d’avoir cinq minutes de corrections, ce n’est pas mal finalement. Et puis ils ont quelques jours pour mûrir tout ça, surtout ceux et celles qui vont en finale. Patrick Armand m’a dit que, lorsqu’il prend des élèves à l’école du San Francisco Ballet, il choisit ceux et celles qu’il a vus être ouverts aux suggestions. Il est bon de savoir qu’un élève est ouvert et avide d’apprendre. Avec ceux et celles qui pensent qu’ils savent déjà tout, pourquoi s’embêter au fond ? Ils viennent plus pour avoir un travail qu’une bourse, ce qui change tout.

Cynthia Harvey, répétitrice des variations classiques au Prix de Lausanne 2016

Cynthia Harvey, répétitrice des variations classiques au Prix de Lausanne 2016

Que retirez-vous de votre expérience de directrice du jury lors de l’édition 2015 du Prix de Lausanne ?

C’était fascinant. J’avais enseigné ici auparavant, donc je connaissais la situation. Ces jeunes viennent du Brésil, d’Australie, il y a même ce garçon cette année d’Afrique du Sud… Et ils viennent non seulement pour être vus, mais aussi pour vivre une expérience. Alors c’est compliqué de les juger. Ce qui m’a le plus surprise en tant que jury, c’est cet équilibre à trouver entre le fait que l’on va prendre des décisions qui changeront peut-être leur vie, mais que nous sommes neuf personnes dans le jury, et que nous n’avons pas l’occasion de discuter plus que ça. Les résultats, après tout, sont calculés par ordinateur. Tout cela m’avait vraiment surprise. Je pensais que nous serions dans une salle, que nous y discuterions de qui choisir et pourquoi. Or tout s’est décidé par les chiffres, et les discussions ont lieu après. « Mais que s’est-il passé ? Pourquoi ce candidat n’est-il pas allé en finale ?« . Les résultats peuvent nous surprendre, comme certain.e.s candidat.e.s que l’on avait remarqués en cours mais qui ne s’en étaient pas forcément sortis sur scène… C’est très intéressant.

Je me rappelle l’année passée d’une critique japonaise qui était venue vers moi une fois que la finale avait pris fin et m’avait demandé au sujet de Harrison Lee comment nous avions pu voir qu’il avait un quelque chose d’artistique. Il se trouve que c’est aussi une compétition qui se base sur le potentiel. Et pour moi, il était poétique dans sa façon d’envisager sa danse, et il a le potentiel. Il n’y avait rien de superficiel, rien de baroque, aucun mouvement gratuit. Il avait présenté un travail propre, une belle technique, c’est ainsi qu’il a gagné, même si nous avions pu penser que certaines personnes feraient mieux. Mais c’est ce qui arrive dans cette compétition. Tout ne se calcule vraiment que sur les chiffres, pas par des discussions.

 

Comment êtes-vous devenue pédagogue après la fin de votre carrière de danseuse ?

Au début, quand j’ai arrêté de danser, je voulais vraiment juste fonder une famille. Cela avait pris un peu de temps mais maintenant mon fils a dix-sept ans. Dans le même temps, j’ai commencé à enseigner dans des écoles de danse locales en Angleterre, notamment dans une petite école qui était très influencée par la méthode Cecchetti. Je coachais les élèves avant leurs examens, ce qui m’a fait découvrir cette technique, qui ne m’était pas aussi familière que les écoles anglaises ou Vaganova qui m’avaient été enseignées. Par la suite, la Royal Ballet School m’a demandé d’effectuer des remplacements de temps à autre, ce qui m’a plu.

Un jour, Natalia Makarova m’a demandé de monter sa Bayadère en Pologne, à Varsovie. Cela m’a pris cinq semaines. L’année suivante elle avait besoin de quelqu’un à la Scala, et après cela le directeur de l’époque m’a demandé de revenir l’année suivante. J’ai accepté, puis il s’est produit comme un effet boule de neige. Alors je transportais mon petit garçon partout avec moi, jusqu’à ce qu’il aille dans une école qui lui permettait de rester avec des camarades si je n’étais pas là. De mon côté j’ai enseigné de plus en plus, notamment à la San Francisco Ballet School de Patrick Armand. Et il y a de cela deux ans, j’ai monté avec une amie une fondation, The En Avant foundation, spécialisée dans le coaching en danse classique et offre des bourses. J’ai trouvé des personnes merveilleuses qui m’ont apporté du soutien. À l’automne 2015, nous avons organisé un week-end d’ateliers avec Nicolas Le Riche et Clairemarie Osta au LAAC.

 

L’enseignement a-t-il toujours été un but qui suivrait votre carrière en scène ?

Non, je n’en avais pas vraiment eu l’idée. Ce que je voulais faire, c’était avoir un enfant, et je pensais que je serais juste maman. Sauf que je me suis vite impatientée, mes pieds me démangeaient… J’avais eu l’idée également de me lancer dans la création de costumes, je pensais avoir du temps, mais rien ne s’est passé comme prévu ! Finalement, j’ai laissé ma vie m’emporter. Cela dit, quand je dansais encore, lorsque nous étions en tournée, il m’est arrivé alors que j’étais encore jeune de donner les classes lorsque cela me l’était demandé. Et l’on m’avait aussi entendu corriger mes collègues, enfin j’étais même assez autoritaire… Cela n’est pas un mal avec des élèves aujourd’hui, mais je ne sais pas si mes pairs l’ont toujours apprécié (rires).

 

On vous a récemment proposé de prendre la direction de la Jacqueline Kennedy Onassis School, l’école de l’ABT.  Quelle a été votre réaction ?

Cette proposition m’a surprise, ce n’était pas un travail que j’ambitionnais de faire, pour lequel je ne m’étais jamais présentée. J’y ai réfléchi six mois car c’est un grand changement à nouveau, notamment parce que je n’aurai plus cette liberté que j’ai aujourd’hui d’enseigner ici et là, ponctuellement, dans plusieurs écoles. C’était une décision assez difficile. Prendre la direction de cette école a été une décision consciente.

Cynthia Harvey, répétitrice des variations classiques au Prix de Lausanne 2016

Cynthia Harvey, répétitrice des variations classiques au Prix de Lausanne 2016

Comment envisagez-vous cette nouvelle responsabilité de directrice de l’école JKO ?

C’est énorme, une très grande responsabilité ! Je pense que, si l’on me l’avait demandé il y a un an, j’aurais refusé. J’aurais dit : « Oh non, aucune chance ! Je ne le ferai jamais !« . Sauf qu’ils sont venus vers moi au bon moment. Quand j’ai reçu l’appel de Kevin McKenzie, le directeur de l’ABT, on m’avait proposé plusieurs fois un poste de maîtresse de ballet ou de professeure, de la part de la Royal Ballet School notamment. Et à chaque fois j’avais dit : « Non non, c’est trop« . Mais là, il était question de retourner aux États-Unis et d’avoir un rôle dans cette compagnie que j’ai adorée, et cette école dans laquelle j’étais allée également, même si c’était pour un petit moment. Avoir la possibilité d’y retourner, quand je connais le potentiel de cette école, est un défi auquel je n’ai pu résister.

Mon fils est maintenant en âge d’aller à l’Université, je n’ai donc plus besoin de m’inquiéter pour lui. Et les adolescents n’apprécient pas d’être constamment avec leurs parents de toute façon. En fait, l’idée de retourner à New York est même plus intimidante que de m’occuper de l’école. Cela fait un moment que je vis à la campagne en Angleterre, où j’ai la liberté de choisir de me rendre ou non en ville. Ce sera donc très différent d’y être constamment, mais je devrais m’y faire, parce que je travaillerai tout le temps. Ce sera différent tous les jours, c’est vraiment un challenge. Il y a aussi des choses un peu différentes que je voudrais apporter. Après tout, c’est une compagnie classique, je suis dans mon élément, j’ai la chance qu’on ne me demande pas quelque chose qui soit hors de mes compétences, sinon j’aurais dû refuser.

 

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