Noé de Thierry Malandain – Malandain Ballet Biarritz
Heureux qui comme un.e spectateur.rice a fait un beau voyage ! Thierry Malandain, l’instigateur de ce voyage, de cette odyssée, devrais-je dire, a choisi le mythe de Noé et du Déluge pour sa nouvelle création présentée en ce moment au Théâtre de Chaillot. Pari audacieux et inédit pour une pièce chorégraphique même si l’on sait que le chorégraphe se veut en quête d’ »une danse qui ne laisserait pas seulement la trace du plaisir, mais qui renouerait avec l’essence du sacré comme une réponse à la difficulté d’être ». Et qu’il n’a, de plus, pas son pareil pour nous entraîner vers des rives inconnues.
Reconnu pour entretenir un rapport intime à la musique, Thierry Malandain a déniché une pépite connue des seuls mélomanes : la magistrale Messa di gloria de Rossini. Dès les premières mesures du Kyrie, on est saisi-e par la puissance de cette partition. Plongé-e-s dans un écrin bleuté, les 22 danseur-se-s du Malandain Ballet Biarritz entreprennent de donner corps à ce récit extrait de la Genèse. Après plusieurs pièces narratives, même si La Belle et la Bête s’en éloignait déjà par moments, Thierry Malandain choisit le registre de l’abstraction et de la symbolique pour mettre en scène cette « figure réjouissante de Noé » incarnant « une sorte de rupture dans l’histoire de l’humanité ». Si la feuille de salle révèle que certains danseurs interprètent Noé, ou Sem, Cham et Japhet, ses trois fils, l’essentiel est ailleurs, au-delà de la narration.
L’épure du dispositif scénique (le déluge se réduit à un rideau bleuté qui monte et qui descend lentement) permet de se concentrer sur la gestuelle malandienne où l’on reconnaît les grands développés à la seconde, les pointes acérées ou les pieds cassés, les portés audacieux. Beaucoup de fluidité comme à son habitude, mais aussi des accents tribaux. Et si dans sa note d’intention, Thierry Malandain dit ne pas avoir voulu « embarquer l’intégrale des animaux », on décèle parfois comme une part d’animalité dans ces cous tendus vers l’avant, cette démarche lente, irrégulière et parfois vacillante évoquant celle d’échassiers ou de palmipèdes.
Noé propose aussi les mouvements d’ensemble millimétrés et les duos à la sophistication extrême chers à Thierry Malandain. Certaines séquences sont d’une beauté visuelle étonnante. Comme ce moment où les dos des danseurs se transforment en pierres de gué sur lesquelles l’une des danseuses prend appui pour traverser les flots déchainés. Les pas de deux d’Adam (Daniel Vizcayo) et Eve (Patricia Velazquez), puis de la Colombe (Claire Lonchampt) et du Corbeau (Hugo Layer) rappellent enfin combien Thierry Malandain n’a pas son pareil pour donner chair aux couples dansants.
À la fin, chacun se débarrasse de ses vêtements comme un retour à la nudité primitive. En voyant ces femmes et ces hommes prêts à investir une nouvelle Terre, je pense à ces vers du poète britannique Alfred Tennyson. « Allons mes frères, Partons en quête d’un nouveau monde. J’ai pris pour but l’horizon de la mer du couchant. Et quoique, dépossédés de l’ardeur de nos forces d’antan Qui bousculaient le ciel et la Terre Nous sommes ce que nous sommes L’âme trempée et le cœur héroïque Bien affaiblis hélas par les ans mais forts de la volonté de combattre. Chercher. Trouver. Ne rien céder ». Chercher, trouver, ne rien céder, beau résumé de l’œuvre de Thierry Malandain.
Noé de Thierry Malandain par le Malandain Ballet Biarritz au Théâtre de Chaillot. Avec Mickaël Conte (Noé), Irma Hoffren (Emzara), Frederik Deberdt (Cain), Arnaud Mahouy (Abel), Michaël Garcia (Seth), Raphaël Canet (Sem), Baptiste Fisson (Cham), Hugo Layer (Japhet/Corbeau), Daniel Vizcayo (Adam), Patricia Velazquez (Eve), Claire Lonchampt (Colombe). Et Ione Miren Aguirre, Clémence Chevillotte, Romain Di Fazio, Clara Forgues, Mathilde Labé, Guillaume Lillo, Nuria López Cortés, Ismaël Turel Yagüe, Laurine Viel, Lucia You González. Mercredi 10 mai 2017. À voir jusqu’au 24 mai au Théâtre de Chaillot à Paris. Le 25 juillet au Festival Vaison Danses à Vaison-La-Romaine (84). Puis en tournée en France en 2017 et 2018.