The Most Incredible Thing, premier ballet narratif de Justin Peck pour le New York City Ballet
Rien ne semble pouvoir freiner l’incroyable énergie de Justin Peck. Désigné en juillet 2014 chorégraphe en résidence du New York City Ballet où il est toujours danseur soliste, il présente cet hiver sa dixième création pour la compagnie : The Most Incredible Thing, son tout premier ballet narratif avec 56 danseur.se.s (dont 11 enfants de la School of American Ballet, l’école de danse du NYCB). Justin Peck a construit son ballet sur le conte de Hans-Christian Andersen The Most Incredible Thing. Il s’est entouré du peintre et sculpteur canadien Marcel Dzama et a commandé une partition au compositeur américain Bryce Dessner. Une affiche de luxe rassemblant trois artistes new-yorkais en vue pour une œuvre qui s’inscrit davantage dans la tradition des ballets russes de Diaghilev que dans la frugalité chère au fondateur de compagnie, George Balanchine.
Raconter une histoire par la danse : c’est une forme de défi pour Justin Peck qui a montré à quel point il était à l’aise dans l’univers abstrait de la danse post-balanchinienne. Ce tout nouveau pari est-il réussi ? Sans doute pas tout à fait et le fil de la narration échapperait à bien des spectateur.rice.s sans l’aide précieuse du synopsis du programme. Mais qu’importe ! Le spectacle est de bout en bout un plaisir de tous les sens.
L’histoire à vrai dire se résume à peu de chose. Un roi promet la main de sa fille et la moitié de son royaume à celui qui proposera la chose la plus incroyable. Le gagnant de ce concours est le créateur d’une horloge où chaque heure est rythmée par des personnages animés qui mêlent des figures bibliques comme Adam et Eve, les quatre saisons ou les sept péchés capitaux. C’est cette partie-là précisément qui constitue le cœur du ballet, chaque heure sonnée produisant une nouvelle scène chorégrahique. Celui qui est dénommé dans le conte d’Andersen le Créateur semble avoir gagné le concours quant le Destructeur apparaît et annihile instantanément tous les personnages qui viennent de scander les heures. Le Roi se voit alors contrait d’offrir sa fille en mariage au Destructeur, quand subitement les personnages se réveillent et lui font échec pour une happy-end joyeuse et le mariage attendu entre la Princesse et la Créateur.
Il y a dans ce conte d’Andersen une profondeur de champ qui n’apparaît pas dans le ballet car le parti-pris est avant tout décoratif et ludique. La grande toile qui sert de décor et figure l’horloge du créateur est en soi une œuvre à contempler. Les costumes, dessinés eux-aussi par Marcel Dzama, sont d’une inventivité et d’une beauté saisissantes. Le risque serait presque que cette scénographie luxuriante écrase la chorégraphie. Mais il n’en est rien. Justin Peck utilise cette fois encore un vocabulaire et un style qui sont désormais sa signature : des pas de deux limpides sans effet mais truffés de portés inventifs, souvent acrobatiques mais qui ne versent jamais dans l’excès. Un talent hors pair pour créer des ensembles sophistiqués mais fluides et d’une manière générale une danse à très grande vitesse.
Pas moins de dix Étoiles du New York City Ballet sont sur scène pour cette création. Aucune compagnie au monde ne peut aligner autant de danseuses et de danseurs d’un tel niveau pour une seule production. Dans cette deuxième distribution, Sara Mearns et Tyler Angle interprétaient la Princesse et le Créateur. Leur tout premier pas de deux montre une danse impeccable, tout en raffinement. Tiler Peck dans le rôle du coucou (l’oiseau) figurant l’horloge est comme à son habitude explosive. C’est une danse à la fois généreuse, pleine d’humour et techniquement sans reproche. Andrew Veyette est un danseur de grande classe mais il n’est pas certain qu’il soit tout à fait crédible dans le rôle du méchant Destructeur.
Il faut encore citer Rebecca Krohn et Adrian Danchig-Waring qui délivrent dans le rôle d’Adam et Eve un duo d’une sensualité troublante et d’une infinie élégance. Daniel Ulbricht, le favori du public, incarne le Joueur de la 6ème heure avec sa virtuosité légendaire. Enfin, les élèves de l’école de danse sont en tout point bluffants : tenue parfaite, alignements au cordeau, maitrise totale des pas.
La musique de Bryce Dessner interprétée par l’orchestre du New York City Ballet sous la baguette de son nouveau directeur musical Andrew Litton est à la fois intemporelle et très moderne, évoquant parfois les accents de Philip Glass. À l’évidence, le compositeur et le chorégraphe ont cherché ensemble comment évoquer différentes couleurs pour évoquer les multiples tableaux du ballet où tout doit être dit en 45 minutes.
The Most Incredible Thing n’est pas un spectacle parfait mais c’est un moment de pure joie transmis par une compagnie qui montre un immense plaisir de danser et de collaborer à cette création ambitieuse. Ce ballet inscrit résolument Justin Peck dans la galaxie des chorégraphes de tout premier plan qui après avoir mis New York à ses pieds, est en passe de conquérir Paris et la planète. Et il n’a que 28 ans !
The Most Incredible Thing-Ballet de Justin Peck par le New York City ballet au David H.Koch Theater Lincoln Center. Avec Sara Mearns (la Princesse), Tyler Angle (le Créateur), Andrew Veyette (le Destructeur), Ask La Cour, Russel Janzen, Tiler Peck (le Coucou), Rebecca Krohn (Eve), Adrian Danchig-Waring (Adam), Jared Angle, Gonzalo Garcia et Daniel Ulbricht (le Joueur). Lundi 9 février 2016. À voir jusqu’au 7 mai.
Alex
sur le point des étoiles, il faut dire que le nombre est surtout lié au fait qu’au NYCB, il y a la ‘nomination facile’, pour ainsi dire… bcp (trop) d’étoiles, à mon avis.. et pas forcément plus rayonnants que des autres danseurs…
Aventure
Ce compte-rendu donne très envie de découvrir ce ballet, et ce chorégraphe ! Merci !
Amélie Bertrand
@ Alex : Il y a tout de même une très belle génération d’Étoiles au NYCB en ce moment, surtout féminines.
@ Aventure : On aura plus que l’occasion de découvrir Justin Peck ces prochains mois à Paris ! Dommage que cette création ne fasse pas partir de la tournée parisienne du NYCB.