Soirée Carvalho/ Gat/ Guerin/ Forsythe par le Ballet de l’Opéra de Lyon
Avec un programme contemporain éclectique et international, l’excellent Ballet de l’Opéra de Lyon investit à nouveau le Théâtre de la Ville pour une semaine. Xylographie de la portugaise Tânia Carvalho, Sunshine de l’israélien Emanuel Gat, Black Box de l’australienne Lucy Guerin et One Flat Thing, Reproduced de l’américain William Forsythe composent une soirée inégale où l’ennui côtoie l’éblouissement.
Après Waeaving Chaos, spectacle inspiré de l’Odyssée d’Homère qui remporta un certain succès à la dernière Biennale de la Danse lyonnaise, Yorgos Loukos invite Tânia Carvalho à créer une pièce pour le Ballet de l’Opéra de Lyon. C’est ainsi qu’elle déploie dans Xylographie son univers aussi pictural que théâtral, se situant quelque part entre expressionnisme et étranges créatures à la Jerôme Bosch. Lorsque le premier danseur entre en scène, silhouette aux lignes brisées se faufilant le long d’une tenture noire, ombres géantes projetées à sa suite, on pense à l’Après-midi d’un faune de Vaslav Nijinski. Las, Xylographie n’en a ni le charme ni l’esprit novateur. La suite de tableaux proposés par la chorégraphe, dont la finalité ne semble être qu’une recherche esthétique un peu vaine, n’émeut ni ne séduit. Pourtant, ses 18 interprètes, bien que disgracieusement emmaillotés dans des justaucorps à volants de dentelles ou franges, s’emparent d’un vocabulaire d’inspiration très classique avec talent et énergie.
Vient ensuite Sunshine, imaginé en 2014 par Emanuel Gat sur le Water Music de Georg Friedrich Haendel. Ou plutôt d’après, puisque la bande sonore mêle l’ouverture et la fin de cette suite à des enregistrements des répétitions de l’orchestre de l’Opéra de Lyon. Le chorégraphe aime à dire que son processus de création est continu, que chacune de ses pièces est une image, un instantané de l’endroit où les danseur.se.s de sa compagnie et lui-même en sont de ce processus à un instant T. Bien sûr, produire pour le Ballet de l’Opéra de Lyon change la donne. Mais la méthode reste la même : composer une trame complexe à partir de phrases chorégraphiques improvisées par les interprètes. Le résultat est fluide, naturel. Entre courses, sauts et portés, vives accélérations et mouvements ralentis, jeunes hommes et femmes vêtu.e.s des costumes de ville qu’ils.elles ont eux.elles-mêmes choisis, évoluent en grappes qui parfois se disloquent, offrant une danse d’une grande fraicheur.
Après un premier entracte, c’est au tour de Black Box de Lucy Guerin d’investir la scène. Pour sa première création en France, la chorégraphe emblématique de la nouvelle danse australienne a imaginé, en 2013, réunir 11 interprètes dans une large boîte noire. Refuge tout autant que contrainte, celle-ci monte et descend des cintres dévoilant à chaque fois un nouveau tableau, une nouvelle surprise. Duos, trios, danses de groupe se succèdent dans une gestuelle claire et précise. D’abord cantonné.e.s aux limites fixées par la boîte, danseurs et danseuses s’aventurent peu à peu à l’extérieur, s’éparpillent sur la plateau, avant d’être comme happé.e.s dès que celle-ci s’abaisse à nouveau. Peut-être Lucy Guerin aurait-elle pu encore mieux exploiter cette judicieuse scénographie, en jouant sur les niveaux d’élévation de sa black box et ce qu’elle révèle des corps et des mouvements. Il n’en reste pas moins que la pièce gagne en intensité alors qu’elle se déroule, qu’elle convainc, et même charme.
Enfin, l’excellent One Flat Thing, Reproduced de William Forsythe clôt en beauté le programme. 20 grandes tables blanches trainées dans un fracas métallique encombrent l’espace scénique. Avec une virtuosité et une énergie folles, 14 interprètes, inventant une nouvelle grammaire, font fi de cette impensable contrainte et dansent entre, sur, sous ces obstacles à la surface glissante, qui deviennent alliés de leurs mouvements. Comme toujours chez Forsythe le risque est sans cesse palpable. Thom Willems, fidèle et brillant complice, signe l’univers sonore de ce chaos à la précision millimétrée, qui laisse ébloui et sonné.
Si ce programme hétérogène démarre plus que timidement, qu’on est même tenté de bouder à son commencement, l’agencement des pièces proposées fait qu’il gagne au fur et à mesure en qualité et en intensité pour atteindre, avec William Forsythe, une sorte d’apogée. C’est donc finalement le cœur léger et emplit d’enthousiasme que je quitte le Théâtre de la Ville, le Ballet de l’Opéra de Lyon et ses toujours magnifiques interprètes.
Soirée Carvalho/ Gat/ Guerin/ Forsythe par le Ballet de l’Opéra de Lyon au Théâtre de la Ville. Xylographie de Tânia Carvalho avec Edi Blloshmi, Julia Carnicer, Dorothée Delabie, Adrien Délépine, Marie-Lætitia Diederichs, Tyler Galster, Simon Galvani, Tadayoshi Kokeguchi, Coralie Levieux, Graziella Lorriaux, Marco Merenda, Chaery Moon, Leoannis Pupo Guillen, Amandine Roque de la Cruz, Raùl Serrano Nùnez et Pavel Trush ; Sunshine d’Emanuel Gat avec Edi Blloshmi, Adrien Délépine, Tyler Galster, Tadayoshi Kokeguchi, Franck Laizet, Ludovic Le Floc’h, Graziella Lorriaux, Marco Merenda, Leoannis Pupo Guillen et Raùl Serrano ; Black Box de Lucy Guerin avec Jacqueline Bâby, Edi Blloshmi, Noëlle Conjeaud, Marie-Lætitia Diederichs, Tyler Galster, Simon Galvani, Tadayoshi Kokeguchi, Graziella Lorriaux, Marco Merenda, Leoannis Pupo Guillen et Amandine Roque de la Cruz ; One Flat Thing, Reproduced de William Forsythe avec Coralie Levieux, Amandine Roque de la Cruz, Chiara Poperini, Marie-Lætitia Diederichs, Kristina Bentz, Jacqueline Bâby, Raùl Serrano Nùnez, Leoannis Pupo Guillen, Roylan Ramos, Adrien Délépine, Tadayoshi Kokeguchi, Simon Galvani, Tyler Galster et Marco Merenda. Samedi 20 février 2016. À voir jusqu’au 27 février.