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Rencontre avec Kader Belarbi pour Le Corsaire par le Ballet du Capitole

Le Ballet du Capitole s’installe au Théâtre des Champs-Élysées du 20 au 22 juin pour Le Corsaire de Kader Belarbi, qui dirige la troupe depuis maintenant cinq ans. Rencontre avec l’Étoile du Ballet de l’Opéra de Paris autour de sa relecture du Corsaire, et plus généralement sur ce qu’est un ballet du XXIe siècle.

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Kader Belarbi

 

Le Corsaire, Giselle, plus récemment Don Quichotte… À quoi pensez-vous lorsque vous remontez ces grands ballets du répertoire ?

Qu’est-ce que c’est qu’un ballet aujourd’hui ? C’est la question que je me suis posé en arrivant au Ballet du Capitole il y a cinq ans. Je n’ai pas encore trouvé la réponse, mais j’ai quelques pistes, et Le Corsaire en est une. Le ballet est ancré dans la tradition, on ne peut pas la renier. Il est ancré dans l’histoire d’un point de vue muséal dans le bon sens du terme, à savoir que les ballets correspondent à une époque. Mais il ne faut pas les laisser là, il faut les amener à aujourd’hui, en réutilisant leur essence, leur substance, l’interprétation, avec ce que sont les danseur.se.s actuellement.

 

Les danseur.se.s ont une part importante dans votre travail de chorégraphe ?

Ce qui donne la vitalité d’un ballet, c’est un retour sur le passé, l’énergie des danseur.se.s d’aujourd’hui et la vision d’un chorégraphe. Mais quand je démarre mon travail d’adaptation, je suis d’abord uniquement chorégraphe, je ne pense pas aux interprètes.

 

Par quoi avez-vous démarré pour reprendre Le Corsaire ?

Quand je relis un ballet, je pense à une revisite véritable, le but n’est pas de changer une glissade-assemblée. Pour Le Corsaire, j’ai relu le poème de Lord Byron de 1814 que j’ai trouvé superbe. J’avais mon premier parfum. Puis j’ai retrouvé la version de Joseph Mazilier pour l’Opéra de Paris de 1856. J’ai ensuite regardé une fois les versions actuelles du Bolchoï et de l’American Ballet Theatre. Et ma première réflexion a été en voyant ces relectures : je ne comprends rien à l’histoire.

Le Corsaire de Kader Belarbi – Ballet du Capitole

Comment le travail sur la musique est à ce moment-là arrivé ?

J’ai retravaillé la musique. Adolphe Adam a créé une partition très séquencée : ça danse, ça applaudit, ça danse, ça applaudit… Tout ce que je déteste dans le ballet, même si j’y ai participé et que ça peut fonctionner. Mais il fallait trouver une homogénéité, une dramaturgie musicale qui se rapproche du livret. J’ai pioché chez Jules Massenet qui pouvait apporter des danses destinées à des personnages, chez Édouard Lalo, chez Jean Sibelius. J’ai créé une partition de 2h40, que j’ai réduit à 2h. J’ai ensuite travaillé avec le chef d »orchestre David Coleman, qui a rajouté quelques retranscriptions et créations. On est ainsi arrivé à une partition qui se tient pleinement, d’un seul tenant. Et quand on a un bon scénario musical, la ligne est tracée, c’était plus facile pour moi d’entrer dans un studio et de travailler avec les danseur.se.s. Finalement, la volonté était simple et banale : redonner un sens aux choses, ce que le ballet parfois ne fait pas.

 

Comment alors résumer en quelques mots la trame de votre Corsaire, un ballet qui peut vite devenir incompréhensible ?

J’ai simplifié la trame. Le Corsaire, c’est un quatuor, à l’intérieur duquel se glisse une triangulaire amoureuse. Le Sultan et le Corsaire aime la belle Esclave. Mais la Favorite, la compagne du Sultan, est jalouse. C’est elle qui interfère et tire les ficelles de ce trio. Ce personnage danse ainsi très peu, mais elle est sur toutes les situations. À cela se rajoutent toutes les couleurs du ballet : les odalisques, les gardes, les musiciens…

 

La scénographie du Corsaire est très épurée, tranchant avec d’autres versions plus surchargées. Pourquoi ce choix ?

D’abord, je ne travaille pas en comparaison des autres. La première vision que j’ai eue du Corsaire, c’est une vision flottante. C’est vraiment le mot qui m’est venu : une scénographie flottante. Je voulais un ballet cinématographique et je ne voulais rien d’illustratif. L’épure est voulue. Je ne peux en fait pas faire plus simple : deux pilastres, trois piliers, un bateau abstrait… Tout est moins illustratif, moins kitsch aussi. C’est ce que j’appelle « d’aujourd’hui ». Et cela permet au public, à ceux et celles qui sont en face, d’avoir leur imaginaire. Je veux laisser la possibilité à chacun.e d’entrer comme il.elle veut dans le ballet, s’identifier comme il.elle veut, d’aimer ou ne pas aimer. Le ballet peut être ainsi encore plus vivant, on peut jouer avec lui. Pour les costumes, je voulais que l’on comprenne tout de suite le rôle avec un détail. Il y a donc ces couleurs des personnages sur ce fond flottant qui fait qu’on les voit tout de suite, qu’ils sont tout de suite exposés. À cela se rajoute le scénario musical. Tout cela fait que, de mon côté, j’ai moins à dire avec la pantomime. Là, ça devient intéressant.

 

Quel est justement le travail sur la pantomime ? Dans Giselle comme dans Don Quichotte, elle n’est pas forcément très présente, mais le jeu des danseur.se.s du Capitole est toujours très clair. Comment amenez-vous ce travail ?

En tant que danseur, j’ai toujours cherché à être moteur d’une interprétation, à ne pas uniquement prendre ce que l’on me donnait. En tant que chorégraphe, j’essaye que le mot « création » intervienne tout de suite dans un studio avec les danseur.se.s. Je leur donne la possibilité de se chahuter, de ne pas de copier les choses. Je leur parle d’authenticité, d’incarnation. En général, la pantomime se place sur la musique qui dit quelque chose. Je pars toujours de la musique, je l’écoute des centaines de fois. Sur cette musique, il y a des émotions, des sentiments qui peuvent s’inscrire. Je combine finalement une sorte de conversation dansée que je peux ressentir. Et devant mes danseur.se.s, je formalise. C’est une manière de dire la pantomime. Mais je ne la garde pas comme une vitrine. À un moment, je la sabre, je l’efface, comme si j’avais en face de moi des vrais acteur.rice.s. Je demande aussi à ce qu’il y ait une vraie projection, qu’ils en aient conscience, il faut en avoir dans un théâtre.

Chaque danseur.se doit être dans l’incarnation, il.elle doit vous emmener quelque part, de façon à ce que vous n’ayez pas besoin d’essayer de comprendre. C’est un vrai travail de l’instant qui mêle le.la danseur.se, le geste, le costume, l’accessoire…Et beaucoup de répétition. On refait les choses jusqu’à ce que l’interprète arrive à danser et à incarner son rôle, sans qu’il.elle soit extérieur.e à ce qu’il.elle fait. Le focus est intérieur et va vers l’extérieur. Pour moi, la danse est entre un geste et un autre, elle n’est pas dans le geste même. Si on pense que l’on est que dans le geste, on ne reste que dans la forme. C’est entre les gestes qui est important.

Le Corsaire de Kader Belarbi – Ballet du Capitole

Comment avez-vous travaillé le pas de deux, l’incontournable des galas ?

Ce sont toujours de grandes questions ! C’était un pas de trois à l’origine, mais je l’ai assez vite évacué car je ne voyais pas l’intérêt dans l’histoire d’une tierce personne. J’ai changé la musique du solo de l’esclave, ce qui transforme quelque chose dans sa nuance. Puis j’ai placé ce pas de deux dans une sorte d’île des corsaires, ce qui conditionne autrement la façon de faire le duo. J’ai repris certains enchaînements, je les ai replacés dans la logique interne de mon Corsaire. Tout cela fait que ça donne autre chose.

 

Comment votre imagination de chorégraphe se heurte avec les principes de réalité, comme celui du budget ou celui d’avoir une troupe finalement réduite (35 artistes) ?

Au départ, il n’y a pas de budget limité, sinon vous cadrez complètement une création. Lors de la première étape, je suis dans l’idéal de chorégraphe, j’investis tout : la mise en scène que je trouve souvent pauvre dans le ballet classique, la scénographie, le décor… Les limites n’interviennent que lorsque la réalité débarque. Je dirige un ballet municipal, je sais ce qu’est un euro.

 

Comment arrive-t-on à danser Le Corsaire, qui demande beaucoup de monde en scène, avec cet effectif de 35 artistes ?

Contrairement à d’autres compagnies, pour ces grosses productions, je ne prends pas 20 surnuméraires de plus. La facture serait d’une part beaucoup plus importante, et cela n’aide pas pour l’unité. Pour Giselle, je ne prends ainsi que trois surnuméraires, que je les fais venir bien plus tôt qu’un mois avant la première. Je les engage souvent de septembre à décembre, c’est aussi un bon moyen de tester les jeunes. Aujourd’hui, j’ai 35 danseur.se.s. Un corps de ballet féminin doit au minimum être de 18. C’est donc toute mon intelligente d’en mettre 14 ou 15 selon les passages, et de faire que cela ne se voit pas. Ma recherche est aussi de démontrer qu’il y a la possibilité d’ouvrir vers La Bayadère, Le Lac des Cygnes, La Belle au bois dormant… Augmenter l’effectif à 40 artistes est plus qu’évoqué, et par plusieurs personnes. L’idée est là mais les portes doivent s’ouvrir.

 

Vous dirigez le Ballet du Capitole depuis cinq ans. Comment la relation envers le public, pas forcément tourné vers la danse, a-t-elle évolué ?

Il ne faut pas travailler pour le public, mais il faut y porter attention. Je sens de plus en plus un public attentionné aux propositions de la programmation de la danse. Il y a des choses en train de se passer, il y a un rajeunissement, plus d’abonné.e.s. Nous avons ainsi, aujourd’hui des séries qui affichent complet. Don Quichotte par exemple, a affiché complet sur toute la série, et 200 personnes attendaient chaque soir pour avoir une place. C’est bien d’entendre ça, parce que ne c’était pas le cas quand je suis arrivé. Dès le début, j’ai fait très attention à trouver des passerelles avec la ville. Nous avons un partenariat avec la cinémathèque de Toulouse, nous organisons des répétitions dans le foyer. Je ne fais pas tout ce que je voudrais, mais on organise des choses.

Le Corsaire de Kader Belarbi – Ballet du Capitole

La saison prochaine est marquée par un nouveau Casse-Noisette de votre part au Ballet du Capitole. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Casse-Noisette, pour moi, c’est un émerveillement. Quand on travaille sur ce ballet, on peut aller chercher chez Dumas ou chez Hoffmann. J’ai préféré aller chez Hoffmann, entre sombre et merveilleux, entre cruauté et féérie. Il n’y aura pas de sapin mais un gros bonhomme de neige, pas de rat mais une reine des Arachnides. Je ne toucherai pas à la musique de Tchaikovsky qui est imparable, mais il y aura peut-être un ajout sonore au deuxième acte pour éviter la galerie des danses, le séquentiel. Le premier acte se déroule dans un orphelinat. Certains enfants ont la chance de partir avec leurs parents, d’autres sont obligés de rester. Au deuxième acte, l’endroit s’ouvre sur la porte des rêves… Je veux en fait faire une sorte de conte pour enfants et adultes.

 

Commentaires (2)

  • a.

    Quel bel entretien! Merci!

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  • Senga

    C’est sympa d’entendre Kader Belarbi et sa vision des ballets et du management de ses danseurs.
    Son Corsaire vu hier soir nous montre une troupe époustouflante, avec une très belle énergie et une unité incontestable, et des solistes de très grande qualité. La relecture est intelligente et la trame effectivement parfaitement lisible, même si le final est un peu tiré par les cheveux.
    Une vraie réussite.

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