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Roméo et Juliette – Ballet de l’Opéra de Paris

À l’heure où la question de l’héritage Rudolf Noureev commence (vaguement) à se poser au Ballet de l’Opéra de Paris, il est coutume de dire que La Bayadère et Roméo et Juliette sont ses productions qui ont le mieux résisté au temps. Cette dernière est reprise du 19 mars au 16 avril à l’Opéra Bastille. Et preuve en est. Cette superbe production inspirée à la fois de la Renaissance (décors et costumes) et des combats de rue de West Side Story fait des merveilles. Certes, la chorégraphie de Rudolf Noureev paraît toujours parfois emberlificotée. Mais la danse est toujours là au service de l’histoire, de l’émotion. Un si bel ensemble qu’il se suffit parfois (presque) à lui-même pour porter l’histoire. Heureusement parfois, car le soir de la première, les interprètes étaient en dents de scie. Remplacer les tragédiennes Isabelle Ciaravola Laetitia Pujol n’est pas chose facile. Mais Mathieu Ganio reste le Roméo idéal.

Roméo et Juliette - Amandine Albisson et Mathieu Ganio

Roméo et Juliette – Amandine Albisson et Mathieu Ganio

Rudolf Noureev ne cherche pas forcément à faire beau avec Roméo et Juliette, mais à faire efficace, à faire vivant. Dès les premiers instants, le décor est planté : la guerre des clans (#TeamMontaigu ou #TeamCapulet) chacun dans son espace, la trivialité de la vie de l’époque, la sexualité omniprésente. Souvent peu à l’aise quand il s’agit de jouer vraiment la comédie, le corps de ballet montre pourtant beaucoup d’engagement dans ce premier acte, chaque famille portée par un chef de file percutant (mention spéciale à Matthieu Botto chez les Capulet, très juste dans la violence ou le dévergondage).

La suite, plus que par le couple des jeunes amants, est surtout portée par les trois potes inséparables des Montaigu. Soit le rêveur Roméo (Mathieu Ganio), le gaudriole Mercutio (François Alu) et le pacificateur Benvolio (Fabien Révillion). Le premier déploie ses longues arabesques la tête ailleurs, doux et sensible, mais qui sait aussi rire et flirtouiller avec Rosaline (dansée avec justesse par Héloïse Bourdon). Mathieu Ganio est le rêvé héros romantique, dansant aussi bien avec esprit qu’avec grandeur. François Alu écrase la scène de sa présence et de son engagement théâtrale en Mercutio. Plus que la vision elfique, il choisit d’incarner un personnage très terre-à-terre, le bouffon de la bande qui ne réfléchit pas au lendemain. Sa mort au deuxième acte n’en est d’ailleurs que plus poignante, tant lui-même a du mal à se rendre compte que le jeu est fini. Face à ses deux fortes personnalités, Fabien Révillion trouve sa place, aussi bien dans le jeu (celui qui veut tout arranger) que dans la danse (superbes grands sauts). Finalement, dans cette soirée, le drame vient moins du destin qui détruit le couple que du destin qui détruit le trio d’amis. Ils sont presque frères, mais la violence de leur monde va les séparer malgré eux.

Roméo et Juliette

Roméo et Juliette

Globalement, le deuxième acte paraît plus difficile. La danse des acrobates semble poussive. François Alu porte un peu la tragédie à lui tout seul lors de la grande scène finale. Karl Paquette reste en effet, de façon surprenante, en retrait dans son personnage de Tybalt. Il y manque la violence animale du rôle.

Et qu’en est-il de Juliette ? Amandine Albisson joue une jeune fille fraîche et un peu niaise au premier acte. Sa danse porte naturellement son personnage de Juliette, à la fois vive et légère, joyeuse. L’opposition naît ici avec Pâris, si doux et calme face à Juliette qui déborde d’énergie et de vie (une pensée au passage pour Pâris, présent dans tout le ballet, qui meurt dans d’atroces souffrances et tout le monde s’en moque). La danse d’Amandine Albisson est superbe. Mais ses gestes ne semblent pas réfléchis. Elle paraît danser sans penser à ce qu’elle fait, sans vivre vraiment les choses. Si cela peut passer au premier acte, cela devient plus difficile au deuxième, et presque gênant au troisième. Ses sentiments paraissent surjoués, superficiels. Quelques véritables accents de vérité naissent ici et là, quand l’Étoile est confrontée à d’autres personnages, à ses parents par exemple (les très justes Laurent Novis et Stéphanie Romberg). Seule, la danseuse ne sait pas (encore ?) jouer la tragédie, surtout la vérité de l’histoire.

Roméo et Juliette - François Alu, la mort de Mercutio

Roméo et Juliette – François Alu, la mort de Mercutio

Difficile ainsi de croire au couple, de tomber en empathie face aux deux jeunes amants. Mathieu Ganio et Amandine Albisson sont cependant esthétiquement très assortis, mais l’émotion a du mal à naître. Elle apparaît là-aussi par touches, après un baiser, un porté. Car comme dit plus haut, la danse et la mise en scène de Rudolf Noureev emportent tout, si au service de l’histoire qu’elles ne peuvent qu’aider les protagonistes à jouer juste.

La production est globalement si réussie que le spectacle laisse forcément un souvenir. Il y a l’imposante beauté des décors, à la fois grandiose et oppressante. Il y a les scènes de rue, la trivialité opposée au si romantique Roméo, les jolis sauts de Juliette, la folie douce de Mercutio. Mais il manque cette vague d’émotion qui peut tout emporter. À suivre au fil des distributions.

Roméo et Juliette - Amandine Albisson et Mathieu Ganio

Roméo et Juliette – Amandine Albisson et Mathieu Ganio

 

Roméo et Juliette de Rudolf Noureev par le Ballet de l’Opéra de Paris à l’Opéra Bastille. Avec Mathieu Ganio (Roméo), Amandine Albisson (Juliette), Karl Paquette (Tybalt), François Alu (Mercutio), Fabien Révillion (Benvolio), Héloïse Bourdon (Rosaline), Yann Chailloux (Pâris), Laurent Novis (le Seigneur Capulet), Dame Capulet (Stéphanie Romberg), Maud Rivière (la nourrice) et Erwan Le Roux (Frère Laurent). Samedi 19 mars 2016. À voir jusqu’au 16 avril.

 

Comments (3)

  • Anne

    Je suis d’accord avec les impressions d’Amélie que j’ai d’ailleurs perçue pendant l’entracte ( j’étais dans la rangée juste à coté de celle ou Millepied, Aurelie Dupond et co étaient assis 😉

    2 points sur lesquels je suis (plus) qu’entièrement d’accord:
    1) La performance de François Alu m’a vraiment marqué, il est tout simplement INCROYABLE! Je ne suis d’ailleurs pas la seule à l’avoir pensé! A quand sa nomination ?
    2) Mathieu Ganio, le Roméo idéal ( j’en ai rêvé toute la nuits :3 )

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  • Jerôme

    Je ne sais que dire de plus à part que je partage vraiment votre point de vue, et que vraiment j’adore ce ballet, en tout point. Tout comme vous, le point positif de la soirée a été ce merveilleux trio masculins: technique, acting, tout était là, chacun bien dans son personnage; mention spéciale à Alu: quelle intelligence scènique! sa danse semble servir en permanence son personnage, il n’hésite pas à grimacer, à bondir et il reste en tout le temps attentif à ses partenaires (il présentait ce soir là une belle complicité avec Mathieu Ganio). Bref, proche de la perfection pour moi.
    Un peu tout le contraire malheureusement d’Amandine Albisson…j’ai l’impression que quoiqu’elle danse elle est là même: jolie, assurée,à ne se préoccuper que d’elle en scène. Mais pas de sensibilité, on dirait qu’elle ne « creuse » pas ses personnages. Ca m’a vraiment gêné car pour moi Juliette est celle qui est censée porter le ballet sur ses épaules, mener l’intrigue, nous transporter. Mais je trouve qu’en même temps qu’elle correspond bien à l’ODP qui préfère les danseurs « esthétiques » qu’ « artistes ». (je suis en cela plus sensible aux danseurs anglais, plus théatraux et investi dans le jeu d’acteurs )
    Cette production reste marquante et j’ai hâte d’y retourner avec Heymann/Ould Braham.

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    • keegan

      Dans tous le cas voilà un ballet qui quoiqu’on en dise prouve que ce genre n’est pas mort et que même si on peut parfois préférer une distribution à une autre, nos sensibilités ne sont pas les mêmes, il y a aujourd’hui à l’Opéra une troupe qui va bien.

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