La Sylphide par le Ballet de l’Opéra de Paris – Hugo Marchand et Amandine Albisson
Alors que la France pleure l’une de ses plus grandes figures féminines du siècle passé, le Palais Garnier bruit des ailes d’une allégorie chorégraphique de l’ambivalence féminine : La Sylphide. La dualité de la femme est un sujet artistique inépuisable. Précurseur de Giselle, le ballet transcendait le Paris de 1832 par son esthétique de l’envol. La mousseline et le tulle blancs combinés à l’apparition furtive des pointes concouraient à élever la danseuse d’alors (Marie Taglioni) au rang de beauté céleste. Que reste-t-il de cette fièvre romantique de nos jours ? Peu de choses, XXIe siècle oblige. Amandine Albisson offre une interprétation terrestre de la Sylphide et Hugo Marchand débarrasse le rôle de James de toute affèterie avec un succès certain. In fine, c’est le personnage masculin qui frappe l’oeil et marque les esprits au point de légitimer un changement de nom temporaire du ballet. Retour sur James et sa Sylphide.
Campant l’un des rôles emblématiques du ballet romantique français, Hugo Marchand démontre s’il en était encore besoin l’étendue de son talent. Il a tout. La beauté extérieure (ce visage racé, ce corps d’éphèbe…), intérieure (cette poésie viscérale…), la technique virtuose (cette saltation spectaculaire…), la grâce virile (la joliesse du port de bras…) et l’intelligence de l’interprétation (l’étreinte du rôle dans la nuance…) Hugo Marchand se montre artiste par sa capacité à moderniser un monument historique du répertoire maison.
Et la chorégraphie de Pierre Lacotte est une merveille de petits sauts battus en série, contrastant avec la gracilité du haut du corps. Le pas de trois qui oppose La Sylphide et Effie face à James représente l’apogée chorégraphique de cet acte terrestre, qui préfigure déjà la fuite de James vers son monde intérieur. Les différents tableaux, d’ordinaire ternes, s’enchaînent sans répit grâce à l’investissement des danseuses (mention spéciale aux filles du corps de ballet) et des danseurs, très à l’aise avec l’écriture ornée du XIXe siècle. Quant à Alexis Renaud, il a eu du caractère à revendre dans le costume de la sorcière. Il a pour lui une présence en scène et un sens du comique qui portent une grande partie de la trame narrative du ballet.
Si le premier acte, en couleurs, est parfois un trop long passage obligé avant la magie onirique de l’acte blanc, il devient ici vivace à la faveur des pas enjoués d’Amandine Albisson (femme de son temps), de la puissance volcanique d’Hugo Marchand (apollon en kilt) et de la luminosité gentillette d’Hannah O’Neill (Effie). Seulement, quand Amandine Albisson apparait en songe à un James assoupi, elle ne restitue pas l’immatérialité de ses ancêtres du XIXe siècle. Elle ne respire pas, non plus, l’espièglerie presque maligne que le rôle porte en germe. Le pied est parfaitement présenté, en dehors à la française, et la technique maîtrisée, mais la danse manque de grâce irréelle. C’est bien mais ce n’est pas mieux. Alternativement, la dimension moqueuse très « attrape-moi si tu peux » de la Sylphide n’est qu’effleurée. Le propos vient aussi à manquer : que nous conte donc cette Sylphide ?
Dans ces conditions, il est difficile de croire au coup de foudre entre James et son esprit ailé, exutoire censé matérialiser la soif d’idéal de l’homme romantique. Il est aisé, par contre, de comprendre pourquoi le jeune écossais ne se contente pas de ce que lui promet l’avenir aux côtés de sa fiancée Effie. Hannah O’Neill la dessine mièvre. Bien rangée, elle minaude et sert le propos de son personnage de manière limpide. Marion Barbeau, dans le pas de deux des Écossais, s’inscrit dans la même veine coquette. Ses bras sont moelleux et sa danse aérienne, au risque de lui faire perdre toute crédibilité en paysanne. Sa place serait davantage dans l’acte blanc. Emmanuel Thibaut, dont ce sont les dernières représentations, n’a rien perdu de son panache et apparait en phase avec le thème rural du premier acte.
Mais la féérie de La Sylphide s’illustre d’abord à travers les nuées de jupons blancs, vaporeux dans la nuit bleuté d’une forêt écossaise enchantée. L’acte fantastique était ainsi l’objet de lourdes attentes, chacun-e aspirant à se retrouver dans un état d’hypnose. Mais l’apothéose attendue n’a pas vraiment eu lieu. Les sylphides volantes font toujours leur petit effet, et la profusion de tulle et de mousseline immaculés ravit bien l’oeil. Toutefois, Amandine Albisson ne descend toujours pas des cimes nuageuses de Marie Taglioni. Si les rôles évoluent au fil des siècles, cette Sylphide-là n’offre pas de supplément d’âme bien à elle. Sur le terrain du ballet romantique, elle semble presque apatride. Son extinction émeut alors à peine, quand James entreprend de la capturer à l’aide du voile empoisonné qu’une sorcière lui a offert. Même les ailes ont du mal à se détacher, prononçant le divorce du costume et de l’interprète. La Sylphide est pourtant une figure féminine polymorphe, aussi éthérée que malicieuse, elle peut aussi être mystique et avec ses rangées de perles, elle a même un petit côté de lys dans la vallée, de femme du monde inaccessible. Peut-être Amandine Albisson a-t-elle voulu embrasser toutes ces facettes ; il semblerait qu’elle n’en ait étreint aucune, même si sa performance se regarde sans déplaisir aucun.
Bien que sorti du contexte qui l’a vu naitre, le ballet romantique pourrait aujourd’hui être une de « ces torches unes à unes allumées par l’homme pour éclairer la voie qui l’arrache à la bête« . Son relatif déclin est peut-être l’expression du désenchantement du monde que des philosophes du XXe siècle observaient et craignaient. Espérons que la sécularisation du ballet ne soit pas inéluctable.
La Sylphide de Pierre Lacotte par le Ballet de l’Opera de Paris au Palais Garnier. Avec Amandine Albisson (Sylphide), Hugo Marchand (James), Hannah O’Neill (Effie), Marion Barbeau et Emmanuel Thibault (pas de deux des Écossais) et Alexis Renaud (sorcière). Mardi 4 juillet 2017. À voir jusqu’au 16 juillet.
Léa
Ayant vu la même soirée, j’en partage à peu près votre compte-rendu. J’avoue que H. Marchand m’a semblé parfois presque « trop » débarrassé de la joliesse romantique. J’ai renoncé à voir un jour Amandine Albisson onirique. J’ai donc suivi avec plaisir un roman initiatique, avec une Sylphide gracieuse, séduisante et déterminée, emportant jusqu’à la mort son très viril James dans l’initiation à la vie adulte, où l’on apprend qu’à trop se réfugier dans le fantasme, au désir illimité, on perd non seulement le fantasme, qui par définition ne peut se capturer sans mourir, mais aussi la réalité, qui n’attend pas (toujours) que vous soyez disposé à l’embrasser, laissant le fantasme à sa juste place.
Léa
Néanmoins, une version Ganio/Gilbert manquera toujours à cette série, version qui aurait sans doute mieux restitué le romantisme et l’onirisme de ce ballet….
Marie
Je respecte votre avis, mais je trouve toujours un peu étrange le ton péremptoire avec lequel vous le dites. Vous n’aimez pas Mlle Albisson, c’est un fait : vous descendez à chaque fois sa prestation en flèche. Et, en l’occurrence, je ne suis pas d’accord avec vous. Vous ensencez Mlle O’Neil et de nouveau je ne suis pas d’accord avec vous : son sourire figée en toutes circonstances ou presque me chagrine. Vous êtes un des rares sites où on trouve autant de renseignements sur la danse et les ballets. Un avis un peu plus nuancé (montrant que c’est un avis et non une vérité ou une loi immuable) le rendrait bien plus plaisant à lire.
Amélie Bertrand
@ Léa : Merci de votre joli retour ! Nous aussi nous regrettons cette distributions…
@ Marie : Jade n’encense pas particulièrement Hannah O’Neill me semble-t-il… Quand à nos avis, ils ne sont justement que des avis ! À aucun moment, noue ne voulons les montrer comme des vérités absolues. Et cette vision ne reflète que le sentiment de notre rédactrice Jade Larine. Mais les commentaires sont là pour que vous puissiez nous faire votre propre retour du spectacle, avec votre opinion.
Jade
A vrai dire c’est la première fois que j’écris au sujet d’Amandine Albisson, sauf erreur, je vois mal dans ces conditions en quoi je la descends systématiquement. En l’espèce, je pense ne pas faire trop de vagues en disant qu’elle n’est pas une ballerine romantique, cela ne signifie pas qu’elle n’est pas légitime pour le rôle. Quant à Hannah O’Neill, je ne saisis pas en quoi elle est encensée dans la chronique, au contraire…