Soirée Ratmansky/Robbins/Balanchine/Peck – Ballet de l’Opéra de Paris
Cette soirée est reprise du 11 au 13 mai 2016 au Quartz de Brest.
La courte soirée Ratmansky/Robbins/Balanchine/Peck, proposée par le Ballet de l’Opéra de Paris jusqu’au 5 avril au Palais Garnier, porte bien la marque du futur-ex directeur de la troupe Benjamin Millepied. Soit une soirée mixte, typiquement américaine et mettant en avant le rapport entre la danse et la musique – les instrumentistes sont présent.e.s sur scène dans les quatre pièces. De fait, si les précédentes soirées mixtes de la saison laissaient un goût mitigé, cette dernière donne plutôt une impression séduisante. Voilà quatre ballets différents, trois générations de chorégraphes et autant de façon de faire d’un simple divertissement un vrai moment de danse. Quatre ballets qui laissent aussi une grande place aux interprètes, place que ces derniers ne prennent pas forcément.
Le Ballet de l’Opéra de Paris et Alexeï Ratmansky, ce n’est pas forcément une histoire qui a bien commencé, cf Psyché que le public a reçu assez fraîchement. Mais c’était sans connaître le travail du chorégraphe russe pour les compagnies américaines, un travail très différent de ce qu’il peut faire en Europe. Avec Seven Sonatas, une entrée au répertoire, il reprend ici la tradition du ballet abstrait classique des maîtres George Balanchine et Jerome Robbins, inspiré par la musique, ici des sonates de Scarlatti au piano. La chorégraphie n’est pas foncièrement neuve, mais Alexeï Ratmansky sait y faire pour proposer une danse charmante, sachant occuper l’espace avec un haut du corps spécialement lyrique (le chorégraphe n’est pas russe pour rien). Et si l’inspiration est à l’évidence Robbins-ienne, elle reste assez discrète pour que la pièce garde son identité bien à elle.
Seven Sonatas commence par un joli ensemble, six danseurs et danseuses qui se croisent et se recroisent, avant une série de variations et pas de deux. Alice Renavand apporte du piquant et une pointe d’humour pas désagréable quand Laura Hecquet est impériale dans cette veine néo-classique. Deux styles plus marqués qui sont les bienvenus dans un ensemble un peu trop homogène. Seven Sonatas laisse en effet une large place aux interprètes pour s’emparer à leur façon de cette danse, la pièce a d’ailleurs été créée pour des stars de l’ABT. Mais les artistes de l’Opéra de Paris ne prennent pas forcément cette place, restant semblables aussi bien dans la danse que l’interprétation, surtout chez les danseurs. Il manque ainsi une personnalité détonnante dans le groupe, à la Mathias Heymann ou François Alu (ce dernier était d’ailleurs prévu à l’origine, avant qu’il ne soit trop accaparé par Mercutio), un danseur qui perturbe un tout un peu trop sage et attendu. La pièce s’étire ainsi et les derniers adages semblent bien longs.
Other Dances, pépite de Jerome Robbins, souffre un peu de venir juste après. Cyclo uni en fond de scène, piano sur le plateau, robe vaporeuse et danse néo-rmantique, les deux pièces semblent au début se ressembler (quand il n’en est rien). Les deux interprètes du soir, Mathias Heymann et Ludmila Pagliero, offrent cependant assez de personnalité pour qu’Other Dances se révèle. Mathias Heymann met particulièrement en valeur l’inspiration folklorique de la chorégraphie sur des mazurkas de Chopin. Il est le mélange idéal entre la danse française élégante et la danse de caractère plus terre-à-terre. Un pied flex, un accent de l’Est se mêlent ainsi aux purs pas académiques.
Ludmila Pagliero montre, au-delà de sa danse si travaillée, sa grande musicalité. Elle ne fait pas que suivre la musique, elle joue avec. Elle prend un peu d’avance pour mieux s’arrêter sur un équilibre, elle rattrape son retard, tourne autour du temps et offre ainsi un grand jeu de nuances. Sa danse est charmante, mais manque néanmoins de personnalité pour vraiment se dégager des centaines d’interprètes de ses variations vaporeuses. Plus globalement, le couple est bien assorti, mais oublie cette touche d’humour, ce second degré à peine perceptible qui fait tout le sel d’Other Dances. Le métier des deux Étoiles et leur sens du détail permettent toutefois à la pièce de trouver sa place.
Duo Concertant de George Balanchine, encore une entrée au répertoire, est pour le moins déconcertant (oui, quel jeu de mots). D’abord par son absolue modernité dans sa danse. Bien plus vieux que les deux ballets précédents, il semble pourtant avoir été créé la semaine dernière (on est un génie ou on ne l’est pas). La scénographie ne semble pas bien, par contre, sur quel pied danser. D’abord le couple (Laura Hecquet et Hugo Marchand) écoute les musicien.ne.s dans un coin du piano. Puis danse au centre de la pièce. Puis revient dans le coin du piano. Puis danse dans le noir quand la poursuite l’éclaire peu à peu. Une construction un peu bizarre qui a du mal à faire sens, mais qui n’en occulte pas moins l’immense plaisir de la chorégraphie, pure néo-classique mélangeant sans complexe académisme et geste tranchés.
Laura Hecquet et Hugo Marchand sont de merveilleux interprète de George Balanchine. Elle y apporte tout un esprit, sachant créer tout un monde autour de cette danse abstraite. Lui explose de jour en jour, toujours plus musical, avec toujours plus de poids en scène. Les deux brillent dans leurs variations, mais les pas de deux ont plus de mal à accrocher. Ils sont pourtant bien assortis, mais leur complicité semble un peu feinte et apprêtée.
Cyclo uni, robe vaporeuse, ensemble néo-classique, musicien.ne.s sur scène… Les règles semblaient dites. Quand soudain, bam ! L’arrivée d’In Creases de Justin Peck. Il y a presque tout (le cyclo uni, les pianos en scène, le groupe sur pointes), et pourtant tout est surprenant. In Creases, c’est un jeu de mots entre augmenter (increase) et en crise (in crisis). Soit 12 minutes à toute allure, toujours étonnantes, d’une efficacité rare sans tomber dans la simple facilité. Comment Justin Peck fait-il différemment quand il semble prendre la même recette ? En allant jamais là où l’on s’attend qu’il aille. Hop, il fait partir son groupe dans une autre direction, il transforme un manège en un jeu de marelle, il déconstruit son ensemble quand on ne s’y attend pas. Il y a ajouté des bras très graphiques, bras tendus devant comme une lame. Il joue de la structure du groupe avec une stupéfiante facilité, de l’occupation de la scène avec un talent inné.
À l’image d’artistes de la nouvelle génération, Justin Peck sait faire référence à ses maîtres sans complexe tout en ayant la tête au XXIe siècle. Dans In Creases, il montre qu’il a mangé du Balanchine, avalé du Robbins, ingurgité du Broadway et mâché de l’efficacité américaine. Qu’il a secoué tout ça très fort tout en gardant ses chaussons dans son époque. Les huit artistes, jeunes talents de la génération Millepied, se glissent avec un délice évident dans cette nouvelle énergie. Hannah O’Neill, d’un glamour autant rayonnant qu’irrésistible, mène tout ce petit monde à un rythme hors d’haleine. Justin Peck revient dès juillet à Paris pour une création, je trépigne déjà.
Soirée Ratmansky/Robbins/Balanchine/Peck par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Seven Sonatas d’Alexeï Ratmansky, avec Laura Hecquet, Alice Renavand, Aurélia Bellet, Marc Moreau, Audric Bezard et Florian Magnenet ; Other Dances de Jerome Robbins, avec Ludmila Pagliero et Mathias Heymann ; Duo Concertant de George Balanchine avec Laura Hecquet et Hugo Marchand ; In Creases de Justin Peck, avec Valentine Colasante, Hannah O’Neill, Aubane Philbert, Ida Viikinkoski, Alexandre Gasse, Vincent Chaillet, Marc Moreau et Daniel Stokes. Jeudi 24 mars 2016. À voir jusqu’au 5 avril, puis au Quartz de Brest du 11 au 13 mai.