Rencontre avec Anaïs Chalendard, la nouvelle Étoile française du Boston Ballet
Anaïs Chalendard, danseuse française du Boston Ballet, vient d’être nommée Principal Dancer, le titre le plus élevé de la hiérarchie. Encore Première soliste (son nouveau statut ne sera effectif que la saison prochaine), elle vient de danser pour la première fois le rôle de Tatiana dans le ballet Onéguine de John Cranko. Formée à Marseille, élève de Dominique Khalfouni, Anaïs Chalendard a fait une partie de sa carrière en Allemagne avant de rejoindre en 2008 l‘English National Ballet de Londres où elle a interprété les principaux rôles du répertoire académique. Depuis 2013, elle danse au Boston Ballet, l’une des principales compagnies classiques des États Unis. Cela lui permet d’aborder un nouveau répertoire et de nouvelles méthodes de travail.
Racontez-nous : comment avez-vous appris cette nomination ?
J’étais juste entre la classe et la répétition et c’est l’assistante de Mikko Nissinen, le directeur du Boston Ballet, qui m’a demandé de la rejoindre dans son bureau. Il était là avec son adjoint Russell Kaiser, Je me suis demandé si je n’avais pas fait une bêtise (sourire). Mikko Nissinen a fermé la porte et il m’a tout simplement dit : « Voilà, nous te nommons Principal Dancer« . Ils avaient l’air heureux de me l’annoncer. Mais ma première réaction a été de dire : « Oh non !« . Je me suis littéralement pris la tête et j’ai revu en accéléré toute ma vie défiler. J’ai tout de suite pensé à mes parents qui ont fait tellement de sacrifices, c’est aussi – peut-être avant tout – une récompense pour eux.
Aurélie Dupont expliquait à quel point c’était compliqué d’être promu Étoile car subitement, tout le monde attend plus de vous alors que vous êtes exactement la même danseuse. Vous avez aussi ressenti cela ?
Je ne réalise pas encore. C’est un grand bonheur évidemment mais j’essaie toujours de faire la même chose, toujours plus, toujours mieux. C’est davantage de pression parce que l’on attend quelque chose de plus mais il faut garder les pieds sur terre car cela ne change rien. Pour moi, il y a une continuité et je vois cette nomination davantage comme une récompense d’un travail qui continue. Le lendemain, tout est pareil, le plié à la barre. Je me lève, je pose le pied par terre et ça fait mal, pareil !
Votre premier rôle en tant que Principal a été Tatiana dans le ballet Onéguine. Comment avez vous abordez ce personnage ?
Tout d’abord, j’ai lu le livre et je me suis renseigné sur la vie de Pouchkine. Sa manière d’écrire est tellement particulière, cela donne un rythme au poème et j’ai essayé de penser le ballet comme cela. Il y a parfois dans le texte une suspension des vers et c’est un peu la même chose dans le ballet, en tout cas, c’est comme cela que je l’ai pensé. Parfois les mouvements ne sont pas totalement fins dans le ballet de John Cranko. J’ai aussi revu le film de Martha Fiennes avec Liv Tyler qui joue Tatiana. C’est une approche très différente. Et c’est l’interprétation de Ralph Fiennes qui joue Onéguine qui m’a aidé à trouver mon propre personnage. Il ne s’agit pas d’imiter une actrice ou une danseuse mais de s’appuyer sur cela pour construire ma Tatiana. Et puis j’ai beaucoup discuté avec mon partenaire.
Vous aviez envie de ce rôle ?
Oui beaucoup car ce n’est pas une Juliette, ce n’est pas une Manon, ce n’est pas une Marguerite ou une Anna Karénine. C’est vraiment un personnage particulier, elle est d’une telle pureté, d’une telle honnêteté. Juliette aussi, mais Tatiana a cette sorte de naïveté au début du ballet. Manon est plutôt du côté obscur. Tatiana est restée intègre jusqu’au bout et c’est difficile de trouver cela, il a fallu que je remonte très loin en moi pour élaborer cette pureté et cette simplicité. C’est aussi pour cela que ce ballet nous prend aux tripes car cela aurait pu être tellement simple. Mais l’esprit perverti d’Onéguine par la société lui a voilé l’évidence. C’est tout cela que j’essaye de raconter sur scène en le vivant spontanément à chaque fois, d’être totalement le personnage. Je crois que c’est de cette manière que l’on touche le public. À un certain moment, nous sommes toutes et tous Tatiana et Onéguine.
Vous avez fait une partie de votre carrière en Allemagne, puis à Londres. Comment êtes-vous arrivée au Boston Ballet ?
Tout allait très bien à l’English National Ballet. Puis il y a eu un changement de direction, Tamara Rojo a pris la tête de la compagnie en 2012, et cela ne collait plus vraiment. Je n’avais pas envie de séduire et je me suis dit que j’allais essayer autre chose. C’était un coup de poker mais je ne voulais surtout pas stagner. J’ai passé une audition au Boston Ballet et cela a marché. J’avais vu le répertoire de la compagnie et cela me convenait tout à fait car à ce stade de ma carrière, je crois que je veux tout danser : le répertoire académique, le néo classique avec George Balanchine et le contemporain. J’aime cette programmation du Boston Ballet qui est une compagnie américaine avec une touche européenne. Cela m’a séduit. C’est une attitude très moderne et j’aime ça. C’était difficile la première année, surtout de laisser l’ENB après cinq ans. Mais ici, les gens sont tellement ouverts et accueillants que cela a facilité mon intégration. Cela doit être le côté américain…
Précisément, quelles différences percevez-vous entre les compagnies européennes et ce qui se passe aux États-Unis ?
L’atmosphère est plus relax en fait. Cela ne veut pas dire qu’il y a moins de discipline, mais ils misent sur la responsabilité du.de la danseur.se. En Europe, nous sommes plus maternés. Cela a du bon comme du mauvais. Par exemple dans les compagnies européennes, très souvent, le rôle est décortiqué dans tous les détails et on nous l’amène pré-maché sur scène de A à Z. Ici, on exige davantage de l’artiste pour qu’il apporte sa personnalité. C’est comme cela que travaille Mikko Nissinen : il choisit des artistes qui ont déjà un bagage et qui vont pouvoir l’enrichir dans la compagnie. En Europe, nous sommes dirigés du début à la fin. Il y a plus d’autonomie ici. Et pour moi, cette façon de procéder correspond parfaitement à cette étape de ma carrière. Cela n’aurait sans doute pas fonctionné plus tôt, parce que j’avais besoin d’être formé et d’accumuler des expériences.
Est -e que malgré votre parcours international, vous vous sentez une danseuses française ?
Tout à fait ! J’ai beaucoup réfléchi à cela car on me le dit tout le temps : « You are so French…« . Je crois que cela vient de l’épaulement, nous épaulements sont très « lifaresques ». Quand je me souviens d’Aurélie Dupont ou d’Agnès Letestu, je vois des ports de tête et des épaulements qui sont typiques de l’école française. Et puis bien sûr, Dominique Khalfouni – qui fut mon professeur – reste pour moi un modèle. À chaque fois, je ne peux m’empêcher de me demander : « Comment aurait-elle fait cela ?« . Elle m’a vraiment inspirée, notamment son bas de jambe qui est magnifique. Dominique Khalfouni a laissé son empreinte sur moi et elle m’a enseigné tout de suite les épaulements. C’est important car ce n’est pas quelque chose que l’on peut rajouter après, cela doit tout de suite faire partie de la génétique de la danseuse. Sinon cela se perd et une danseuse sans épaulement, moi, ça m’ennuie ! Peut-être que c’est cela être une danseuse française….
Y a-t-il des rôles que vous n’avez pas abordés et que vous voudriez interpréter ou des chorégraphes avec lesquels que vous souhaiteriez collaborer ?
Le rôle que je voulais absolument faire, c’est Juliette et j’ai eu la chance de l’interpréter très tôt dans ma carrière. L’on pourrait se dire : »C’est bon, maintenant c’est que du bonus….« . Mais non ! Après, on a envie de Giselle, et puis son se dit : « Le Lac, pourquoi pas!« . Puis on a envie d’Onéguine… C’est comme une quête et presque comme une drogue. C’est un voyage à chaque fois, comme un abandon. Giselle par exemple, c’est magique parce que c’est différent à chaque représentation, à chaque production, à chaque étape de notre carrière. J’ai toujours un bel appétit : j’aimerais travailler des pièces de Jiří Kylián car je ne l’ai jamais dansé. Je voudrais aussi danser plus de George Balanchine parce que je suis dans son pays. J’ai dansé Tchaïkovski pas de deux mais je voudrais en faire davantage. C’est dur, c’est un style difficile mais je veux essayer. Et puis peut-être trouver un chorégraphe avec qui travailler…