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Tristan et Isolde « Salue pour moi le monde ! » de Joëlle Bouvier pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève

Le ballet est à voir jusqu’au 13 avril à la Maison de la Danse de Lyon

Pari risqué, Joëlle Bouvier revisite le célèbre opéra de Richard Wagner et crée pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève Tristan et Isolde « Salue pour moi le monde ! ». Une chorégraphie ciselée, de brillants interprètes et une intelligente scénographie lui permettent de relever ce défi avec talent.

Tristan et Isolde "Salue pour moi le monde !" de Joëlle Bouvier

Tristan et Isolde « Salue pour moi le monde ! » de Joëlle Bouvier

Rien ne sied mieux à la gestuelle de Joëlle Bouvier, ample, précise, émotionnelle et même lyrique, que le tableau de l’amour, des passions. C’est le sujet privilégié de celle qui forma avec Régis Obadia un duo emblématique de la nouvelle danse française. D’ailleurs, elle chorégraphie, déjà pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève, le mythique Roméo et Juliette en 2009. Aussi, quand Philippe Cohen, directeur de l’institution, lui propose plusieurs œuvres en vue d’une nouvelle collaboration, elle ne peut résister à l’envie de revisiter à nouveau la pure mythologie amoureuse et opte pour Tristan et Isolde. Pourtant, elle n’est pas une spécialiste de Wagner et sa musique est réputée indansable. Mais l’envie est trop forte et elle décide de relever le défi.

Pour ce faire, elle choisit de conserver la trame du récit, en trois actes, mais d’en resserrer l’intrigue. D’un opéra de 4 heure 30, elle extrait une partition d’1 heure 30. Reste ensuite à réussir le mariage harmonieux de la danse et de la musique, une gageure tant celle de Wagner est cérébrale. « On a l’impression que le corps, il s’en fiche ! Il passe plutôt par l’esprit, par l’âme« , dit Joëlle Bouvier. Un petit texte d’Isadora Duncan va la soutenir dans cette entreprise : « Lorsqu’on réussit à délivrer la part du corps qui se trouve dans la musique de Wagner, la réjouissance est extrême. »

Tristan et Isolde "Salue pour moi le monde !" de Joëlle Bouvier

Tristan et Isolde « Salue pour moi le monde ! » de Joëlle Bouvier

En ouverture, Joëlle Bouvier esquisse en quelques tableaux mouvants d’une profonde beauté, que des noirs séparent, les ressors de l’intrigue. On y découvre une Isolde majestueuse à la cape bruissante, un Tristan en pleine bataille avec Morold, fiancé de la jeune princesse, et bien, sûr Isolde pointant son épée sur un Tristan à terre, avant de renoncer à le terrasser, scène clé de la naissance de leur amour. Les trois actes du drame peuvent alors se déployer, du funeste breuvage qui s’avère être un filtre d’amour à la nuit de passion jusqu’à l’agonie de Tristan et la mort des deux amants.

La réussite de Joëlle Bouvier, car son Tristan et Isolde est indéniablement une réussite, tient d’abord à l’ingéniosité de la scénographie, qui participe à créer un univers, des images d’une grande force évocatrice. Un rideau de gaze devant le plateau plante un décor brumeux dans les scènes d’ouverture. Une corde reliant les deux futurs amants symbolise le filtre qui les lie irrémédiablement l’un à l’autre et est le support d’une danse d’une grande délicatesse. Un vaste escalier de bois évoque tour à tour un palais ou un navire. De simples planches de bois, selon qu’elles sont éparses ou rassemblées, symbolisent une forêt ou un refuge. Les flots, omniprésents, sont quant à eux figurés par de grands tissus bleus chatoyants et mouvants ou par des hommes et femmes roulant au sol.

Tristan et Isolde "Salue pour moi le monde !" de Joëlle Bouvier

Tristan et Isolde « Salue pour moi le monde ! » de Joëlle Bouvier

À la beauté de ses images, s’allie la danse de la chorégraphe, ses grands pliés ancrés dans le sol, suivis de sauts puissants et aériens. Les bustes attirés vers l’avant, les points d’équilibres déportés, les amples ports de bras, en font un éloquent langage de la passion, du drame. Les danseurs et danseuses du Ballet du Grand Théâtre de Genève, excellent dans l’exercice. Sarawanee Tanatanit (Isolde) et Geoffrey Van Dyck (Tristan), outre une technique parfaite et une réelle présence, ont l’intelligence de ne pas, dans leur interprétation, surjouer le drame, évitant ainsi la surenchère avec une partition déjà exaltée.

Avec Tristan et Isolde, « Salue pour moi le monde ! », Joëlle Bouvier signe un grand ballet à la facture classique, dont les tableaux sont d’une pure beauté. Tout, de la scénographie aux lumières, de la chorégraphie à son interprétation, y est parfaitement maîtrisé, et sa danse se déploie avec grand naturel dans la musique de Wagner. Pourtant, et c’est là mon seul regret, si elle séduit, charme indéniablement avec cette pièce, elle ne parvient pas à bouleverser, à émouvoir comme sait le faire un Mats Ek, dans ce genre d’exercice.

Tristan et Isolde "Salue pour moi le monde !" de Joëlle Bouvier

Tristan et Isolde « Salue pour moi le monde ! » de Joëlle Bouvier

Tristan et Isolde « Salue pour moi le monde ! » de Joëlle Bouvier pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève au Théâtre National de Chaillot. Avec Sarawanee Tanatanit (Isolde), Geoffrey Van Dyck (Tristan), Armando Gonzalez Besa (le roi Mark), Sara Shigenari (Le témoin), et Yumi Aizawa, Céline Allain, Louise Bille, Ornella Capece, Andie Masazza, Virginie Nopper, Angela Rebelo, Lysandra Van Heesewijk, Madeline Wong, Valentino Bertolini, Natan Bouzy, Zachary Clark, Vladimir Ippolitov, Xavier Juyon, David Lagerqvist, Nathanaël Marie, Simone Repele et Nahuel Vega. Mardi 29 mars 2016. À voir à Sceaux les 26, 27 et 28 mai 2016.

Les propos de Joëlle Bouvier ont été recueillis par Dominique Bosshard pour ArcInfo.ch

 

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