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Impressions du Festival International du Mariinsky 2016

Le Festival International du Mariinsky, qui se déroule chaque année à l’aube du printemps, a ouvert son édition 2016 avec Le Cavalier de bronze. Les attentes étaient grandes pour la version modernisée de ce ballet de 1949 (la grande époque du Kirov) qui a été adapté d’un poème de l’écrivain majeur de Russie (Pouchkine). Le Mariinsky a également programmé des ballets classiques, pour donner à des danseurs et danseuses étranger-e-s l’occasion de s’illustrer dans de grands rôles, aux côtés d’un-e partenaire de la maison. Héloïse Bourdon ou Evan McKie faisaient ainsi partie des invité.e.s. Retour sur trois soirées du festival.

 

Le Cavalier de bronze (Rostislav Zakharov/Youri Smekalov) – Un ballet d’aplomb à la gloire du peuple de Saint-Pétersbourg

Le Cavalier de bronze

Le Cavalier de bronze

Fluctuat nec mergitur… À travers les représentations véhiculées par Le Cavalier de bronze, Saint-Pétersbourg a quelque part emprunté sa devise à Paris. La cité impériale bâtie ex nihilo par Pierre le Grand est à l’honneur dans cette reprise de Youri Smekalov. Dans le poème de Pouchkine comme dans l’argument du ballet, une inondation cataclysmique menace la ville.

L’acte I est riche des multiples références historiques et culturelles à la ville qui abrite le Mariinski, entre autres trésors de la dynastie des Romanov. La Russie aime à se mirer dans ses propres eaux. La lecture de ce Cavalier de bronze est cependant énigmatique. Caricaturé à l’extrême par le danseur Vladimir Ponomarev, Pierre 1er ne fait-il pas l’objet d’un jugement âpre ? Les victimes, nombreuses, de cette grandiloquence folle, ne sont-elles pas représentées par le couple sacrifié Evgueni-Parasha, émouvant de candeur ? Les deux courants se mélangent, entre message d’espoir au peuple plusieurs fois éprouvé de Saint-Pétersbourg et introduction d’une distance critique vis-à-vis de l’expansionnisme du tsarisme. Nationaliste ou universaliste, l’ambiguïté de l’interprétation correspond aux deux inspirations opposées qui déchiraient Pouchkine.

Le Cavalier de bronze

Le Cavalier de bronze

L’acte II et l’acte III, les plus émouvants et prenants de la soirée, mettent en scène l’histoire d’amour entre la douce Parasha et le lyrique Evgueni puis le déferlement meurtrier de la montée de la Neva – la nature reprend ses droits – qui aboutit à la disparition de Parasha et à la folie conséquente de son promis.

Evgueni et Parasha provoquent un attendrissement certain en incarnant la destinée tragique des foules anonymes face aux entreprises colossales du Tsar. Constantin Zverev s’est montré ingénu et romantique dans le rôle d’Evgueni qui rappelle par moment le Lensky d’Oneguine. La gracile Elena Yevseyeva s’inscrit dans la tradition du Mariinsky avec des bras presque aquatiques et une danse joliment déliée. L’insouciance se déploie sur scène sous les formes habituelles : premier pas de deux fébrile, nuée de jeunes filles en fleurs, couleurs automnales, ambiance poétique. Mais la liesse est de courte durée et l’orage commence  à gronder au loin. Deux solos dramatiques, le désespoir d’Evgueni qui voit sa dulcinée se noyer en mauvais présage et celui de Parasha face à l’imminence des flots restent les passages les plus forts du ballet. La musique de Reinhold Glière prend aussi son envol avec le déchainement des éléments.

Les décors resplendissants et les effets de la scénographie d’Alexander Logvinov ne parviennent pas à masquer l’influence soviétique du ballet. L’exaltation des grands personnages de l’Histoire est intacte et la dernière scène, optimiste, rappelle les dénouements joyeux des grands ballets classiques revisités au temps de l’URSS. Une actualisation plus franche du propos aurait été bienvenue, malgré la modernisation réussie de l’esthétique de l’oeuvre.

 

Giselle (Jean Coralli, Jules Perrot, Marius Petipa) – La gardienne du temple ?

Lundi 4 avril, Giselle a répandu une brume inattendue sur la scène du théâtre impérial. Outre les changements de distribution de dernière minute, c’est la tonalité du ballet qui a pu surprendre. Loin du lyrisme échevelé et de la virtuosité exubérante du ballet russe contemporain, les Willis immaculées ont agité la gaze de leur long jupon blanc avec la retenue et la sobriété d’un corps de ballet du XIXe siècle. L’influence de Marius Petipa ?

En premier lieu, l’héroïne de la soirée, Ekaterina Osmolkina, a livré une interprétation très mesurée de sa Giselle terrestre comme de sa Giselle spectrale. Vive et mutine à l’acte I, elle est devenue réservée, presque pudique, à l’acte II. La retenue n’est pas seulement de nature interprétative : la technique a respecté également les conventions contemporaines du ballet romantique. L’acte blanc a manqué de souffle et sa dimension spirituelle, surnaturelle a été occultée. La raideur et la froideur de Myrtha (Ekaterina Ivannikova) ont accentué ce biais, me laissant de marbre.

Aucune aspérité n’a accroché le regard mais l’émotion n’a battu que par intermittence. Il fallait bien le génie d’Evan McKie pour insuffler âme et charisme à un ballet qui souffre parfois de mièvrerie. Le danseur captait d’emblée le regard par des lignes hors du commun, une technique parfaite, une forte présence en scène et de majestueuses arabesques. Avec le raffinement de ses manières et les remords qu’il a affichés dès la scène de la folie, son Albrecht avait des airs de Lord anglais torturé par un dilemme d’un autre temps. Chacune de ses apparitions a fait monter la tension alors que sa partenaire l’a constamment tempérée.

Si la passion a été absente de cette Giselle blême, quelques réjouissances ont illuminé la représentation. Parmi elles, le pas de deux des paysans qui a dépassé le cap de la traditionnelle démonstration scolaire de fin d’année grâce à la fraicheur de Renata Shakirova. Bien que – récemment – diplômée de l’académie Vaganova, la jeune danseuse affiche étonnamment les attributs de ses collègues moscovites. Une petite Ossipova est née.

Le Lac des cygnes (Konstantin Sergeyev d’après Marius Petipa et Lev Ivanov) – Héloïse Bourdon en représentation diplomatique

bourdon mariinsky

Héloïse Bourdon et Timour Askerov dans Le Lac des cygnes

Le 5 avril, l’attraction de la soirée était l’invitation d’Héloïse Bourdon dans un rôle que le Mariinsky a élevé au rang de mythe au fil des siècles. L’enjeu était presque diplomatique. Dans un théâtre qui a vu naître les cygnes de Galina Oulanova, Ouliana Lopatkina et Svetlana Zakharova et face à un public de connaisseur.se.s, Héloïse Bourdon devait conquérir l’âme de Marius Petipa tout en restant l’ambassadrice naturelle du fameux style français. Des bras souples mais disciplinés, un usage modéré et pensé des levés de jambes, des arabesques à 90 degrés, des équilibres suspendus, un jeu sobre et une technique sûre : la jeune fiancée du public de l’Opéra de Paris a exporté son cygne français à Saint-Pétersbourg. Aussi « Grand Opéra » (c’est ainsi que les Russes de la vieille école désignent l’Opéra de Paris) soit-elle, Héloïse Bourdon a tenu à effectuer des attitudes à la russe.

Si son Cygne blanc était évident, son Cygne noir était moins mystérieux, moins femme fatale, moins mûri que celui de ses comparses du Mariinsky. Une vingtaine de fouettés doubles et simples plus tard, l’ambassadrice d’un soir a endossé de nouveau son tutu blanc pour porter son Odette parisianno-russe jusqu’au final – heureux – de cette version de Konstantin Sergueïev.

Héloïse Bourdon, Timour Askerov dans le Lac des cygnes

Héloïse Bourdon, Timour Askerov dans le Lac des cygnes

Son partenaire local, Timour Askerov, avait bien les qualités d’un prince et l’élévation spectaculaire des danseurs russes. Les physiques du couple s’accordaient bien. L’alchimie entre eux deux était toutefois tiède. D’autres solistes ont été remarqués, comme le brillant bouffon de Vladislav Shoumakov qui débordait de charisme et d’auto-dérision. Le corps de ballet, impeccable, de cygnes blancs, noirs, de danseurs et danseuses époustouflants de caractère, était à la hauteur de la réputation du Mariinsky. Un écrin de choix pour Héloïse Bourdon, qui a célébré l’amitié franco-russe initiée des siècles en arrière. Un signe ?

 

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