Rencontre avec Andréa Bescond pour « Les Chatouilles ou la danse de la colère – Molière « Seule en scène »
Les Molières 2016 ont eu lieu le lundi 23 mai. Le prix « Seul.e en scène » a été attribuée à la danseuse Andréa Bescond pour son spectacle Les Chatouilles ou la danse de la colère. Danses avec la plume l’avait rencontrée il y a quelques semaines.
Andréa Bescond, 36 ans, a suivi une formation à l’Ecole Supérieure de Danse de Cannes Rosella Hightower puis au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP). Après une carrière de danseuse où elle a travaillé avec de nombreux chorégraphes tels que Bill T.Jones ou Blanca Li et dans des comédies musicales dont Les Dix Commandements ou Roméo et Juliette, elle s’est tournée vers le théâtre. Son spectacle Les Chatouilles ou la danse de la colère, coup de cœur du festival OFF d’Avignon 2014, dont elle est l’auteur et l’interprète, fait un carton au Petit Montparnasse depuis quelques mois. Le spectacle a d’ailleurs été nommé dans la catégorie Seul(e) en scène aux Molières 2016 (cérémonie le 23 mai prochain). Andréa Bescond y renoue avec la danse pour raconter l’histoire d’Odette, « comme le cygne blanc… », une danseuse dont l’enfance a été souillée et qui tente de se reconstruire. Rencontre avec une jeune femme qui porte cette pièce drôle et douloureuse à la fois avec une énergie et un aplomb étonnants.
Quel est votre premier souvenir de danse ?
La petite robe verte de mon premier gala de danse. J’ai quatre ans et je dois sourire devant un photographe. Je me demande pourquoi il me force à sourire sur commande. Un sourire, ça ne se contrôle pas ! Je suis déjà dans la sincérité du ressenti ! En début d’année scolaire, alors que je passais mon temps à danser, ma mère avait cherché une école qui accueille les jeunes enfants. La prof n’était pas très enthousiaste, mais elle avait accepté que je fasse un cours à l’essai. Quand ma mère est revenue, elle avait dit : « je la garde ! ».
À 12 ans, vous êtes admise à l’Ecole Supérieure de Danse de Cannes Rosella Hightower. Vous saviez déjà que vous vouliez devenir danseuse ?
Je n’ai jamais voulu faire autre chose que danser. Nous vivions en Bretagne et nous avons déménagé dans le sud de la France. Là, une autre prof a décelé chez moi une énergie particulière, une personnalité. Elle m’a encouragée et je suis entrée à l’Ecole Supérieure de Danse de Cannes Rosella Hightower. Pourtant, je n’avais, à mon sens, aucune prédisposition : pas de cou de pied, pas une ouverture de hanches exceptionnelle… Malgré tout, j’ai progressé très vite. La première année, j’étais parmi les dernières, les 2 CV, comme on nous appelait. J’ai pris l’option danse contemporaine et là, j’ai explosé.
Dans votre spectacle, vous évoquez la figure de Rudolf Noureev. Quels étaient vos modèles à l’époque ?
Je n’avais aucun modèle. Etrangement, je ne regardais pas de ballets. Je n’allais pas voir de spectacles. La danse était quelque chose de complètement personnel, de viscéral et instinctif. Une manière de m’exprimer. J’ai passé le concours du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP) pour continuer à me former sans vraiment penser à ce que je voulais faire après. De toutes façons, à 14-15 ans, on ne songe qu’à faire le tour du monde, à danser dans les plus grandes compagnies…
Que retenez-vous de ces cinq années au CNSMDP ?
Un sentiment mitigé. Les professeurs étaient géniaux. Tout ce que j’ai appris est à jamais gravé dans mon corps. A 80 ans, je crois que je pourrais encore réaliser des grands jetés comme je le fais dans le spectacle ! Malgré tout le respect que je porte à cette formation, je pense qu’il faut être très solide pour tirer son épingle du jeu. J’avais du mal avec la discipline, la tenue réglementaire, cette volonté de nous faire entrer dans un moule, la compétition qu’on entretenait entre nous à laquelle pourtant j’étais très perméable. Par exemple, une semaine avant l’obtention du diplôme, je me suis blessée. J’ai, de fait, nettement moins bien dansé que ce dont j’étais capable. Je n’ai terminé que 3e avec une mention « bien » ce qui a été pour moi le drame absolu alors que tout le monde me félicitait. Nous étions une promo de 14 avec des danseurs comme Ashley Chen qui a intégré la Merce Cunningham Dance Company ou Caroline Boussard qui est entrée dans la Batsheva Dance Company.
La même année, en 1998, vous remportez le prix Espoir du grand concours international de Paris présidé par Carolyn Carlson. Mais vous décidez de partir pour les Etats-Unis… Pour y trouver quoi ?
Quel choix avais-je en sortant du CNSMDP ? Entrer dans un Centre chorégraphique, devenir « fonctionnaire ». Tout l’opposé de ce que je voulais faire. J’avais été au final assez malheureuse dans cette espèce de formatage. J’avais envie de renouer avec une danse plus instinctive, de me défaire de la technique, de retrouver mon énergie. Alors, j’ai tout lâché. J’avais 19 ans. Je suis partie aux Etats-Unis, sans point de chute. J’ai fait la connaissance d’un artiste plasticien dans l’avion et de là, les choses se sont enchainées. J’ai fait des petits boulots et je suis beaucoup sortie. J’ai découvert les danses urbaines, le hip hop, le krump. J’ai renoué avec mon corps, j’ai pris dix kilos. Ça a été très libérateur. Quand on est un jeune danseur, on peut se prendre une grosse claque en sortant d’une école comme CNSMDP faute d’avoir été préparé à affronter le monde.
Pendant plus de dix ans, vous avez dansé dans des grandes compagnies comme Blanca Li ou pour des chorégraphes contemporains plus confidentiels (Corinne Lanselle, François Laroche-Valière…). Vous avez participé à des comédies musicales, expérience qui vous avez inspiré un passage du spectacle. Quel regard jetez-vous sur ce parcours ?
J’en ai bien profité. J’ai beaucoup voyagé. J’ai enchaîné les projets artistiques et les rencontres. Je ne me suis jamais sentie capable d’appartenir à une compagnie sur le long terme. J’ai préféré être un électron libre. Je ne renie rien, pas même l’expérience des comédies musicales. Si je devais recommencer, je ne changerais rien. Danser pour danser ne m’a jamais intéressée. Il fallait que ce soit connecté à un vécu, à des émotions. J’ai toujours mis beaucoup de conviction dans tout ce que j’entreprenais, même pour interpréter un membre de la tribu des Capulet dans Roméo et Juliette ou pour jouer une scène de gladiateurs dans Les dix commandements !
Comment êtes-vous arrivée au théâtre ?
En 2008, alors que le projet ne m’enthousiasmait guère, j’ai accepté de danser dans Les Aventures de Rabbi Jacob, une comédie musicale qui n’a pas marché. En revanche, j’ai rencontré le comédien et metteur en scène Éric Métayer qui m’a mise sur la voie du théâtre. J’ai découvert la jouissance du pouvoir de la voix.
En 2014, vous présentez Les chatouilles ou la danse de la colère au festival Off d’Avignon, un texte que vous avez écrit autour de la question délicate de la pédophilie. Comment avez-vous eu l’idée d’aborder un thème aussi sensible ?
C’est une question qui concerne beaucoup de monde, comme l’actualité nous l’a malheureusement encore démontré. Je me suis dit qu’il parlerait à beaucoup de monde. Et vu le nombre de lettres ou de témoignages que je reçois, j’étais dans le vrai. J’ai décidé de raconter l’histoire d’une jeune danseuse Odette, abusée par un ami de la famille durant l’enfance et qui lutte pour se reconstruire. En écrivant le texte, j’ai imaginé que je pourrais danser certains passages. La danse me manquait trop. Eric Métayer m’a aidée à trouver l’équilibre entre texte et chorégraphie.
La manière dont vous utilisez la danse est très subtile. Ce qui était trop difficile à formuler en mots, vous l’avez mis en mouvements ?
La danse était une manière plus élégante d’emmener le public dans l’horreur tout en respectant la pudeur de chacun. Quand aucun mot n’est assez fort pour exprimer un ressenti, cracher une souffrance, une colère, la danse est là pour le traduire et ouvrir la porte à l’imaginaire.
Comment êtes-vous perçue dans le monde du théâtre avec votre parcours ?
Comme une comédienne qui danse ! J’en suis assez fière. Je suis heureuse du succès remporté par la pièce. Nous travaillons à son adaptation pour le cinéma pour 2018. J’ai d’autres projets comme monter une pièce classique en mêlant texte et danse.
À la fin de la pièce, Odette l’adulte s’adresse à Odette la petite fille et lui dit : « Y’a plein de chemins mais tu deviendras quelqu’un ça c’est sûr… ». La danse vous a t-elle permis de devenir celle que voudriez être ?
La danse m’a appris le travail, la rigueur, nécessaires pour une pièce qui demande un tel engagement. Je ne pense pas que je pourrais jouer un spectacle comme Les chatouilles si je n’avais pas eu mon parcours derrière moi. Ce thème de la résilience qui clôt le spectacle est finalement universel. A un moment, il faut aller de l’avant, dépasser certaines frustrations et se frayer son propre chemin.
Les Chatouilles ou la danse de la colère d’Andréa Bescond. Mise en scène Éric Métayer. Du mardi au samedi, 21h et matinée le samedi à 16h30 au Petit Montparnasse jusqu’à la fin de la saison. En tournée deuxième semestre 2016.
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Un théâtre (parce qu’il s’agit plus de théâtre que de danse au final) à voire absolument. Juste magnifique et si vrai, ça fait du bien.