Finale du premier concours de jeunes chorégraphes classiques et néoclassiques
Plus qu’une compétition, l’organisation de ce premier Concours de jeunes chorégraphes classiques et néoclassiques était comme un manifeste. Avec comme but de soutenir la danse classique et néo-classique, tellement mal lotie en France. Pas étonnant donc que ce soit Thierry Malandain (seul dirigeant d’un CCN néo-classique) qui soit à l’origine de l’événement, et que la finale, qui a eu lieu le dimanche 24 avril, se soit déroulée à la Gare du Midi de Biarritz, la salle du Malandain Ballet Biarritz.
La création néo-classique ne semble exister que par des talents anglo-saxons en France. Les jeunes chorégraphes européen.ne.s sont pourtant bien là, preuve en est avec cette finale éclectique. Les six finalistes étaient plus ou moins avancé.e.s dans leur travail. Certain.e.s avaient déjà visiblement de l’expérience, d’autres semblaient encore en maturation. Mais les six avaient des choses à dire et une proposition en scène, une façon bien à eux.elle de danser. Même si l’héritage de la danse classique n’est pas encore totalement assumé chez ces jeunes talents. Seulement un finaliste a en effet utilisé le pur langage classique. Les autres étaient vraiment néo, pas forcément sur pointes (mais Thierry Malandain ne travaille pas la pointe non plus), parfois à la limite du contemporain (mais où mettre la limite ?). Je m’attendais à plus de petits-enfants de George Balanchine, avec une proposition comme un mini-ballet. On était plus dans la veine Wayne McGregor finalement. Est-ce une volonté du jury qui a choisi ces six finalistes ? La danse néoclassique européenne s’est en tout cas montrée différentes des scènes US, et c’est aussi tout l’intérêt de ce concours. Chaque finaliste était aussi encore danseur ou danseuse dans leur compagnie respective. Ce sont donc la plupart du temps leurs collègues qui ont été les interprètes de ces pièces.
Premier prix pour la chorégraphe Xenia Wiest
Xenia Wiest, danseuse au Ballet de Berlin, a remporté le premier prix avec sa pièce To be continued. Elle va donc créer une pièce la saison prochaine pour le Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Un choix évident, tant la chorégraphe russe a proposé un travail abouti. Elle a dix ans d’expérience dans la chorégraphie, cela se sent, mais il n’y a pas que ça. Elle a un vrai talent pour utiliser l’espace, pour utiliser le groupe dedans et créer des énergies collectives. Son choix de musique (tendance gothique pesant) qui ne me parle pas vraiment m’a empêchée de rentrer vraiment dans sa pièce. Mais intrinsèquement, sa danse est intéressante, sachant utiliser les corps de la danse classique et pousser les possibilités techniques de ses interprètes. Elle a également le sens de penser à tout, des décors aux lumières. On l’imagine sans problème pour le Ballet de l’Opéra de Bordeaux. C’est aussi toute la question du concours : le-la gagnant.e ne doit pas seulement avoir des idées, il.elle doit déjà être prêt.e pour créer une pièce d’une heure pour 10 ou 20 interprètes, ce qu’est visiblement Xenia Wiest. Une création à suivre la saison prochaine.
Deuxième prix pour le chorégraphe Martin Harriague
Martin Harriague, qui vient de la Kibbutz Contemporary Dance Company, a reçu le deuxième prix (une création pour le Malandain Ballet Biarritz), le prix des professionnel.le.s et le prix du public pour sa pièce Prince. Une domination qui ne reflète pas forcément ce qui s’est passé sur scène, à vrai dire. Pour moi, Martin Harriague était en-dehors de la ligne du néo-classique, avec d’ailleurs certain.e.s interprètes qui venaient clairement du contemporain. Sa pièce ne manquait pas d’idées ni de personnalités toutefois. Il s’agissait de revisiter La Belle au bois dormant de Tchaïkovski pour déconstruire le mythe du Prince charmant. Qui est d’ailleurs tout sauf charmant dans la pièce. Martin Harriague connaît ses classiques et sa proposition est truffée de références, détournées malicieusement. L’humour fait mouche auprès du public, même si c’est parfois un peu lourd (et un peu daté). Le chorégraphe a néanmoins une personnalité à lui, et une proposition construite. Il va donc créer une pièce la saison prochaine pour le Malandain Ballet Biarritz, une première pour cette compagnie qui ne danse, jusqu’àlors, que du Thierry Malandain.
Prix de la Fondation de la Danse pour Ricardo Amarante
Un prix de plus a été rajouté, offert par la Fondation de la Danse, d’une valeur de 1.000 euros. Ce prix est allé à Ricardo Amarante (Ballet royal de Flandre) pour sa pièce Loves, Fear, Loss. Pas de deux classiques, pointes, collants roses et tuniques vaporeuses, Ricardo Amarante est le seul à avoir utilisé pleinement les codes de la danse classique. Même s’il a fait quelques choix stratégiques moyens. La musique, des chansons de Piaf ou de Brel dans des adaptations spécialement sirupeuses au piano, n’apportait ainsi pas vraiment de modernité à l’ensemble. Sa pièce était aussi composée de trois pas de deux, qui n’étaient pas assez différents entre eux pour apporter une véritable dynamique. Le dernier accentuait même un peu trop les effets et l’on n’était pas loin du patinage artistique. Ricardo Amarante aurait peut-être eu intérêt à remplacer l’un d’eux par un ensemble. Toutefois, sa chorégraphe savait être efficace et agréable, et mettait en valeur les interprètes. Un travail dans la lignée de ce qui se fait aux États-Unis, et qui se tenait.
Les finalistes
Et qu’en est-il des autres finalistes ? Personnellement, j’ai beaucoup aimé Olaf Kollmannsperger du Staastballett Berlin avec sa pièce The Cooking Show, inspirée d’un chef cuisinant au milieu de la salle comme une performance. Son travail n’était pas le plus abouti, et on ne le sentait pas encore pouvoir proposer une oeuvre d’une heure. Mais son ton était celui qui était le plus actuel, le plus ancré dans son époque. Et il avait beaucoup de bonnes idées. Son pas de deux entre le chef et la pâte (une danseuse vêtue d’un costume faisant vraiment penser à de la pâte !) était fascinant. Olaf Kollmannsperger avait de l’humour et du tempérament, il pensait la danse comme un ensemble (la chorégraphie avec le décor, les costumes, la lumière). Un artiste à suivre.
Yvon Demol représentait le Ballet de l’Opéra de Paris. Il était venu avec sa pièce Oui, travaillant sur le rapport soumission-domination. Son début de pièce était très réussi et efficace, avec notamment un beau duo masculin. Il avait avec lui quatre superbes interprètes de l’Opéra de Paris, dont il connaissait par coeur les qualités et savait comment les mettre en valeur. Mais le propos s’est dilué et la pièce a eu du mal à tenir sur la longueur. Yvon Demol avait aussi choisi des morceaux de musique archi-connus (la Grande sarabande de Haendel et le Trio en mi bémol majeur de Schubert). Quand on s’attaque à des tubes aussi entendus, il faut proposer quelque chose de vraiment original pour s’en sortir, même si le chorégraphe a montré de grandes qualités d’écoute de la musique dans sa chorégraphie. Vitali Safronkine, enfin, proposait un travail construit avec Moving Resonance, servi par de beaux interprètes. On était dans un schéma assez classique, une danse néo alternant duo et ensembles, où il manquait un peu d’originalité pour vraiment se démarquer.
Tout reste à faire désormais pour les deux gagnant.e.s, dont les deux créations seront suivies avec attention. Thierry Malandain espère déjà pouvoir organiser un deuxième concours dans deux ans. Avec peut-être plus de compagnies partenaires, pour récompenser plus de monde.
lou_des_bois
vu les choix musicaux d’Yvon Demol, c’etait donc tres Barry Lyndon 😉